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Moyen Orient et Monde

Les ratés de l’abstinence dans la lutte contre le sida

« Le pape vit-il au XXIe siècle ? » s'interrogeait mercredi une ONG camerounaise après les propos du souverain pontife sur le préservatif. Question légitime tant le Vatican de Benoît XVI semble hermétique à la marche du monde.
À l'attention du souverain pontife, voici un petit tour guidé dans la réalité. Commençons par quelques chiffres. Selon le rapport 2008 d'Onusida, 33 millions de personnes, dont 2 millions d'enfants de moins de 15 ans, vivaient avec le VIH en 2007. Si le nombre annuel de nouvelles infections est à la baisse, il s'élevait toujours à 2,7 millions de personnes en 2007. Près de 67 % des personnes vivant avec le VIH et 72 % des décès dus au sida en 2007 se trouvent en Afrique subsaharienne.
Pour lutter contre l'épidémie, le pape prône l'abstinence. Là aussi, un petit rappel des faits s'impose. En 2003, George W. Bush lance un plan d'urgence pour la lutte contre le sida, baptisé Pepfar et doté d'un budget de 15 milliards de dollars. Si l'engagement est louable, il est néanmoins soumis à condition. Selon la loi qui cadre ce programme, le Leadership Act, 20 % des fonds doivent financer la prévention s'appuyant sur un modèle ABC (Abstinence, Be Faithful, use Condoms). En 2006, la tendance évangéliste du programme s'accentue encore : le Leadership Act exige que 33 % des fonds de prévention financent des projets promouvant exclusivement l'abstinence et la fidélité.
Rapidement, de petites organisations évangéliques, dont l'expérience en matière de VIH est proche de zéro, fleurissent sur le continent africain, encaissent les fonds et se lancent dans une fervente promotion de l'abstinence comme unique moyen de lutter contre le sida.
Plus globalement, les autorités de certains pays, appâtées par les fonds américains, revoient entièrement leur politique antisida. Dans un article publié en 2005, Irin, agence de presse liée à l'ONU, relevait ainsi que l'Ouganda, à la pointe jusqu'au début des années 2000 de la lutte contre le sida, avait changé de discours, passant de la promotion du préservatif à celle de l'abstinence. En corollaire, la stigmatisation à l'égard des malades a augmenté, les stocks de préservatifs ont baissé, certains centres médicaux ont commencé à refuser de donner des préservatifs à des jeunes et le nombre d'infections a augmenté.
Les ratés de Pepfar ont également été mis en exergue par une étude commandée par le président Bush lui-même et menée par le Government Accountability Office (GAO). Cette étude a conclu que les conditions posées par Pepfar avaient entraîné une réduction des budgets alloués aux programmes concernant les jeunes sexuellement actifs ou les moyens de prévenir la transmission du virus de la mère à l'enfant. En clair, promouvoir exclusivement l'abstinence comme moyen de lutter contre le sida ne marche pas.
Dans l'absolu, la promotion de l'abstinence ne fonctionne pas. Sous Bush, les mouvements prônant l'abstinence en lieu et place d'une réelle éducation sexuelle ont bénéficié des largesses de l'État, 176 millions de dollars par an. Là encore, un rapport commandé par Bush et réalisé par le Mathematica Policy Research Inc. montre que les jeunes qui ont suivi un programme scolaire d'éducation à l'abstinence sexuelle avant le mariage sont aussi nombreux à avoir eu des relations sexuelles quelques années plus tard que les autres jeunes Américains. Ils ont également eu le même nombre de partenaires et leur première relation sexuelle au même âge (14 ans et 9 mois en moyenne) que les autres Américains. « Il n'y a encore aucune preuve que les programmes d'incitation à l'abstinence soient efficaces pour réduire la grossesse des adolescentes et la propagation des maladies sexuellement transmissibles », insistent les auteurs du rapport.
Personne ne s'attend à ce qu'un souverain pontife soutienne l'utilisation du préservatif. Mais affirmer, sur le chemin de l'Afrique, que le préservatif « aggrave » le problème du sida relève de l'irresponsabilité.
Le pape, « le plus haut responsable de l'Église, exprime un idéal. Il n'entre pas dans les situations concrètes », déclarait mercredi Mgr Jean-Michel di Falco-Léandri, évêque français. En s'exprimant de la sorte sur le préservatif, le pape s'est ingéré dans les affaires du monde sans maîtriser les rouages de l'humanité concrète. Sur certains sujets, il serait bienvenu que le promoteur de l'abstinence s'abstienne.
« Le pape vit-il au XXIe siècle ? » s'interrogeait mercredi une ONG camerounaise après les propos du souverain pontife sur le préservatif. Question légitime tant le Vatican de Benoît XVI semble hermétique à la marche du monde.À l'attention du souverain pontife, voici un petit tour guidé dans la...

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