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Santé

Comment communiquer avec les médias arabes, se demande Médecins du monde

« Sommes-nous totalement à côté de la plaque ? » s'est purement et simplement demandé jeudi dernier le président de Médecins du monde, Pierre Micheletti, lors d'une table ronde sur le thème « Comment communiquer avec les médias arabes ».
« Pourquoi avons-nous besoin de communiquer avec les médias arabes ? Parce que les humanitaires sont confrontés à des problèmes spécifiques de perception qui ne sont pas tout à fait sans risques. Les incidents se multiplient », a ainsi averti d'emblée le président de Médecins du monde, Pierre Micheletti, lors de l'ouverture de la discussion consacrée à la communication avec les médias arabes. Le débat, tenu à Paris, était modéré par la journaliste Agnès
Levallois.
« Lors de l'affaire des caricatures du prophète Mohammad qui a émergé au Danemark, les organisations non gouvernementales (ONG) scandinaves présentes au Darfour ont été menacées. Or le travail des médias contribue à la perception des humanitaires présents sur le terrain, a-t-il poursuivi. L'Occident aujourd'hui n'a plus le monopole de l'information car si CNN fait le champ, al-Jazira fait le contre-champ, et un aller-retour permanent entre les deux est conseillé pour obtenir une information précise ». La communication est donc aujourd'hui devenue essentielle de la part des ONG pour « s'expliquer et se
protéger ».
Roula Zein, journaliste libanaise, a ensuite pris la parole pour mettre en relief l'absence totale de relations entre les journalistes arabes et les ONG. Elle relève en outre que « l'intérêt occidental pour les médias arabes est récent, il remonte au lendemain de la guerre du Golfe ». Les ONG présentes sur le terrain dans les pays arabes sont d'autre part et de manière générale assimilées aux « gouvernements occidentaux et les Arabes ne croient pas vraiment en leur indépendance ». Certaines ONG ont réussi à s'implanter durablement dans la région, à l'instar de Reporters sans frontières, « mais il reste que les autres ont encore beaucoup de travail à faire. Il faut qu'elles trouvent un moyen pour mieux communiquer et il faut pousser les médias à s'intéresser également au travail des ONG. La communication doit se faire dans les deux sens ».

Médias politisés
Pour Mohammad Oifi, professeur à l'IEP de Paris, les médias arabes restent « très politisés car ils sont en fait des scènes politiques de substitution du moment que dans ces pays-là, les institutions sont souvent en panne ou paralysées. Les gouvernements et les différents groupes se servent des médias pour faire de la politique, notamment sur les chaînes câblées qui sont par excellence des scènes de substitution. L'espace public ne fonctionne pas et c'est pour cette raison que les débats sur ces chaînes sont souvent très durs ». De son côté, Mathieu Guidere, professeur à l'Université de Genève, estime que « lorsqu'on connaît la société arabe, on se rend compte que la langue arabe est fondamentale. Cette langue n'est pas simplement une langue de communication, c'est bien plus que cela. De fait, une ONG se décrédibilise si elle ne se met pas au niveau de cette langue, d'autant que l'Occident n'a plus le monopole de l'information ni de la communication. Il faut d'ailleurs dater la fin de ce monopole : il remonte à 1996 avec la création de la chaîne al-Jazira qui bouleverse littéralement le champ médiatique arabe ainsi que les relations entre les téléspectateurs et leur média. Il y a alors une crédibilité nouvelle ».
Pour M. Guidere, « les médias ne sont pas un moyen de divertissement dans le monde arabe et musulman », une remarque qui a fait sursauter plus d'un intervenant à cette table ronde, notamment Caroline Abou Saada, chercheuse suisse spécialiste des questions de perception. « Je me souviens de cette nuit à Beyrouth où j'étais persuadée qu'il y avait un couvre-feu alors qu'en fait tout le monde était devant les téléviseurs pour la finale de la Nouvelle Star... »
M. Guidere a toutefois poursuivi en mettant en relief le « bouillonnement du monde arabe, où tout est politique, même l'interview la plus insignifiante ». Aujourd'hui « les médias arabes ne connaissent pas les ONG et vice versa. Les médias arabes ne connaissent pas la nature, la fonction, la situation des ONG. Celles-ci ne connaissent pas les mécanismes de la langue arabe et il faut s'y faire, les médias arabes parlent l'arabe ! ».

Parler arabe pour se faire accepter
Reprenant la parole, Caroline Abou Saada a souligné la politisation extrême des ONG arabes et la difficulté des populations de comprendre que les ONG occidentales « ne sont pas politisées ». « Selon des études de perception effectuées au Moyen-Orient, il y a une vraie demande de savoir comment fonctionnent ces ONG. Il faut donc sortir d'une communication réactive pour se lancer dans une communication plus à long terme. » Mais pour Mathieu Guidere, il reste indispensable de « parler l'arabe pour se faire accepter, car la terminologie est importante et il faut utiliser le bon mot. Le fait qu'il y ait le terme "gouvernemental" dans l'expression ONG n'est pas pour aider non plus. Quand il y a le terme "gouvernemental", on cherche automatiquement le gouvernement ». Mme Abou Saada a toutefois mis en relief le fait que dans les Territoires palestiniens, « il y avait des ONG avant même qu'il y ait une autorité palestinienne ».
Pour Lynne Frangié, maître de conférences à l'Université de Grenoble, il reste vrai que « la traduction est un problème réel, en tout cas pour al-Jazira, d'après ce qui se dit sur les forums de discussion de cette chaîne. Il est donc vrai que communiquer en arabe, ce n'est pas comme communiquer en français ».
Représentant le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) Paris, Laurent Corbaz a voulu mettre en relief que « communiquer c'est informer, mais c'est aussi clarifier le mandat particulier de l'ONG en question, ses critères d'engagement spécifiques. Il ne suffit pas de les mentionner, il faut fournir un effort d'explication et dans notre cas nous soulignons l'importance du droit international humanitaire. Il nous est impossible de travailler sans communiquer, car il faut que nous soyons acceptés par les populations ».
Aujourd'hui, l'ensemble des délégués du CICR dans le monde arabe sont « arabophones » et « nous travaillons à tous les niveaux ; le site du CICR existe aujourd'hui en arabe, nous avons également fondé un centre de documentation et de communication basé au Caire où nous organisons des séminaires pour les médias locaux et internationaux. Nous avons aussi créé un trimestriel, al-Insan, géré par notre centre du Caire ».
Ce que les intervenants n'ont pas relevé, c'est que les médias arabes ne sont pas uniformes ni totalement arabophones. Le problème réside donc sûrement dans l'absence d'une politique globale mise en place par les ONG elles-mêmes afin de toucher le plus grand nombre.
« Pourquoi avons-nous besoin de communiquer avec les médias arabes ? Parce que les humanitaires sont confrontés à des problèmes spécifiques de perception qui ne sont pas tout à fait sans risques. Les incidents se multiplient », a ainsi averti d'emblée le président de Médecins du monde, Pierre...

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