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Actualités - OPINION

De guerre (très) lasse L’analyse d’Élie Fayad

Le numéro deux du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, considère qu’Israël a perdu la guerre de Gaza au moment même où il l’avait commencée, pour la simple raison qu’il n’avait pas osé annoncer publiquement ses objectifs de guerre de crainte de ne pouvoir les atteindre. En théorie, et dans une logique purement militaire, le raisonnement de cheikh Kassem revêt une bonne dose de pertinence, dans la mesure où l’État hébreu a soigneusement évité cette fois-ci de rééditer son erreur de juillet 2006, lorsqu’il avait claironné son intention de liquider purement et simplement l’infrastructure paramilitaire du parti de Dieu. On connaît la suite. De ce point de vue, la campagne israélienne de Gaza laisse la porte ouverte à toutes les évaluations, y compris celle du secrétaire général adjoint du Hezbollah. S’il s’avère, à l’avenir, que le Hamas a maintenu intacte ou presque sa capacité de tirer des roquettes sur le territoire israélien, les conclusions du secrétaire général adjoint du Hezbollah auront été les bonnes. Cela étant dit, il convient de relativiser quelque peu, voire de dépoussiérer, ces concepts de victoire et de défaite dont se gargarisent si facilement les orateurs des organisations radicales telles que le Hezbollah et le Hamas, et avant elles le FLN et le Viet-Cong. Mais auparavant, comment ne pas saisir la belle occasion qui se présente d’arroser l’arroseur ? En effet, pour ce qui est de maintenir le flou sur ses objectifs de guerre, nul ne contestera que le Hezbollah fait bien mieux qu’Israël. Car on ne sait toujours pas – officiellement du moins – pourquoi le parti de Dieu entretient un arsenal à si grands frais et y tient comme à la prunelle des yeux. Serait-ce pour libérer les fameuses fermes de Chebaa ? Ce n’est pas assez, nous ont dit à plusieurs reprises les dirigeants du Hezbollah ; anéantir l’État hébreu, ainsi que l’a souhaité le président iranien, Mahmoud Ahmadinajad ? Hassan Nasrallah et ses collaborateurs n’ont jamais confirmé expressément une telle ambition, bien que leur rejet – tantôt explicite, tantôt implicite – du processus de paix arabo-israélien le suggère. Alors, s’agirait-il d’une posture uniquement défensive ? Les discours du secrétaire général vont quelquefois dans ce sens, mais la question n’est jamais tranchée et l’expérience sur le terrain tend à prouver le contraire. Faut-il en conclure, comme cheikh Kassem nous invite involontairement à le faire, que le Hezbollah est lui aussi perdant d’avance dans sa bataille ? En réalité, dans cet Orient verbeux jusqu’à la nausée, les mots n’ont pas le même sens que dans les sociétés plus rationnelles. C’est d’ailleurs à se demander s’ils ont un sens. Quelqu’un de bien malin a dit : « La parole a été donnée à l’homme pour dissimuler sa pensée ». Si ce monsieur avait entendu certains discours orientaux, il aurait ainsi rectifié : « La parole a été donnée à l’homme pour remplacer sa pensée ». *** Les victoires et les défaites, c’était bon pour les guerres d’antan (soit dit sans nostalgie aucune). Deux armées s’affrontent ; l’une d’elles prend le dessus sur l’autre et lui impose ses conditions ; l’autre s’exécute et tout rentre dans l’ordre. Il y avait des déclarations de guerre en bonne et due forme, des proclamations d’objectifs de guerre concrets et des actes de capitulation dûment signés. Mais les campagnes contre des guérillas ont changé la donne, les paramètres et les concepts. Si l’on met de côté la sémantique romantique et la propension à l’autosatisfaction du faible lorsqu’il parvient à chatouiller le puissant, on s’aperçoit que les notions de victoire et de défaite sont devenues totalement obsolètes. Dire que la France a subi une « défaite » en Algérie, les États-Unis au Vietnam et la Russie en Afghanistan relève de l’ineptie. En revanche, on peut dire que tous trois ont « échoué » dans leurs objectifs – somme toute limités – de soumettre leurs adversaires à leurs politiques impérialistes et ont été contraints d’abandonner ces politiques dans les pays cités. Inversement, les « victoires » du FLN, du Viet-Cong et de la résistance afghane étaient du genre amer. L’Algérie s’est dotée d’un régime rigide qui a épuisé ses vraies richesses et débouché sur un massacre généralisé, et le Vietnam est entré dans une longue nuit de misère dont il vient à peine de sortir. Quant à l’Afghanistan, est-il nécessaire de s’attarder sur ses tragédies ? C’est plus ou moins le même processus qui se répète dans les campagnes israéliennes contre le Hezbollah ou le Hamas. À cette différence près que, dans ce cas, le territoire israélien est lui-même à la portée des attaques de la guérilla. Sauf que cette nuance est atténuée par le fait que, jusqu’ici, les souffrances endurées par les uns et par les autres sont loin d’être comparables. *** Mais venons-en à la vraie question. Dans le fond, qu’importe donc à un Libanais ou à un Palestinien de savoir si l’État hébreu a subi une « défaite divine » ou s’il a simplement échoué dans ses objectifs ? L’essentiel, au-delà des considérations sémantiques, n’est-il pas plutôt de savoir où se trouve le succès du Liban ou celui de la Palestine ? Pour le Hezbollah, la réussite ne fait pas de doute, dans la mesure où il est lui-même entièrement installé dans un processus guerrier tenant davantage de la vendetta idéologique que du conflit politique et qu’il lui suffit de faire échec aux campagnes israéliennes pour se doter et doter ses bailleurs de fonds d’un poids à la fois local et régional. Mais en est-il de même, objectivement, pour l’État libanais ? Non, bien sûr, puisqu’aux yeux de ce dernier le seul véritable succès engrangé par la tragédie de 2006 est la résolution 1701 du Conseil de sécurité, qui est pour lui plus qu’un bouclier, un vrai poumon. Or c’est ce même texte que Hassan Nasrallah a récemment jugé « injuste ». D’ailleurs, si la 1701 revêt une importance aussi vitale pour le Liban, ce n’est pas uniquement en raison de l’« aventurisme » reproché au Hezbollah. C’est aussi du fait de l’absence de stratégie de paix du côté israélien. Par la bouche de son chef de l’État, qui vient de renouer magistralement avec la tradition présidentielle la plus authentique, celle qui consiste à protéger en toute indépendance l’entité libanaise contre vents et marées, le Liban a réaffirmé son engagement dans le processus de paix sur la base de l’initiative arabe de 2002, au moment où d’autres, y compris le Hezbollah, veulent à tout prix entériner l’acte de décès de cette initiative. Tant qu’Israël, de son côté, n’aura pas tranché en faveur du marché raisonnable que lui proposent les Arabes modérés, il ne sera pas abusif de dire qu’il est, lui, l’allié objectif de tous les extrémistes du monde arabo-musulman. Le véritable clivage dans cette région n’est plus entre ceux qui se font la guerre. Il sépare désormais ceux qui se font la guerre et ne veulent toujours pas de la paix de ceux qui veulent la paix, mais ne font pas la guerre.
Le numéro deux du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, considère qu’Israël a perdu la guerre de Gaza au moment même où il l’avait commencée, pour la simple raison qu’il n’avait pas osé annoncer publiquement ses objectifs de guerre de crainte de ne pouvoir les atteindre.
En théorie, et dans une logique purement militaire, le raisonnement de cheikh Kassem revêt une bonne...