Rechercher
Rechercher

La présidentielle algérienne, un scrutin sans illusion - Analyse

La présidentielle algérienne, un scrutin sans illusion

La présidentielle algérienne du 9 avril est largement considérée comme jouée d'avance. Et ce en faveur du président sortant Abdelaziz Bouteflika qui brigue un troisième mandat. Ce dernier vise un score massif, alors que les experts prédisent un taux d'abstention record.
En novembre dernier, le Parlement algérien levait la limitation constitutionnelle à deux mandats présidentiels, ouvrant ainsi la voie au président Abdelaziz Bouteflika pour briguer un troisième quinquennat. Vainqueur sans adversaire en 1999, puis réélu en 2004 avec 85 % des voix, M. Bouteflika, 72 ans, devra affronter, le 9 avril, cinq candidats à l'élection présidentielle (voir encadré). Mais, pour les observateurs, les dés sont déjà jetés et le président sortant, qui bénéficie du soutien de l'armée et des services de sécurité, semble quasi assuré de remporter le scrutin.
« Bouteflika ne fait face à aucun adversaire de taille, explique Benjamin Sora, historien français et spécialiste de l'Algérie contemporaine. Les cinq candidats qu'il affronte sont issus de formations minuscules, sont très peu connus et sont pratiquement incapables de diriger le pays à sa place ». En effet, les deux principaux partis de l'opposition sont les grands absents de la présidentielle. Le Front des forces socialistes (FFS) de Hocine Ait Ahmed et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, laïque), de Saïd Sadi, bien implantés en Kabylie, ont décidé de boycotter le scrutin. « L'opposition estime que l'élection présidentielle est jouée d'avance en faveur de Bouteflika, notamment à cause des fraudes, explique Amel Boubekeur, chercheuse au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient, et spécialiste du Maghreb. Le RCD, dit-elle, ne veut pas risquer un mauvais score, alors que le FFS, le plus vieux parti d'opposition en Algérie, estime que la démocratie dans le pays n'est toujours pas transparente ». En Algérie, les chiffres officiels reflètent très souvent mal la réalité. Le taux de chômage, par exemple, s'élève officiellement à 11 %, mais il est estimé à 70 % parmi les adultes de moins de 30 ans. Une enquête parue l'an dernier laissait en outre entendre que plus de la moitié des jeunes hommes algériens étaient tentés par l'émigration clandestine.
Par ailleurs, Mme Boubekeur souligne que les cinq candidats qui affronteront Bouteflika le 9 avril peinent à rivaliser avec le favori du scrutin dont les partisans déploient de gros moyens pour sa réélection. « Le président dispose de moyens financiers pharaoniques comparativement à ses adversaires », affirme l'experte. L'État alloue à chaque candidat 15 millions de dinars (environ 211 000 dollars américains) pour sa campagne, une « somme très insuffisante », selon les adversaires du président sortant.
 
Convaincre les électeurs
La victoire de Bouteflika n'est toutefois pas sans risque. La presse privée algérienne ainsi que les observateurs s'accordent pour affirmer que le taux de participation constitue le véritable enjeu de cette présidentielle et que l'abstention reste le principal adversaire des six candidats. En effet, le taux de participation aux élections législatives de 2007 n'a atteint que 35%, le taux le plus bas lors d'un scrutin en Algérie. « La vraie nouveauté de cette élection est la peur de Bouteflika d'une timide victoire. Le président sortant vise un plébiscite populaire pour asseoir sa légitimité aux yeux de la communauté internationale, explique Mme Boubekeur. Mais l'Algérie n'est pas la Tunisie, et Bouteflika ne peut pas se permettre un score ridicule de 99,9 % comme celui du président Ben Ali qui, contrairement à son homologue algérien, bénéficie d'un large soutien de la France et de l'Union européenne. » « Ce scrutin ne représente pas un grand intérêt pour le peuple algérien qui sait d'avance qu'il n'en résultera aucun changement », estime de son côté M. Sora, auteur du livre Les guerres sans fin. Un historien, la France et l'Algérie (2008). À Alger seule, près de 5 000 associations ont été chargées de convaincre les électeurs de se rendre aux urnes. Le gouvernement a également envoyé des millions de textos sur les téléphones portables pour exhorter les Algériens à aller voter, déclarant: « Ne laissez personne décider pour vous. » Mais, jeudi dernier, plusieurs milliers d'Algériens ont manifesté à Tizi Ouzou, le fief de l'opposition, appelant leurs compatriotes à boycotter l'élection.
 
La « réconciliation nationale »
Le président Bouteflika a fait de la « réconciliation nationale » le thème central de sa campagne électoral. Quelque 150 000 personnes ont péri dans les années 90 durant la « décennie noire », selon des chiffres officiels, et des milliers sont toujours portées disparues. Cette période fut marquée notamment par une succession de massacres de plusieurs centaines de personnes, égorgées ou décapitées, d'attentats à la bombe meurtriers et aveugles contre des civils, de barrages érigés sur les routes par des islamistes tuant hommes, femmes et enfants. En 2005, une « Charte pour la paix et la réconciliation » a été adoptée offrant le « pardon » aux islamistes encore dans le maquis en échange de leur reddition. Le dossier fut ainsi clos. « L'amnistie a choqué une grande partie de la population algérienne qui souhaitait réellement tourner la page des années de violence », indique M. Sora. « La réconciliation nationale n'est qu'une étiquette, renchérit Mme Boubekeur. Les Algériens sont submergés par un sentiment d'injustice sociale et historique parce qu'ils ont été déçus par la politique de réconciliation de Bouteflika. Aujourd'hui, raconte la spécialiste, une Algérienne qui a été violée dans les années 90 peut croiser son agresseur dans la rue. Non seulement est-il libre, mais il obtient également une pension du gouvernement. La victime, par contre, se voit interdire par la loi de parler de son expérience douloureuse, au nom de la paix civile. La réconciliation se construit, elle ne se dicte pas ».
« Le problème est qu'aucun des candidats, pas même Bouteflika, ne possède un programme politique, poursuit Mme Boubekeur. Au lieu de promouvoir un plan pour le redressement de l'agriculture, un secteur très prometteur en Algérie, Bouteflika décide d'effacer toutes les dettes contractées par les éleveurs et paysans quelques semaines seulement avant le scrutin ». « Le vrai enjeu de ce scrutin est la question sociale et économique, estime de son côté Benjamin Sora. La gestion de la rente pétrolière - qui représente 98 % des recettes en devises de l'Algérie - doit être au centre du débat électoral ». Fin 2008, les exportations de pétrole et de gaz avait rapporté à l'Algérie plus de 140 milliards de dollars. « La jeunesse algérienne ressent un malaise social indéniable aujourd'hui », affirme Amel Boubekeur tout en avertissant que, si les problèmes sociaux restent sans solutions, une nouvelle vague de violences et d'émeutes pourrait éclater et paralyser le pays.
En novembre dernier, le Parlement algérien levait la limitation constitutionnelle à deux mandats présidentiels, ouvrant ainsi la voie au président Abdelaziz Bouteflika pour briguer un troisième quinquennat. Vainqueur sans adversaire en 1999, puis réélu en 2004 avec 85 % des voix, M. Bouteflika, 72 ans, devra affronter, le 9 avril,...