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Santé

La maladie de l’amour et de la mort

Si nous observons bien les deux figures de sainte Thérèse en extase (sculpture du Bernin) et de ce nourrisson comblé, nous voyons tout de suite qu'il s'agit d'un même état : la jouissance.
Nous pourrions penser que le nourrisson est repu parce que sa mère vient juste de le nourrir. Mais sainte Thérèse, elle, qu'est-ce qui la comble ainsi ? Elle est repue d'amour, plus particulièrement d'amour divin. Peut-on alors en déduire que le « nourrisson n'est pas comblé de nourriture, mais d'amour » ? Et ajouter d'amour divin ?
La relation entre les mystiques et l'anorexie est bien connue aujourd'hui pour nous permettre d'avancer que les mystiques sont « des grévistes de la faim », comme le dit Jacques Maître. Et « ce n'est pas la nourriture qui les fait être, mais l'amour, l'amour à mort ». L'amour à mort est porteur d'une jouissance infinie, mais « dissolutive ».
Dans ces deux états, le sujet et l'objet de son amour ne font qu'un. Cette fusion du sujet et de l'objet qui caractérise l'amour est sans parole. Le « Je t'aime » est ce « cri musical unique » que pourraient énoncer les protagonistes de ces deux positions subjectives. Or le « Je t'aime » précisément et universellement est le seul énoncé où fusionnent le sujet de la phrase, le sujet de l'énoncé, le « je » du « je t'aime » et le sujet qui énonce, le sujet de l'énonciation, celui du désir inconscient, « le sujet en chair et en os qui parle ». Autrement dit, si le « Je t'aime » dégage une certitude unique au monde, c'est bien parce que du fond de son être, celui qui l'énonce sait « qu'il fait un avec l'autre ».
Et si cette fusion dégage une jouissance unique, c'est parce qu'elle est synonyme de mort également. Elle est synonyme de mort parce les deux sujets disparaissent dans le un de leur amour, de leur union amoureuse.
Cette jouissance unique autre est recherchée par tous les humains depuis leur venue au monde : « Retrouver la fusion avec la mère, fusion où les deux redeviennent un ». Mais l'ordre social les en empêche. Alors ils inventent un langage à eux, le langage des symptômes, toutes sortes de symptômes. Du symptôme hystérique le plus  expressif à cet égard, au symptôme phobique et, enfin, au symptôme obsessionnel, le sujet exprime qu'il veut en savoir plus sur le secret de la vie et de la mort, en goûtant à l'arbre de la connaissance. Et c'est pour cette raison que Dieu  chassa Adam et Ève de l'Éden, parce qu'ils ont refusé d'être seulement des êtres de langage, des « parlêtres ». La nomination des animaux ne suffisait plus à Adam pour « savoir et avoir », il a cédé à Ève qui lui promettait d'accéder au « privilège féminin pour un deuil du concept » soit à une jouissance autre que « la joui-sens ».
Si on aborde la clinique psychiatrique et psychanalytique par ce biais, on peut comprendre que le sujet qui souffre n'est pas malade. Sauf à dire qu'il est « malade d'amour, mais ça reste une métaphore ».
Tous les patients, névroses et psychoses qu'un psychiatre, un psychanalyste ou un psychothérapeute rencontrent dans leur vie n'expriment que cela.
L'hystérique cherche à provoquer l'ordre symbolique du langage qui structure le lien social, en montrant que, comme Ève, elle en sait quelque chose sur le « privilège féminin d'un deuil du concept ». Elle va charger son corps de dire qu'elle jouit partiellement de son organe malade, tout en présentant au corps médical un organe qui souffre. Et le corps médical en perd son latin. Ce qui va faire jouir l'hystérique de façon partielle également, en guise d'une jouissance autre qu'elle ne trouvera jamais. À moins de rencontrer un amant pour l'aimer ou un analyste pour l'écouter, elle se suffira de façon répétitive de provoquer le corps médical, ce qui la fera jouir, mais toujours partiellement.
L'obsessionnel, lui, se chargera de montrer à l'autre qu'il en sait quelque chose sur la  jouissance de la mort. Mais celle de l'amour, il n'en a que faire. Car pour y accéder, il lui faut aller au-delà du Père, ce qu'il ne peut se permettre.
Quant au phobique, il restera suspendu à son angoisse, n'exprimant par là que la peur de son objet phobique n'est autre que celle d'une jouissance autre qui relie l'amour et la mort en un instant de panique.
Pour les psychotiques, ce n'est pas une partie du discours qu'ils subvertissent, mais le langage dans son ensemble. Peut-on en déduire qu'ils en savent plus sur cette jouissance autre, féminine, mystique et incestueuse ?

* Cet article est un nouvel argument aux deux séminaires mensuels ouverts au public que fait cette année Chawki Azouri dans le cadre de l'enseignement ouvert de la Société libanaise de psychanalyse. Le séminaire sur « l'amour » a lieu tous les deuxièmes jeudis du mois, jeudi 9 avril pour le prochain, et le séminaire sur l'enseignement de Lacan tous les quatrièmes jeudis du mois, jeudi 23 avril pour le prochain. Aux Créneaux, Achrafieh, à 19h30.
Si nous observons bien les deux figures de sainte Thérèse en extase (sculpture du Bernin) et de ce nourrisson comblé, nous voyons tout de suite qu'il s'agit d'un même état : la jouissance.Nous pourrions penser que le nourrisson est repu parce que sa mère vient juste de le nourrir. Mais sainte Thérèse, elle, qu'est-ce qui la...

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