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Actualités - OPINION

Feuille de route Retourner à l’ère Lahoud ?

de Michel HaJji Georgiou Ils sont bien mal inspirés ces manifestants qui scandaient, devant l’ambassade des États-Unis à Awkar, il y a quelques jours : « Nous voulons revenir à ton ère, Lahoud. » Comparer Michel Sleiman à Émile Lahoud : la plaisanterie est en effet du plus mauvais goût. Gageons, dans tous les cas, qu’elle a dû particulièrement déplaire au chef de l’État. Quelle que soit l’inanité de ces slogans des partisans du Hezbollah, ils restent néanmoins révélateurs de ce que le parti de Dieu exige aujourd’hui (et a toujours exigé) du président de la République – et de tout allié chrétien au demeurant : n’être rien de plus que la couverture légale des faits (et méfaits) de la résistance, le garant du maintien des armes et de la structure du parti. Dans ce cadre, il est tout à fait compréhensible que l’état d’esprit du Hezb soit plutôt à la nostalgie : Émile Lahoud, élément-charnière sur le plan institutionnel dans le cadre de l’alliance des minorités, et donc dans l’axe Syrie-Hezbollah-Iran sous l’occupation syrienne, avait bâti son mandat sur cette fameuse option de la résistance. L’on se souvient ainsi comment, dans une campagne de propagande de l’époque, heureusement passée aux oubliettes, il se prenait pour un pseudo-Christ ayant « changé le sang en eau », le sang étant celui des Sudistes et l’eau celle du Litani... Mais aucune comparaison entre Lahoud et Sleiman ne saurait tenir la route. Là où Émile Lahoud avait, rappelons-le, fait de la fonction présidentielle un artifice entièrement dévoué aux orientations du Hezbollah et de la Syrie, Michel Sleiman est en train de réussir l’insurmontable épreuve d’être le premier président de la nouvelle indépendance. En ce sens, cela suffit en soi à justifier pleinement les attaques du Hezbollah contre le chef de l’État à Awkar. Émile Lahoud se targuait d’être « l’homme de la décision », et il n’y a aucun doute que, pour le Hezbollah, il l’était bel et bien. Homme de décision, Michel Sleiman l’est très certainement aussi. Mais il ne s’agit pas du même type de décision. Il ne s’agit pas non plus du même processus de prise de décision. La différence est là : depuis février 2005 et sa manifestation ratée du 8 Mars, le Hezbollah n’arrive toujours pas à concevoir que le Liban n’est plus le même – ou plutôt qu’il est redevenu ce qu’il était avant l’ère de l’hégémonie syrienne, à savoir un pays indépendant, et qui, malgré toutes ses contradictions, lutte quotidiennement pour exister en soi, envers et contre tous ceux qui veulent se l’approprier. Comment expliquer sinon que même le coup de force du 7 mai 2008 à Beyrouth et dans la Montagne n’ait pas réussi à, totalement, ramener le Liban à la période ante, celle où le Hezbollah constituait la clef de voûte du « projet » libanais (tel que planifié par Damas) ? Dans la pratique, le sommet-mascarade de Doha est parfaitement venu illustrer vendredi cette amère réalité pour le Hezbollah. Michel Sleiman a ainsi été fidèle au rôle ancestral du Liban et du chef de l’État libanais : s’il s’est mis à la même table que les pays du « front du refus », il a cependant adopté un discours posé, fondé sur la légalité internationale et sur la nécessité de pousser Israël à appliquer l’initiative arabe de paix de Beyrouth 2002. Le hasard, l’ironie du sort ont voulu que son intervention aille exactement dans le sens opposé au discours du président syrien Bachar el-Assad. La scène résume bien cette nouvelle situation, intolérable pour le Hezbollah. Émile Lahoud, lui, aurait synchronisé sa position sur celle du régime syrien. Après s’être religieusement imprégné du discours de Bachar el-Assad, il aurait même fait de la surenchère, en accusant, à l’instar de Hassan Nasrallah, l’Égypte et les autres régimes arabes de comploter avec Israël contre Gaza. Il aurait même été plus loin que Khaled Mechaal dans la rhétorique sur la résistance, et aurait probablement dénoncé la collusion de Mahmoud Abbas avec l’axe « sioniste-impérialiste ». Ainsi, ce chantre reconnu de la résistance à Israël qu’est Hamad ben Jassem (HBJ pour les intimes) n’aurait pu dire de lui au sujet de l’initiative arabe, comme il l’a fait pour le président Sleiman dans sa conférence de presse finale : « Il a été mandaté chez lui de cette manière (par le Conseil des ministres), et il ne pouvait pas prendre d’autre position. » Aaah... Émile Lahoud aurait montré devant ses amis, lui, ce qu’est un vrai chef, un vrai résistant ! Heureusement, il n’en a pas été ainsi. Michel Sleiman a tenu un discours digne d’un président libanais. Il a plaidé en faveur de la solidarité interarabe, là où l’Iran œuvre d’arrache-pied pour renverser les régimes arabes. Il a ressuscité l’initiative de paix, que venait juste d’« assassiner » Bachar el-Assad. Encore une fois, il ne pouvait en être autrement : Michel Sleiman a beau être un président consensuel, cela ne fera pas pour autant de lui un président « neutre », sans opinion, ou de compromis, adoptant toujours la position du juste milieu pour ne déplaire à personne. En le portant à la présidence, le 8 Mars et le 14 Mars l’ont restauré dans une fonction d’arbitrage, équivalente à celle du « père » symbolique de la nation. C’est donc lui qui doit établir la justice et faire respecter la norme. Or il ne peut de toute évidence le faire que dans les valeurs et l’esprit libanais, qu’en fonction d’un héritage libanais qui a toujours privilégié l’option fondée sur le dialogue et le droit international au jusqu’au-boutisme et à l’irrédentisme, et ce quelle que soit l’identité des tenants de cette deuxième option. Or le problème du Hezbollah avec Michel Sleiman relève de la logique ; c’est que ce dernier ne considérera jamais, comme Nasrallah, ou comme Lahoud, que le débat sur la stratégie de défense est inutile et « classé », ou encore que la 1701 est une résolution « injuste »... Au risque donc de briser le fol espoir des manifestants du Hezb, Michel Sleiman ne saurait devenir un jour un nouvel Émile Lahoud. Tout au plus, le parti de Dieu et ses alliés pourraient-ils tenter de lui rogner les ailes, comme le régime syrien l’aurait fait en son temps, et à travers maintes tentatives de déstabilisation et moult campagnes politiques de dépréciation – surtout en milieu chrétien. L’objectif étant évidemment de le neutraliser, de le rendre plus « docile » à l’aide des chrétiens du 8 Mars, de le circonscrire à l’intérieur d’une sphère bien délimitée. En somme, de le rendre prisonnier des rapports de force sur le terrain, qui seraient, arsenal oblige, exclusivement en faveur du parti chiite.
de Michel HaJji Georgiou

Ils sont bien mal inspirés ces manifestants qui scandaient, devant l’ambassade des États-Unis à Awkar, il y a quelques jours : « Nous voulons revenir à ton ère, Lahoud. » Comparer Michel Sleiman à Émile Lahoud : la plaisanterie est en effet du plus mauvais goût. Gageons, dans tous les cas, qu’elle a dû particulièrement déplaire au chef de...