La scène s'est passée il y a quelques jours dans un des quartiers de Beyrouth. Trois Libanaises, dont deux émigrées, mère et fille en vacances au pays, effectuaient une promenade en voiture dans les ruelles de la capitale. La mère, assise aux côtés de la conductrice, filmait le quartier de son enfance avec ses ruelles, ses immeubles, ses commerces, ses habitants. Elle espérait, en immortalisant ces images, revivre quelques doux souvenirs familiaux et les ramener avec elle à l'étranger. Quoi de plus légitime pour une femme qui a quitté le pays de manière précipitée durant la guerre que de raconter son histoire, images à l'appui, à ses enfants nés et élevés à l'étranger !
Quand, soudain, deux bonshommes armés, en tenue civile, surgis de nulle part, se jettent sans crier gare sur la voiture au beau milieu d'une montée. Ils hurlent à plusieurs reprises quelque chose comme : « Gare-toi à droite et descends de la voiture. » Épouvantée, se croyant victime de malfaiteurs, la conductrice refuse de se plier aux ordres des deux hommes en furie. Paniquée, elle n'arrive plus à réagir. Elle veut continuer sa route, mais l'un des deux bonhommes, plaquant une minuscule carte illisible sur la vitre, arme son pistolet qu'il braque sur elle. La voiture emboutit un poteau et finit sur le trottoir. Elle est sérieusement amochée. Les femmes, elles, n'ont plus de jambes ni de voix. Elles tremblent de tous leurs membres.
La conductrice finit par comprendre, en voyant l'un des deux hommes parler à son supérieur par le biais d'un appareil TSF, qu'il s'agit d'éléments des forces de l'ordre. Montrant du doigt la caméra, ils annoncent aux femmes qu'elles se trouvent dans une zone militaire, à proximité d'une caserne des FSI, qu'il est interdit de filmer dans cette région et qu'elles doivent effacer certaines prises de vue.
« J'aurais pu vous écraser. Je croyais que vous étiez des voleurs », leur lance la conductrice en larmes, les jambes encore flageolantes. « J'aurais tiré », lui répond l'homme du tac au tac. « Je voulais juste des images souvenir de mon quartier », répète inlassablement l'émigrée.
Réalisant qu'ils n'ont pas affaire à des terroristes, encore moins à des espionnes, les éléments des forces de l'ordre s'adoucissent un brin et s'emploient à calmer les femmes en leur proposant notamment de l'eau. Les palabres n'en durent pas moins une bonne heure. Les deux « coupables » sont soumises à un interrogatoire des plus serrés.
Fort heureusement, la scène se termine en excuses échangées de part et d'autre et même en embrassades. Elle aurait pu tourner au drame. Les forces de l'ordre n'avaient-elles réellement aucun autre moyen d'empêcher les femmes de filmer que de les terroriser ? Et puis, pourquoi ces hommes n'étaient-ils pas en tenue militaire ? Le comble est qu'absolument aucun panneau, dans ce quartier résidentiel, ne délimite cette zone militaire et n'interdit aux gens de filmer ou de prendre des photos.
Assurément, le citoyen est en droit de dénoncer ces pratiques irresponsables et de se demander pourquoi il doit faire les frais d'un tel amateurisme.