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Actualités - OPINION

II – Une Déclaration des droits de l’homme contestée Pr Joseph HADDAD

Les temps modernes ont leurs avantages, dont le principal est cette suite progressive mais de plus en plus accélérée à partir du XIIIe siècle, de la religion, ou d’un monde religieux, face à une société marquée par la science, la technique et le pluralisme religieux, comme l’atteste le célèbre édit de Nantes en 1598 qui rétablit la paix religieuse et la tolérance sans toutefois reconnaître la pleine légitimité du pluralisme (voir L’Orient-Le Jour du jeudi 15 janvier 2009 ). C’est tout de même une percée importante dans la lutte pour la dignité à un moment où l’État était totalitaire. Il a fallu attendre les droits humains de 1789 en France pour affirmer la primauté de l’État de droit sur l’État absolu totalisant, voire totalitaire. À la même époque, on a vu émerger avec force la notion d’égale dignité des hommes par-delà toutes les différences et tous les moyens. Cette dignité est basée sur le principe que la liberté ou l’étincelle de la liberté est présente en tout humain et fait la différence humaine. L’auteur de référence ici est Emmanuel Kant, qui écrivit entre 1780 et 1795 Les grandes critiques. C’est Kant qui est l’auteur d’un hommage à l’homme libre, capable de vivre son émancipation selon la moralité la plus haute. La réflexion de Kant a bouleversé tous les concepts de la liberté. Nous naissons tous libres et égaux au sens où la conscience libre est présente en tout homme et qu’elle fait la différence proprement humaine, celle qui fait sa dignité et qui donc appelle au respect inconditionnel de tout humain en tant que tel. C’est l’invention démocratique de l’homme qui énonce ses droits et sa propre dignité, comme le souligne très bien Claude Lefort. En ce sens, les droits humains, qui sont nés du sentiment, de la prise de conscience, de l’inviolabilité de la dignité humaine, sont en même temps le garant de cette inviolabilité. Le second problème évident : ces aspects sont très loin d’être universellement respectés dans la pratique. S’il en est ainsi, c’est probablement parce qu’il n’y a pas d’accord sur leur nécessité ou parce qu’il y a désaccord sur leurs raisons et leurs principes ; ou encore quand il y a accord sur le principe, il y a désaccord sur leur application. Tout le monde ne comprend pas ou ne veut pas comprendre la même chose. Un spectacle désolant auquel nous assistons aujourd’hui, malgré la compétition mondiale entre champions des droits de l’homme. Le dalaï-lama, à l’occasion du cinquantenaire de la signature de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1995), a souligné l’importance des prises de position en faveur de la défense de ceux qui sont persécutés pour leur race, leur religion, leur ethnie ou leur idéologie car c’est dans cette action que l’on guide en vérité la famille humaine vers la paix, la justice et la dignité. Dans le même ordre d’idée, le secrétaire général des Nations unies de l’époque, M. Kofi Annan, en date du 10/12/1997, rappelle à l’université de Téhéran que les droits de l’homme sont ce que la raison commande et ce que la conscience exige. Et d’ajouter que l’absence de tolérance n’est pas seulement la négation de la dignité humaine ; elle est aussi la racine de la souffrance et de la haine qui suscitent la violence politique et entravent le développement économique. En fait, si l’on revient sur cette fameuse Déclaration des droits de l’homme de 1948, et un demi-siècle plus tard, on constate une contestation sur tous les mots : – Déclaration : quelle est exactement son autorité et sa portée ? Est-ce une charte concrète et applicable ou un chiffon de papier ? – Universelle : est-elle vraiment universelle, et non pas aussi et surtout occidentale, trop occidentale, pour pays démocratiques développés pouvant tous aussi dire « se permettre » les droits humains ? – Droit : quel droit et pour qui ? Il y a aujourd’hui des conflits entre religion et Déclaration universelle des droits de l’homme à propos non pas de ces derniers, mais des droits des individus. – Homme ou humain : mots abstraits, voire généraux. Un autre exemple de charte qui mériterait l’attention est celui de l’Union européenne. Au premier titre figure la dignité humaine. Elle doit être respectée. Toute personne a droit à la vie. Nul ne peut être condamné à la peine de mort ou exécuté. Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale surtout en matière d’interdiction de pratiques eugéniques, d’utiliser le corps humain en tant que source de profit et interdiction de clonage reproductif des êtres humains. Le refus absolu de la torture ou des traitements inhumains ou dégradants, l’esclavage ou le travail forcé. Et pourtant malgré cette insistance sur la dignité humaine, l’on relève des défis à la volonté d’instaurer l’égalité et la liberté que ce soit dans le monde occidental ou ailleurs. Le sujet d’actualité qui illustre bien cette discordance est sans conteste le problème de la dignité, la santé et la bioéthique, et le handicap. Les progrès réalisés en médecine tels que la thérapie génique, l’instrumentalisation du corps, la médecine prédictive ou encore l’aspect juridique de la médecine sont tous de nature à ébranler la dignité. L’enfant cristallise l’avenir de l’humanité. Dans cet esprit, le diagnostic prénatal suscite la question de la naissance préjudiciable, du droit à ne pas naître entraînant la justice à compenser l’incapacité de la société à prendre en charge le handicap, comme le cas médiatisé d’Adrien, en France. La personne ne peut être réduite à son seul fondement biologique. Kant rappelle fortement que ce qui est supérieur à tout prix est ce qui a une dignité dans le rapport fondamental d’altérité. Par ailleurs, le clonage deviendra une réalité pour l’espèce humaine et si la société ne se rebelle pas, elle sera détruite. Tous ces progrès peuvent aliéner l’homme. Et toute la dignité de l’homme vient du souci qu’il manifeste, comme l’a souligné le même Kant. L’avènement du handicap n’est pas un élément mineur dans l’histoire de la dignité. La conception du handicap est beaucoup plus globale que l’on ne pense. Au Moyen Âge, l’infirme – du latin infirmus, ou faible – entre dans la catégorie des pauvres, des marginaux, vagabonds et indigènes, que la société traitait par la bienfaisance privée. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que la notion d’assistance publique apparaît, ainsi que le terme de solidarité. Les mutilés et les invalides des deux guerres mondiales ouvrent l’ère du handicap, de l’anglais « handicap » (main dans le chapeau, course hippique équilibrant les chances des concurrents). On assiste alors à la médicalisation de l’infirmité. L’enfant infirme comme l’adulte sont pris en charge par des institutions. Des lois émergent pour désenclaver le handicap. La personne atteinte devient un sujet de droit soutenu par des mouvements de solidarité, toujours dans le but de lui assurer la dignité, élément essentiel à son épanouissement social et intellectuel. Le handicap reste un thème unanimement reconnu et universellement, évoqué par les politiciens, tantôt pour animer leurs compagnes où se mêlent des notions contradictoires de bienfaisance, d’assistance ou d’intégration, et tantôt manipulé par eux à des fins politiciennes. La société civile est loin d’être inerte dans ce domaine. Ce qui importe c’est de comprendre la socialisation du handicap, d’harmoniser ce dernier dans une société qui ouvre la voie à la dignité de la personne humaine. Acceptation, tolérance, égalité, fraternité et voire liberté sont des mots maîtres dans notre comportement social. Thomas de Konnink, dans son livre sur la dignité humaine, dit : rien n’est plus apte à faire découvrir notre vraie condition d’homme que la reconnaissance de la dignité de tous les humains, y compris les exclus, quel que soit le prétexte de l’exclusion. Sans reconnaissance, au-delà de toute appréciation, de la valeur de chaque être humain, c’est ici le sens du mot dignité, il n’est pas de véritable société humaine. Au terme de ce survol sur la dignité humaine à travers les générations, l’homme reste un produit d’admiration. Façonner l’homme à l’image de son Créateur est un pari très difficile de nos jours. Mais lui accorder l’estime, l’honneur et le respect nous paraît fondamental pour la continuité de l’humanité et l’assurance d’une dignité permanente. L’éthique et le devoir doivent guider notre pensée moderne. La législation internationale fait apparaître une difficulté d’obtenir l’accord des États à l’échelle internationale pour sanctionner toute atteinte à la dignité. Mais si tous les êtres humains composent l’humanité, c’est qu’ils ont tous cette même dignité. Si la liberté est l’essence des droits de l’homme, la dignité est celle de l’humanité. Finalement, la contrainte économique ne doit jamais remettre en question la dignité mais plutôt consolider la solidarité. Pr Joseph HADDAD Pédiatre Article paru le vendredi 16 janvier 2009
Les temps modernes ont leurs avantages, dont le principal est cette suite progressive mais de plus en plus accélérée à partir du XIIIe siècle, de la religion, ou d’un monde religieux, face à une société marquée par la science, la technique et le pluralisme religieux, comme l’atteste le célèbre édit de Nantes en 1598 qui rétablit la paix religieuse et la tolérance sans...