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Actualités - OPINION

Inventer un droit aux malades

Évoquer l’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le 10 décembre, sans rappeler le droit des malades et notamment des malades mentaux me semble injuste. Car s’il y a une discrimination en société à abolir, elle est celle de l’atteinte à la dignité. La Déclaration universelle des droits de l’homme l’invoque dès son premier article : « Tous les hommes naissent libres et égaux, en dignité et en droit. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de bienveillance. » Les malades souffrant d’un trouble mental n’ont rien fait, rien demandé pour que s’abattent sur eux les signes graves d’une maladie bipolaire, schizophrénique ou autre obsessionnelle. Pour eux et pour leurs familles, en plus de l’acharnement du sort et du poids de la maladie, c’est l’imaginaire collectif qu’il va falloir combattre et ses présupposés termes de « folie » qui n’ont plus de nos jours aucun sens d’existence, aucune légitimité d’être, tant est hétérogène cette maladie dont on découvre de plus en plus les marqueurs biologiques qui la génèrent. Je souhaite à cet égard évoquer trois situations cliniques, poignantes, qui peuvent mettre à nu cet imaginaire. En effet, la maladie mentale serait assimilée à trois composantes qui hantent sans cesse les esprits : la laideur, le retard mental et la violence. Une maman chez la fille de qui je diagnostiquais un autisme me rétorquait interloquée : comment se fait-il docteur qu’elle soit autiste et si belle ?. Or, rien ne laisse présager une association entre une dysmorphie faciale chez ces enfants – porteurs d’un des plus graves handicaps mentaux – et le trouble autistique. Confondre laideur et maladie mentale, c’est ne pas comprendre que les plus belles « top models » du monde ont souffert d’anorexie mentale et de boulimie, que Brooke Shields a avoué sa dépression du post-partum et que la maladie mentale est par essence ubiquitaire, c’est-à-dire qu’elle touche toutes les populations, tous les sexes et tous les âges. Par ailleurs, une élève d’une classe de sixième souffrant de trouble obsessionnel-compulsif vient m’annoncer un jour, avec toutes les larmes du monde et une nette exacerbation de sa maladie, que les parents de sa meilleure amie l’empêchent de la fréquenter de peur de régresser à l’école, la maladie de son amie intime pouvant la rendre moins apte à continuer son cursus scolaire. Or, il n’existe aucun lien de genèse entre un trouble mental et une atteinte des fonctions supérieures. Certes, la maladie et son traitement peuvent affecter, et durablement, les fonctions intellectuelles de la personne. Toutefois, c’est une idée d’un autre âge que de considérer que pour nos patients, c’est l’affaiblissement de leur esprit qui est à l’origine du mal dont ils souffrent. Les preuves sont innombrables : John Nash, grand schizophrène, a eu le prix Nobel d’économie, Jean-Jacques Rousseau souffrait de paranoïa sensitive, Van Gogh était épileptique… Certes, leur génie n’a rien à voir avec leur maladie, mais ils sont des exemples de la certitude que souffrir n’a rien à voir avec créer et que l’on peut même postuler que la souffrance humaine profonde peut générer quelques grains de création. Enfin, pour un jeune patient souffrant de trouble bipolaire et dont la femme vient d’accoucher d’un garçon, son père me questionnait, pantois : comment va-t-il cohabiter avec son fils, ne risque-t-il pas de le tuer ? À chaque fois qu’un meurtre ou un crime horrible a lieu, on évoque la maladie mentale. Comme si nos patients sont inéluctablement engagés dans un processus de violence, alors que l’ensemble des études attestent que 95 % des crimes dans une société sont commis par des personnes n’ayant aucune pathologie mentale ! Même pire, les données scientifiques mettent plus en évidence la vulnérabilité d’une personne atteinte d’une maladie mentale, bien plus souvent victime d’une agression qu’une personne non malade. La prévalence des crimes violents envers les patients psychiatriques est 11,8 fois plus importante qu’en population générale. Le risque pour une femme atteinte de schizophrénie d’être agressée physiquement et sexuellement est tellement important que les chercheurs parlent d’expérience normative. C’est l’amalgame fait par le grand public et la société qui crée cette confusion et qui ajoute aux souffrances de nos malades et de leurs familles une exclusion sans cause, stigmatisant leur mal au point de les rendre souvent honteux de se diriger vers les multiples offres d’aide qu’on peut leur proposer. Ce faisant, c’est toute la conception d’une société vis-à-vis des personnes les plus vulnérables qui la composent qui mérite une attention, une attention de dignité, au même titre que la violence, le racisme, la xénophobie et toutes les formes de rejet. Dr Sami RICHA Maître de conférences Chef du département de psychiatrie à la faculté de médecine de l’USJ
Évoquer l’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le 10 décembre, sans rappeler le droit des malades et notamment des malades mentaux me semble injuste. Car s’il y a une discrimination en société à abolir, elle est celle de l’atteinte à la dignité. La Déclaration universelle des droits de l’homme l’invoque dès son premier article : «...