Des faux sans défauts

Depuis 1884, le Salon des artistes indépendants se tient tous les ans à Paris. Il s'agit d'une exposition où chacun peut présenter ses peintures au public sans passer par un jury. D'immenses peintres, comme Van Gogh, Matisse ou Cézanne, y ont accroché des toiles. En 1910, une œuvre attire particulièrement l'attention. Il s'agit d'un tableau intitulé Coucher de soleil sur l'Adriatique. Sa moitié supérieure est jaune, sa partie inférieure bleue, et le centre bariolé de rouge et de jaune. C'est l'unique œuvre connue de son auteur, un certain J.R. Boronali, peintre italien, né à Gênes. Certains critiques d'art s'enthousiasment devant cette toile abstraite. C'est alors que l'écrivain Roland Dorgelès se rend au journal Le Matin  et révèle l'identité du véritable auteur : Lolo, l'âne du patron du Lapin agile, un célèbre cabaret de Montmartre. Sous le contrôle d'un huissier, Dorgelès a attaché un pinceau à la queue de l'âne et l'a laissé peindre. Dans la fable de La Fontaine Les voleurs et l'âne, l'âne est surnommé maître Aliboron. Lorsque Dorgelès a cherché un nom  de peintre à sa supercherie, il a pris les trois premières lettres d'Aliboron, les a placées à la fin et a obtenu Boronali. Le but de la supercherie était de se moquer des critiques qui admirent tout et n'importe quoi, pourvu que ce soit de l'art moderne. La toile a tout de même été achetée 400 francs, une belle somme pour l'époque... Mais l'histoire la plus incroyable est sans doute celle du Néerlandais Han Van Meegeren. Dans les années 1930 et 1940, lassé de ne pas être reconnu pour son art, il se mit à peindre à la manière de Vermeer de Delft, le célèbre peintre du XVIIe siècle. Ses toiles étaient si parfaites qu'elles trompèrent les meilleurs experts et furent exposées dans les musées. Pendant la Seconde Guerre mondiale, son tableau Le Christ et la parabole de la femme adultère se retrouva même dans la collection du maréchal nazi Hermann Goering. Après la  guerre, Han Meegeren fut emprisonné pour avoir vendu un vrai Vermeer à l'ennemi. Risquant la peine de mort pour crime de guerre, le faussaire préféra avouer son forfait et, pour prouver ses dires, peignit dans son cachot une nouvelle toile à la manière de Vermeer. Il ne fut finalement condamné qu'à un an de prison pour tromperie...
En 1960, le vrai peintre Van Dongen a reconnu comme sien le tableau portrait de Femme avec chapeau à plumes, pourtant peint deux ans plus tôt par le faussaire Real Lessard, et comme le tableau n'était pas signé, il l'a signé... Ainsi, certains faux sont plus vrais que vrai, et ce non seulement dans le domaine de la peinture : Charlie Chaplin, de passage à Londres pour la promotion d'un film, participe incognito à un concours de sosies de Charlot qui se déroulait dans le quartier de l'hôtel où il logeait. Il fut classé... 27e.