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Actualités - OPINION

Point de vue sur la crise actuelle

Je ne me propose pas de donner mon point de vue sur la crise financière et économique qui secoue le monde en ce moment, car je suis incompétent en la matière. Néanmoins, je pourrais peut-être rappeler certains faits, issus d’un proche passé, qui ont pu en être les prémices, les interpréter et, éventuellement, en tirer certaines conclusions utiles. Souvenons-nous des différents chocs de la Bourse de New York, il n’y a pas si longtemps, et du délire des golden boys de l’époque, milliardaires d’un jour, et qu’Yves Montand aurait volontiers appelés assassins du dimanche dans ses chansons. Le monde de l’économie et des finances, souvent réductionniste, établit parfois certains parallèles entre ces disciplines et celle de la mécanique qui s’occupe elle aussi d’équilibres et de mouvements évolutifs. Pour comprendre mon point de vue, il serait utile d’expliquer, à la manière d’un ingénieur, ce qu’est un choc en mécanique, pour voir comment je comprends ce que sont un choc économique et un choc financier. Quitte à être « mécaniciste », cela pourrait être éclairant et permettrait peut-être aussi d’en tirer certaines règles d’éthique et de valeurs. En termes concis, un choc mécanique est produit par une impulsion appliquée à un corps qui, au lieu de se déployer dans la durée pour donner à ce corps une trajectoire, se déploie dans l’instant au contact d’un obstacle et arrête ainsi le mouvement immédiatement. Si l’obstacle est rigide, l’impulsion est intégralement restituée au corps, qui rebondit en sens inverse ; si l’obstacle est plus ou moins souple, élastique par exemple, l’impulsion ne lui est restituée que partiellement et le mouvement s’amortit progressivement au fil des rebonds successifs. Les mécaniciens connaissent parfaitement ce phénomène, car l’intensité du choc s’évalue dans les mêmes unités que celles de l’impulsion, la mécanique ne mettant en jeu que la masse, la longueur, le temps, ainsi que leurs combinaisons, unités qui, dans leur contexte, sont immuables. Du point de vue de l’économie, il y a une parenté entre ce phénomène et ce que l’on appelle un choc économique. Celui-ci a pour origine un événement, économique ou politique, qui nécessite la prise d’une décision primordiale et immédiate sur une grandeur souvent inélastique. Ce choc est suivi par une crise économique s’étalant sur le temps et générant la récession, le chômage et l’inflation, celle-ci étant la cause d’une dépréciation de l’unité monétaire. Cet état de choses se résout par une réadaptation progressive de l’économie et l’équilibre se rétablit sur de nouvelles bases. On peut alors tabler sur une relance qui déboucherait sur la croissance. La réalité financière est beaucoup plus complexe. L’analyse macroéconomique, soucieuse dans son cadre démocratique de plus d’efficacité et d’équité dans la répartition des biens et des revenus, table dans une large mesure sur le secteur financier et monétaire pour promouvoir ses objectifs. Les institutions et les agents financiers, censés mettre des fonds à la disposition des gens, prennent certains risques, et pour s’en protéger ont recours à des méthodes qui confèrent aux finances un certain caractère de jeu (recherche opérationnelle, théorie des jeux, stratégie, etc.). Cette manière de faire confère à la monnaie, avec le concours prodigieux de l’informatique et des communications d’aujourd’hui, un caractère un peu factice. La monnaie papier, considérée jusqu’à présent comme la plus liquide, est équivalente en unité à la monnaie « digitale » démesurément plus fluide. À la limite, on est dans une situation proche de celle du troc, où l’échange des biens se fait instantanément, sans média, dans le but de satisfaire un désir ou un besoin souvent subjectifs. L’argent aurait-il perdu sa signification? L’unité monétaire est-elle devenue tellement distordue ? Est-il pensable qu’une production déterminée puisse donner lieu, dans certains cas, à des mouvements financiers mille cinq cent fois plus importants que les mouvements commerciaux correspondants dans une durée limitée, autrement dit qu’un bien produit soit acheté et vendu mille cinq cent fois avant d’être consommé, alors que la production n’a de sens qu’à travers la consommation, source de satisfaction ? Il y a la genèse d’un marché purement monétaire, indépendant dans une certaine mesure du marché économique, alors qu’il devrait lui être subordonné, avec une loi d’ajustement instantanée qui a lieu mille cinq cent fois dans cette durée. La monnaie n’est plus une mesure de la valeur économique des biens, mais une mesure d’elle-même par elle-même. En termes cocasse, la monnaie est devenue « nombrilique » et narcissique à travers cette étrange arithmétique ! Pourtant, M. Ervin Laszlo, économiste membre du club de Rome et haut responsable à l’ONU, prévoyait dans son ouvrage intitulé La crise finale (Grasset 1983) l’effondrement complet de la civilisation approximativement pour 2002, celle-ci évoluant inéluctablement vers le chaos. En janvier 2009, est-on arrivé à cette échéance fatale ? S’inspirant notamment des interprétations de la théorie des équilibres ponctués de Stephen Jay Gould, professeur de géologie et de paléontologie à l’université Harvard, et grand charmeur des foules par sa vulgarisation scientifique, ainsi que sur la vision cosmologique d’Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie et professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles, traitant des systèmes dynamiques, non linéaires, instables et dissipatifs de la thermodynamique des processus irréversibles, M. Laszlo prétendait appliquer ces thèses à l’étude des sciences sociales et économiques. Ainsi, il affirmait que l’évolution procède par bonds, que le chaos a une vertu restructurante et prétendait que peut-être des jeunes éclairés pourraient restructurer le monde à leur façon après ce chaos. On fait la science avec des faits, écrivait Henri Poincaré, et, par le passé, le physicien américain Robert A. Millikan, prix Nobel de physique et expérimentateur rigoureux, écrivait en substance qu’il faut se méfier des extrapolations hâtives, basées sur des connaissances insuffisantes. Les scientifiques, soucieux de donner une signification philosophique à leur travail, pensent dans leur unanimité que les connaissances seront toujours incomplètes et insuffisantes tant en physique que dans toutes les autres sciences. Faut-il croire en la fin du système libéral, devenu un peu trop spontanéiste de nos jours ? Peut-être pas. Y aurait-il encore des possibilités de réformes et d’adaptations aux nécessités actuelles ? Je ne saurais y répondre. Néanmoins, il me semble primordial de prendre des mesures adéquates pour limiter l’impact de l’économie virtuelle sur l’économie réelle, seule source véritable de richesses et de prospérité, et de restituer à la monnaie sa vocation initiale de mesure des grandeurs économiques. Dans cette perspective, je serais favorable à une refonte qui repenserait les finalités et définirait des objectifs nouveaux au système financier plutôt qu’une réforme qui ne serait qu’un acharnement thérapeutique visant à donner une certaine longévité au libre-échange, hors duquel les Américains ne savent pas travailler. On risquerait alors de voir le financier subordonner l’économique, ce qui serait absurde. Pour nous autres humains, il serait dangereux de laisser sombrer nos moyens de subsistance dans le monde de l’imaginaire et du concept. Bien plus : des mesures devraient être prises pour reformer le système éducatif, car on ne peut aboutir à un développement véritablement humain en ne proposant aux gens que l’individualisme de Hobbes ou le pragmatisme logicien de Pierce. Le bon sens nous pousse à penser et à agir. Et cette capacité d’action lucide, appelée volonté de puissance par l’éminent psychologue et grand humaniste que fut Alfred Adler, n’en est pas moins une réaction saine et positive au sentiment d’impuissance et de vulnérabilité inhérent à la condition humaine ; quoique cette volonté de puissance poussée à l’extrême ait pu aboutir au culte de la personnalité. Devant ce jacassement permanent des idéologies, des doctrines et des systèmes, le discernement devient difficile, la confusion fréquente dans les valeurs et les peuples, les partisans et les adeptes sombrent de plus en plus dans l’égarement. C’est là où le pluralisme du langage trouve ses limites. Qui croire et à qui faire confiance ? Pour ma part, les principes de l’État de droit sont les plus sensés et les plus rassurants, car l’indépendance et l’organisation des trois pouvoirs permettent de contrôler les dérivés passionnels, s’ils en ont la véritable capacité : intégrité du judiciaire, lucidité du législatif, courage novateur de l’Exécutif. Pour cela, il faut avoir, à mon sens, le réel souci et le véritable respect d’authentiques valeurs morales, intellectuelles, sensibles et matérielles. Ainsi va le monde et ainsi vont les nations : d’unité en décadence, de décadence en renouveau et c’est à ce renouveau qu’il faut croire. Il faut croire en notre renouveau. Car la crise actuelle est, à mon sens, une crise universelle des valeurs, et celle que connaît notre pays n’en est qu’une conséquence et un aspect particulier, très évident même de l’extérieur, à cause de son interminable durée et de son caractère extrêmement tragique. Jean-Pierre KHOURI
Je ne me propose pas de donner mon point de vue sur la crise financière et économique qui secoue le monde en ce moment, car je suis incompétent en la matière.
Néanmoins, je pourrais peut-être rappeler certains faits, issus d’un proche passé, qui ont pu en être les prémices, les interpréter et, éventuellement, en tirer certaines conclusions utiles.
Souvenons-nous des...