Rechercher
Rechercher

La politique étrangère d’Obama, un réel changement de ton - 100 jours

La politique étrangère d’Obama, un réel changement de ton

Justin Vaisse, chercheur français à la Brookings Institution, dresse un premier bilan de la politique étrangère de Barack Obama, 100 jours après son investiture. Une politique dont « les marques de fabrique revendiquées par Obama sont le pragmatisme et le réalisme ». Une nouvelle approche qui ne garantit toutefois pas des résultats positifs.

Le 30 avril, Barack Obama franchira le cap symbolique des premiers cent jours de sa présidence. Depuis Franklin D. Roosevelt, ce cap est l'occasion de faire un premier bilan pour chaque président.
Parce qu'il succède à George W. Bush, parce que son mandat a débuté dans un monde et une Amérique en proie à une crise économique, parce que sa personne même incarne, depuis la campagne, une vague d'espoir et une attente de changement, le bilan des 100 jours de Barack Obama suscite un intérêt particulièrement intense.
En ce qui concerne la politique étrangère américaine, Barack Obama a multiplié les annonces et les gestes politiques. Le 22 janvier, deux jours seulement après son investiture, le nouveau président signe un décret ordonnant la fermeture du centre de détention de Guantanamo Bay dans un délai d'un an. Le 27 février, Obama annonce que toutes les unités de combat américaines déployées en Irak seront retirées d'ici au 31 août 2010 et que tous les soldats américains devront avoir quitté l'Irak avant le 31 décembre 2011. Le 19 mars, le président adresse un long message télévisé aux dirigeants et au peuple iraniens. Le 1er avril, en marge du sommet du G20, Obama conclut avec son homologue russe, Dmitri Medvedev, un accord pour une reprise des négociations Start sur le désarmement stratégique. Quatre jours plus tard, lors d'un discours prononcé à Prague dans le cadre d'un sommet de l'OTAN, il réaffirme sa volonté de réduire l'arsenal nucléaire américain, ajoutant que son pays, sur ce plan, doit servir d'exemple. Le lendemain, à Ankara, il déclare que « les États-Unis ne sont pas en guerre contre les musulmans ». Enfin, le 17 avril, lors du sommet des Amériques, Barack Obama serre la main d'Hugo Chavez. Quelques jours plus tôt, sur le dossier cubain, il avait appelé à un nouveau départ et annoncé un assouplissement des restrictions de voyages et de transfert d'argent à Cuba pour les Américains d'origine cubaine.
En 100 jours, Barack Obama a fait une entrée remarquée sur la scène internationale. Toutefois, dans quelle mesure la politique étrangère du président Obama marque-t-elle un nouveau départ - « reset » est le mot à la mode depuis l'élection d'Obama - par rapport à celle menée par l'administration Bush, et en quoi s'inscrit-elle dans sa continuité ?
« Le changement de ton et l'amélioration de l'image de l'Amérique sont évidents, inutile d'y revenir. Mais justement, cela met en relief la question de la rupture sur le fond, qui est elle-même déterminée par deux éléments », souligne Justin Vaisse, chercheur français à la Brookings Institution. « D'abord, le vrai tournant a été pris dans les années 2004-2006, c'est-à-dire, en gros, entre le premier et le second mandat de George W. Bush. Du coup, la différence entre Obama et "Bush 2" en est nécessairement atténuée, et sans doute moins grande qu'entre "Bush 1" et "Bush 2", précise-t-il. Ensuite, loin d'être guidées par une idéologie, les marques de fabrique revendiquées par Obama sont le pragmatisme et le réalisme, et il faudra un certain temps avant de pouvoir cerner le profil exact de cette administration, la vision du monde qui s'y exprime, mais qui est incontestablement différente de celle de Bush », ajoute le chercheur.
Justin Vaisse note toutefois que la nouvelle approche américaine, et notamment la plus grande disponibilité de la Maison-Blanche à négocier avec les régimes « ennemis », « ne garantit nullement des résultats positifs. Après tout, Bill Clinton, comme George W. Bush, ont échoué à régler le problème nord-coréen, après avoir à peu près tout essayé. On voit mal quelle approche inédite pourrait donner des résultats. Autrement dit, si toute nouvelle administration prétend partir d'un pied neuf et faire table rase du passé, en réalité la structure du système international et les rapports de force existants limitent les changements de cap possibles ».

Obama tend la main aux Iraniens
L'un des dossiers sur lesquels le président Obama marque clairement sa différence avec l'ère Bush est le dossier iranien. Dans son message adressé aux dirigeants et au peuple iraniens, Barack Obama a déclaré que son administration « est désormais résolue (...) à chercher à établir des relations constructives entre les États-Unis, l'Iran et la communauté internationale. (...) Les États-Unis veulent que la république islamique d'Iran prenne la place qui lui revient dans la communauté des nations. Vous avez ce droit, mais il s'accompagne de vraies responsabilités, et cette place ne peut être obtenue par la terreur et les armes, mais par des actions pacifiques qui démontrent la véritable grandeur du peuple et de la civilisation iraniens ».
Si Mahmoud Ahmadinejad a indiqué accueillir favorablement ce message, il n'a suscité, jusqu'à présent, aucun geste en retour de la part de Téhéran. Pour l'instant, « nous ne voyons aucun changement, même la littérature n'a pas changé. Si vous (Obama, NDLR) dites vrai, pourquoi ne voyons-nous pas de changement ? » a, pour sa part, déclaré le guide suprême lors d'une allocution. Enfin, il y a quelques jours, une journaliste américano-iranienne, Roxana Saberi, était condamnée, à Téhéran, à huit ans de prison pour espionnage. Obama se serait-il engagé trop vite, et trop personnellement, sur le dossier iranien ?
« Il me semble que les Iraniens se sentent en position de force, à la fois parce que le temps joue en leur faveur et parce que leur position géopolitique a été renforcée par les guerres d'Afghanistan et d'Irak. Par ailleurs, ils sont très méfiants des intentions de Washington sur le long terme : les Américains veulent-ils simplement empêcher l'accession de Téhéran à l'arme nucléaire ou bien veulent-ils humilier et réduire le rôle de l'Iran, voire changer le régime des mollahs ? » souligne Justin Vaisse, qui rappelle que fin 2001, les Iraniens avaient vu leurs relations avec Washington s'améliorer brusquement, puis se détériorer de façon brutale et inattendue avec le discours sur « l'axe du mal » en janvier 2002. « Ils sont donc logiquement attentistes. Il fallait alors, pour enclencher une stratégie d'ouverture et de négociation directe, frapper fort, "mouiller la chemise" en quelque sorte, et c'est ce qu'Obama a fait », ajoute le chercheur. « On sait par ailleurs que le régime iranien est compliqué, et que certaines factions n'ont pas intérêt à une reprise des relations, tout cela à l'approche des élections de juin en Iran », rappelle Justin Vaisse.
S'il est difficile de mettre en œuvre la nouvelle approche, qui représente un défi de premier ordre pour Barack Obama, le chercheur de la Brookings Institution estime néanmoins que le président américain « ne s'arrêtera pas à ces quelques revers initiaux. Il faut se souvenir que la question iranienne est centrale : elle a des retombées sur le dossier israélo-palestinien, le dossier libanais, l'Irak, l'Afghanistan, et les relations États-Unis-Russie, à travers le projet de bouclier antimissile en Europe de l'Est ». Dans ce contexte, « je ne crois pas qu'Obama se soit trop engagé, je crois qu'il va persévérer et explorer sérieusement l'option d'une issue négociée sur le nucléaire iranien. Mais là encore, le succès n'est nullement garanti ».
L'autre gros dossier moyen-oriental inscrit dans l'agenda de Barack Obama est la question israélo-palestinienne. George Mitchell, son émissaire spécial, a déjà effectué, durant ces 100 jours, trois visites au Proche-Orient. Visites au cours desquelles M. Mitchell a souhaité que l'initiative de paix arabe soit prise en compte dans les efforts de paix et a rappelé le soutien du président au principe d'un État palestinien indépendant. Sur ce dossier, faut-il s'attendre à un réel changement d'approche par rapport à la gestion de l'administration Bush, ou à un simple changement de présentation ?
« À court terme, je ne crois pas qu'il faille attendre un changement de cap : la situation est si mauvaise, côté israélien comme côté palestinien, que je ne vois pas le président Obama dépenser son précieux capital politique sans la perspective d'une issue favorable à portée de main. À moyen terme, les choses peuvent changer, d'autant que l'approche d'ensemble est, malgré tout, distincte de celle de l'administration Bush, et que le temps presse avant que la solution de deux États ne soit plus possible », estime Justin Vaisse.

Une redéfinition du leadership américain ?
Au-delà des différents dossiers, qu'ils soient russe, cubain, israélo-palestinien ou iranien, Barack Obama s'est appliqué, au cours notamment de son voyage européen, à présenter sa conception du leadership américain. À Strasbourg, face aux lycéens français, il a joué la partition de l'humilité et du multilatéralisme, en parlant de l'« arrogance » et des peurs erronées des États-Unis face à l'émergence d'une Europe plus solide. Europe dont il a précisé qu'elle s'était « reconstruite comme une maison puissante ». Le président a également évoqué la « maison chinoise ». À Prague, Obama n'a pas hésité à mentionner Abou Ghraib, et la gigantesque contribution américaine au réchauffement climatique.
En 100 jours, la nature du leadership américain a-t-elle déjà radicalement changé ? Il y a quelques jours, l'on pouvait lire dans The Politico, quotidien politique américain en ligne, qu'« en fait, la ligne de fracture entre Bush et Obama tient peut-être moins à l'idéologie qu'à une conception de la nature humaine : il s'agit en réalité de savoir s'il est plus efficace de mobiliser les individus et les nations par la force ou par la persuasion ». Pour Justin Vaisse, « il est trop tôt pour aller au-delà du style, de l'image, du ton. Mais on voit se dessiner une conception de l'Amérique qui est plutôt l'animatrice d'un concert des nations qu'un shérif déterminé à faire ce qu'il faut, qu'il soit suivi ou non ».
Si cette conception du leadership américain est critiquée et qualifiée de naïve, notamment dans les rangs conservateurs, certains opposants de Barack Obama reconnaissent des qualités à la politique étrangère du nouveau président. À l'instar de Robert Kagan, ancien conseiller de John McCain, qui déclarait récemment : « Il ne fait aucun doute que Barack Obama est en train de battre en brèche les relents d'antiaméricanisme dans le monde entier. »
Le 30 avril, Barack Obama franchira le cap symbolique des premiers cent jours de sa présidence. Depuis Franklin D. Roosevelt, ce cap est l'occasion de faire un premier bilan pour chaque président.Parce qu'il succède à George W. Bush, parce que son mandat a débuté dans un monde et une Amérique en proie à une crise...