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Actualités - OPINION

Mémoire et renouvellement politique

À l’approche des élections législatives, il ne semble à personne surprenant de retrouver, en grande partie, la même classe politique candidate. Le système communautaire libanais, renforcé par la pratique féodale du pouvoir, et malgré lui par les accords de Taëf, a perpétué depuis des décennies, voire des siècles, les mêmes familles ou personnalités, à quelques exceptions près. Ce système aurait pu, notamment à l’aune de la révision constitutionnelle d’après-guerre, permettre progressivement l’émergence d’un renouveau profond des structures politiques. En réalité, l’immédiat après-guerre a conduit à pervertir et rendre permanent le système communautaire temporaire des accords de Taëf. Le renouvellement de la classe politique, qui aurait dû sembler naturel après quinze ans de guerre civile, n’a pas eu lieu. La seule nouveauté fut l’exclusion d’une partie de cette classe politique traditionnelle. En sus de la volonté syrienne, deux événements ont alors contribué à la stagnation politique : – L’arrivée au pouvoir de Rafic Hariri, qui durant dix ans, arbitra et organisa, en collaboration avec l’occupant syrien, le jeu féodal et communautaire traditionnel de la vie politique libanaise ; – La victoire organisée de la classe milicienne lors des élections de 1992. Aujourd’hui, les classes féodales et miliciennes (qui souvent se confondent) sont à nouveau réunies, comme en 2005, pour les élections législatives. La présence de la totalité des acteurs encore vivants de la guerre civile comme candidats à ces élections devrait amener la conscience publique à remettre en question ouvertement la loi d’amnistie de 1992, véritable « coup d’État contre Taëf », explicité à l’époque par Albert Mansour. En effet, l’amnistie et la perpétuation de la mainmise sur les structures politiques et économiques d’une classe politique responsable de la mort de 200 000 personnes et de la disparition de 18 000 autres ne choque guère, alors même que l’évolution des mentalités au niveau international a conduit à la multiplication des instances pénales responsables du jugement des crimes de guerre, des épurations et nettoyages ethniques. Aussi, les responsables directs ou indirects des crimes de masse perpétrés durant la guerre sont le plus souvent qualifiés de « leaders historiques » et d’« hommes d’État ». Ironiquement, ceux-là mêmes sont les premiers à exiger l’instauration d’un tribunal pénal à caractère international pour juger l’assassinat de M. Rafic Hariri. De ce fait, le renouvellement de la classe politique libanaise semble impossible sans remise en cause de la loi d’amnistie de 1992. Plusieurs solutions alternatives sont possibles. Tout d’abord, des solutions pénales, qui ont l’avantage de faire émerger explicitement des responsabilités : mise en place d’un tribunal (national ou mixte sur le modèle cambodgien), saisine de la Cour pénale internationale, création d’un tribunal pénal international spécial sur le modèle yougoslave. D’autres solutions existent, hors du champ pénal, comme celles mises en œuvre en Afrique du Sud (commission Réconciliation et Vérité). Toutes ces solutions ont des avantages et des inconvénients, mais doivent, afin de permettre enfin le progrès, de se « débarrasser » de la classe politique actuelle. Il ne s’agit bien entendu pas de « rouvrir les plaies de la guerre », mais plutôt de libérer la mémoire libanaise. En effet, la société politique libanaise refuse toujours la mise en place de monuments à la mémoire des victimes et des disparus de la guerre civile. Or la guerre civile fut un drame national qui toucha tous les Libanais de manière identique. À ce titre, la guerre est un élément fondamental de la libanité qui a pu émerger depuis 1989. La libération de la mémoire de la guerre, par le biais du jugement ou tout du moins de la reconnaissance de la culpabilité des différents chefs de guerre, doit permettre de penser la citoyenneté libanaise au-delà de clivages communautaires. Il n’est pas surprenant que les générations qui ont connu et pris part à la guerre n’aient pas été capables d’opérer cette transformation. En revanche, la nouvelle génération, les 20-30 ans d’aujourd’hui, ont pour devoir d’investir l’espace public et de demander des comptes, afin de permettre le renouvellement et enfin le progrès. Si les élections de 2009 ne permettent pas le renouvellement nécessaire au progrès du Liban, espérons et participons au changement lors des prochaines échéances législatives de 2013. Mounir CORM
À l’approche des élections législatives, il ne semble à personne surprenant de retrouver, en grande partie, la même classe politique candidate. Le système communautaire libanais, renforcé par la pratique féodale du pouvoir, et malgré lui par les accords de Taëf, a perpétué depuis des décennies, voire des siècles, les mêmes familles ou personnalités, à quelques...