Plus tard, les Libanais eurent l'opportunité de choisir leur combinaison de couleurs : une veste jaune doublée d'orange, c'est un peu criard, mais les deux couleurs vont bien ensemble. Quant au bleu et au vert, ils se sont toujours complétés dans la nature, entre ciel azur et cèdres verdoyants. « Quand vient le soir, pour qu'un ciel flamboie, le rouge et le noir ne s'épousent-ils pas ? » Oui, Jacques Brel, ils s'épousent et même très bien dans un drapeau voisin... Pourtant, je ne voudrai plus jamais voir le rouge des flammes incendier nos forêts, ni celui de la guerre ensanglanter nos nuits.
Décidément, le Liban en aura vu non seulement de toutes les couleurs, mais aussi de toutes les humeurs : double face, dualisme, dualité (État double ?). C'est à croire que ce pays s'est transformé en « planète des caméléons ». Combien de fois n'a-t-on pas entendu cette phrase : « Dire une chose et faire son contraire » ?
Parmi toutes les visites de personnalités politiques en Syrie, seule la visite du général Aoun aura eu un impact important. Car qui mieux que le promoteur de la « Syria Accountability Act » pouvait rétablir la popularité du régime syrien à l'échelle internationale, et ce faisant laver l'offense faite au pays des Omeyyades ? D'autre part, n'est-ce pas M. Marwan Hamadé qui évoquait avant les élections, un certain samedi 6 sur la chaîne ANB, « la schizophrénie politique » ? Ne voilà-t-il pas que son chef de file, M. Walid Joumblatt, principal artisan de la révolution du Cèdre, sous prétexte que le vent régional a tourné, opère une rotation de 180º par rapport à ses positions précédentes (déclarant que « le Liban n'a pas de véritable sens sans l'arabité et la Palestine »), pour passer dans le camp de ceux qu'il accusait auparavant de pratiquer « la culture de la mort » ? Continuant sur sa lancée, dans un lieu qui est aussi symbole de l'occupation syrienne (l'hôtel Beau Rivage), il renie ses précédentes alliances avec l'Amérique et les chrétiens du 14 Mars, et revient aux principes gauchistes et à la cause palestinienne. Je cite : « Nous devons relancer la pensée arabiste du Liban. » De quoi se poser la question suivante : quel pays a-t-il de meilleures relations, avec le monde arabe, que le nôtre, que ce soit au plan des affaires, des relations amicales, sociales et même matrimoniales, et enfin à celui des échanges politiques ? Nous pouvons espérer cet été quelque deux millions de touristes, en majorité arabes. Nous est-il demandé de prendre les armes à la place du Hamas pour récupérer leur pays ? Est-ce que le Liban ne fait pas partie de la Ligue arabe ? Nos politiciens seraient-ils devenus des girouettes ?
Il est vrai que l'on ne peut pas limiter la politique actuelle à des déclarations publiques, souvent antinomiques ou assujetties à des données sécuritaires. Cependant, tout ce branle-bas de combat que connaît la formation du gouvernement ne rassure nullement le citoyen. Plus que jamais certains semblent oublier leurs slogans habituels, ceux grâce auxquels les foules ont voté pour eux : « Liban d'abord », « Tribunal international», etc.
La refonte du 14 et du 8 Mars, que suggère le président Berry, n'est que l'annihilation du résultat des élections législatives. Elle reflète un mépris total pour la volonté des électeurs, à quelque bord qu'ils appartiennent. À cette étape de notre vie politique, de graves répercussions sociales sont à craindre. Ceux qui, par le passé, critiquaient l'isolationnisme chrétien veulent nous ramener à l'ère des ghettos et, de nouveau, nous projeter dans un monde qui n'est plus le nôtre. Un monde où les milices armées faisaient la loi chacune dans sa région. Il semble que notre peuple soit l'otage d'une peur continue, la subissant pour être mieux manipulé. Peur des attaques israéliennes ; peur d'un soi-disant complot américano-sioniste dont le Liban subira les contre-effets ; peur de l'implantation palestinienne sur notre territoire. Sans oublier la peur des terroristes cachés dans les camps. Et maintenant peur du Liban en tant que patrie... prioritaire !). De nouveau des gros titres pour nous en faire voir de toutes les couleurs, et de nouveau faire de notre vie un enfer, même s'il est pavé de bonnes intentions.
Il est dommage de disloquer ces deux grands partis démocratiques, 14 et 8 Mars, qui rassemblent respectivement une profusion de partis et de croyances religieuses dans une même synergie, et les ramener à leur limite communautaire initiale. C'est briser un nationalisme en essor pour le réduire à un confessionnalisme monochrome latent. Je pense que favoriser certaines sélections, c'est naviguer à contre-courant, et l'on risque de réveiller les eaux dormantes.
Qu'en est-il du peuple ? Qu'en est-il des êtres humains qui existent et qui pensent, et, parce qu'ils pensent, sont là ou ailleurs ? La masse des individus est-elle un jeu de cartes que l'on mélange à sa guise ? Les Libanais sont-ils des moutons de Panurge destinés à suivre aveuglément la volte-face de leurs chefs ? Ce n'est pas en brandissant l'étendard de l'arabité que l'on maintiendra notre pays dans un état de guerre continue alors que les Arabes eux-mêmes - pour ne citer que la Jordanie, l'Égypte, le Qatar, et bientôt la Syrie - vivent dans un état de presque paix avec Israël ... Ce n'est pas non plus en s'appropriant une thématique religieuse que l'on pourra lutter contre les armes. À travers l'histoire, nombre de politiciens ont utilisé ces valeurs pour atteindre leur but. En ce XXIe siècle, un citoyen de ce pays comprend et analyse. Alors, s'il vous plaît, cessez de nous bluffer et de recourir aux grands thèmes, prétextes pour atteindre vos objectifs. Le problème palestinien est là et ceux qui l'évoquent ne prennent même pas la peine d'aller à Gaza. Ils en parlent, et c'est tout. Il est très facile de parler des paysans et des pauvres quand on habite un château ; pour être conséquent avec ses propos, il faudrait quitter le château pour aller vivre avec les pauvres, mais cela... il faudrait être un Tolstoï ou un François d'Assise.
Nous ne voulons pas suivre le courant qui veut faire la guerre ; et si nous ne pouvons choisir celui qui désire la paix, du moins notre président pourra-t-il préserver sa neutralité à notre pays face aux perturbations régionales.