Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Portrait Pierre Delbès, illustre botaniste et grand amoureux du Moyen-Orient Suzanne BAAKLINI

Pierre Delbès est un nom qu’on ne connaît pas nécessairement, mais on devrait. Botaniste français amoureux du Moyen-Orient, pionnier de l’écologie, il meurt précocement à Beyrouth en pleine rédaction, pour l’Unesco, d’un rapport sur les zones arides. Aujourd’hui, son fils se souvient d’un personnage hors du commun. C’est en 1896 que naît, dans le Lot-et-Garonne, Pierre Omer Delbès. Il mène de brillantes études, décrochant un diplôme d’ingénieur agronome de l’Institut national d’agronomie de Paris en 1913. La botanique, la phytosociologie et l’écologie seront ses passions, qu’il développera dès 1925. Sa vie sera cependant marquée par une participation aux deux guerres mondiales. Son fils, Guy Delbès, avait 23 ans au moment de sa mort, le 11 février 1953, à l’âge de 56 ans. « Il souffrait d’un œdème aigu du poumon et d’une hémiplégie, se souvient-il. Nous avons reçu la nouvelle de son décès à l’hôpital. » Pierre Delbès, qui était marié à une Libanaise de la famille Achi, avait ressenti très tôt une passion pour l’Orient. « Mes grands-parents étaient des propriétaires terriens, mais il n’a jamais voulu rentrer au pays pour s’occuper de ses terres, raconte Guy Delbès. Il a demandé à adhérer à l’armée d’Orient, et s’est fait démobiliser en Cilicie (Turquie). » C’est là qu’il sera nommé, en 1920, adjoint au directeur des services agricoles de Cilicie. En 1922, il crée le centre d’essais et d’études agricoles à Bouka (Syrie), qu’il dirige jusqu’en 1929. « C’était le premier centre de recherche et la première école d’agriculture en Syrie, précise son fils. Dans cette région, il a également exercé ses talents d’archéologue amateur. Avec ses élèves, il a effectué les premières fouilles à Ras el-Chamra, Ougarit. » Après la Syrie, Pierre Delbès devient inspecteur des services agricoles et économiques du Sandjak d’Alexandrette, poste qu’il occupera jusqu’en 1939. Mais il sera mobilisé dès le début de la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, il est nommé conseiller pour l’agriculture et l’économie nationale en Syrie, et le sera jusqu’en 1945. « Plus tard, ce sera le premier ancien haut fonctionnaire de l’État à être invité par la Syrie indépendante pour y continuer ses travaux, souligne Guy Delbès. Il y avait gardé de bons contacts et laissé une bonne impression. Mon père était très libéral, et son respect de toutes les tendances politiques et opinions lui avait valu une grande appréciation en Syrie. Au Liban, durant les dernières années de sa vie, il avait beaucoup aidé les jeunes chercheurs. » De 1945 à 1948, Pierre Delbès sera chargé par le Conseil national de la recherche scientifique d’une mission scientifique au Levant. En 1948, il deviendra membre de la Commission des Nations unies pour la Palestine, et sera, de 1950 à 1953, expert à l’Unrwa. Un ouvrage interrompu par la mort La remarquable carrière moyen-orientale de Pierre Delbès en faisait inévitablement un spécialiste de la région. Il a rédigé une thèse intitulée Recherches phytosociologiques dans l’Amanus méridional qu’il n’a pu soutenir en raison de la guerre. Chargé de mission scientifique par le ministère de l’Éducation nationale, il explore les divers pays du Levant, réalise un herbier exceptionnel de la région, publie plusieurs ouvrages : Contribution à l’étude de la flore de l’Amanus, Notes sur les plantes utilisées dans l’alimentation en Syrie et au Liban, Les associations végétales du désert syrien. Véritable précurseur de l’écologie, il devient dès 1936 conférencier à l’Université de Jérusalem sur l’écologie végétale. Avec son ami Jean Arènes (1898-1960), botaniste du Muséum national d’histoire naturelle, Delbès fera de nouvelles découvertes dans le domaine de la flore libanaise et syrienne. Trois espèces portent d’ailleurs son nom : « Astracantha delbesii » (Eig), plante vivace originaire de Turquie, « Centaurea delbesiana » (Arènes) et « Senecio delbesianus » (Arènes), plantes vivaces originaires de Syrie. Pierre Delbès était un homme de terrain et un ethnobotaniste remarquable, qui s’intéressait surtout à la relation entre l’homme et son environnement végétal. La mort soudaine de Delbès interviendra alors qu’il rédigeait, à la demande du Comité national de la recherche scientifique de l’Unesco, un rapport sur l’écologie des zones arides du Moyen-Orient. En 1955, l’Unesco rendra un vibrant hommage à Pierre Delbès, précisant, dans son rapport d’écologie végétale, qu’elle « attachait un très grand prix à sa collaboration ». « Il a été impossible, pour achever son travail interrompu, d’obtenir le concours d’un autre auteur ayant la connaissance et l’expérience voulues des recherches d’écologie végétale effectuées dans cette région du monde », reconnaît l’organisation. Dans ce rapport, qui a été publié tel quel, Pierre Delbès parle de l’Irak, de la Jordanie, du Liban, de l’Arabie saoudite, de la Syrie et du Yémen. En ce temps-là, et comme le précise l’auteur lui-même, « les zones arides des pays qui constituent la presqu’île arabique sont celles qui, jusqu’à ce jour, ont été le moins étudiées ». Le rapport (dont une copie nous a été fournie par Guy Delbès) donne, entre autres, des précisions sur les caractéristiques climatologiques de l’époque. Sur le Liban, Pierre Delbès constate que ce pays « n’est pas à proprement parler un pays aride ». Il donne des précisions qui peuvent être comparées aux chiffres d’aujourd’hui : « Sur le versant maritime, et jusqu’à une altitude de 1 200 mètres, les précipitations annuelles sont en moyenne de 850 mm. Au-delà de cette hauteur, elles atteignent 1 600 mm, parfois davantage. Sur le versant oriental, la Békaa et l’Anti-Liban, les précipitations diminuent graduellement au fur et à mesure qu’on s’avance vers l’est (…). La température moyenne mensuelle de janvier, le mois le plus froid, est de 13,3°C, et celle d’août, mois le plus chaud, de 26,7°C. Dans l’intérieur, les observations enregistrées à l’observatoire de Ksara indiquent 5,8°C pour janvier et 24°C pendant le mois d’août. » Plus loin, Delbès constate que les forêts de la région littorale « sont généralement très dégradées et, exception faite d’une petite partie de la forêt d’Ehden au nord-est de Tripoli, et de la crête du djebel Ansarieh aux environs de Nebi Younès, où l’on se trouve peut-être en présence des restes d’anciens climats, les débris de forêts qui existent encore aujourd’hui ne donnent qu’une idée très imparfaite des boisements primitifs ». Et d’ajouter : « Le “Cedrus libani” par exemple, qui, d’après les historiens et les textes bibliques, boisait autrefois la montagne libanaise, n’existe plus aujourd’hui qu’à l’état sporadique. » Un prix du Livre Nature Que reste-t-il de l’héritage de Pierre Delbès ? Malheureusement, une grande partie de ses ouvrages est quasiment introuvable aujourd’hui. Son fils confirme que ses nombreuses notes ont été perdues lors des incidents qui ont accompagné l’indépendance en Syrie. Mais Guy Delbès œuvre pour garder vivant le nom de son père, « un homme respectueux des autres et passionné de son métier ». En 1987, il crée le prix du Livre Nature « Pierre Delbès », destiné à récompenser une œuvre littéraire consacrée à la nature. Ce prix, d’une valeur de 2 000 euros, est le premier consacré à la défense de la nature et, pour cela, a été qualifié par la presse de « Goncourt de la Nature ». En 2007, le prix a été attribué à Patrick Mioulane pour son ouvrage L’âme des plantes, publié aux éditions Rustica. Entre autres lauréats, il y a Désirée Aziz, qui a été récompensée en 1997 pour l’ensemble de son œuvre, particulièrement pour son livre sur Le cèdre du Liban.
Pierre Delbès est un nom qu’on ne connaît pas nécessairement, mais on devrait. Botaniste français amoureux du Moyen-Orient, pionnier de l’écologie, il meurt précocement à Beyrouth en pleine rédaction, pour l’Unesco, d’un rapport sur les zones arides. Aujourd’hui, son fils se souvient d’un personnage hors du commun.
C’est en 1896 que naît, dans le...