Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Réactions amnésiques

Des photos cruelles passent à la télé. Je n’ai ni chaud ni froid, mes yeux s’étant habitués. J’opte pour une analyse logique pour enfin me décider. Je suis d’accord avec tous ces gens que je côtoie tous les jours et qui s’indignent de tant d’injustice. Des élèves de tous les États, des États-Unis, d’Inde, de France, d’Angleterre, de la Turquie, de la Pologne et autres ne cessent d’en parler. Pour la première fois, ils sont tous d’avis que ce qui se passe est aussi intolérable qu’injustifié. Je reste silencieuse alors que les voix se font plus énergiques. J’observe de mon coin une unanimité révoltée. Je ne dis rien... Un peu parce que j’ai peur que mon avis soit peu crédible, le passé mouvementé entre mon pays et Israël m’empêchant d’être tout à fait objective. Mais surtout... parce que je n’y crois plus. Non, je ne crois plus en ces réactions qui se veulent humanitaires et justes, qui décident sur un coup de tête de boycotter tous les produits juifs arrivant dans le pays, et pour les plus engagés, de ne plus toucher aux importations américaines, jugeant que les États-Unis sont tout aussi impliqués. Je ne participe à aucune des conversations. Non, je n’y crois plus. Et je ne veux plus être déçue. Je ne veux plus me donner cœur et âme à une cause perdue d’avance. Aussitôt notre rencontre terminée, je vais illico m’offrir un hamburger gras dans le McDo le plus proche rien que pour me convaincre que je ne partage plus leurs idées. Car des réactions pareilles, j’en ai connues dans ma vie. J’ai participé à des manifestations. J’ai beaucoup écrit, sur des papiers finissant à la poubelle, dans des journaux devenant histoire le lendemain, et sur mon ordinateur que j’ai changé plusieurs fois depuis. Je ne veux plus croire en ces personnes qui se disent touchées, l’espace d’un reportage télé, et qui oublient tout le lendemain, offrant immunité, gratuitement, à l’auteur de ces crimes contre l’humanité. Je ne veux plus m’engager pour rester seule dans ma cause quand tous les autres ont des jugements aussi éphémères que les nouvelles de 20 heures. Mon histoire a commencé bien avant. Et ma peine date de bien plus loin dans le temps, une peine ancrée dans mon cœur, une peine que je protège et que je cultive, comme pour me sentir toujours en vie. Je me dis insensible et je leur dis que je n’ai ni chaud ni froid, suscitant encore plus leurs réactions futiles. Ils m’attaquent parce qu’ils ne comprennent pas comment moi, venant du Liban, je ne me sens pas encore plus concernée. Je hausse les épaules, fière d’avoir réussi à mettre un peu plus de feu. Un peu plus tard, seule dans ma chambre, je ressens cette peine qu’ils ont pu, malgré tout, réveiller. Ma gorge se serre et, comme une adolescente en pleine crise, je déteste le monde et ses dirigeants, les grands pays et leurs principes-enveloppe, les discours menteurs et ceux qui les écrivent, les promesses et les projets voués à l’échec dans ce monde terrible. Les larmes me montent aux yeux et je sais que je ne pourrai en parler à mes amis libanais, eux-mêmes divisés. Tout ce que je sais, c’est que j’éprouve, malgré ma raison-censure, la plus grande des déceptions. Et je sais que si j’écris, c’est que, heureusement, moi aussi je réagis. Karen AYAT
Des photos cruelles passent à la télé. Je n’ai ni chaud ni froid, mes yeux s’étant habitués. J’opte pour une analyse logique pour enfin me décider. Je suis d’accord avec tous ces gens que je côtoie tous les jours et qui s’indignent de tant d’injustice. Des élèves de tous les États, des États-Unis, d’Inde, de France, d’Angleterre, de la Turquie, de la Pologne...