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Actualités - OPINION

Entre ciel et terre

Une semaine dans une grande ville du « territoire européen » – que je ne citerai pas ici – avec mari et enfants, pour les vacances d’été. Il fait chaud, c’est le jour le plus chaud de l’année, mais ce n’est qu’un détail. Directement après l’aéroport, pressés d’occuper l’appartement réservé, nous empruntons rapidement l’alligator de l’immeuble en question, mais voilà qu’il tombe en panne devant tant d’empressement et d’attentes débridées. Stoppé en plein élan, entre le second et le troisième étage. Entre ciel et terre. Coincés. J’appuie sur l’alarme, qui, fort heureusement, communique directement avec une centrale, à partir de laquelle un jeune homme répond. Formidable, il ne va pas nous laisser moisir ! « Nous allons régler votre problème le plus rapidement possible », nous assure-t- il. Quelle courtoisie ! Après tout, nous n’avons rien à craindre, nous sommes loin de la désorganisation des pays moins développés, et quel soulagement de trouver si facilement réponse à ce genre d’urgences, grâce à l’ordre infaillible et si efficace des structures de ce système ! Nous sommes en de bonnes mains et donc confiants jusqu’au bout. Quinze minutes s’écoulent, que se passe-t-il ? Toujours personne pour la rescousse. Nous sonnons de nouveau. Alors ? Où êtes-vous ? « Nous avons pris connaissance de votre situation et nous essayons d’y remédier au plus vite, ne vous en faites pas. » Nous tentons de donner des coups violents à la porte bloquée en espérant être entendus par des piétons ou des voisins de passage – un SDF peut-être ? – mais personne ne semble alerté par notre détresse, dans un immeuble presque vide, un samedi après-midi, en plein mois d’août. Bon, ça va, nous pouvons attendre, mais pourvu que ce ne soit pas trop long, l’ascenseur est de 2 mètres carrés et la chaleur devient insupportable, les trois enfants sont en eau et nous n’avons rien à boire. « Nous serons chez vous, au grand maximum dans une demi-heure », assure la voix suave provenant du haut-parleur. Entre-temps l’oxygène manque et je commence à vraiment paniquer. Les enfants se sentent mal, ils ôtent leurs tee-shirts et grinchent. J’essaie d’aérer l’espace en agitant un morceau de carton trouvé au hasard. Avec les clés de la maison, mon mari entreprend de casser la vitre pour provoquer une petite ouverture, dans l’espoir de laisser pénétrer l’air frais. Mais en vain, ces vitres sont sécurisées et incassables. Peu de temps après, je me sens étouffer et je n’arrive plus à me contrôler. Je sonne encore une, deux, trois, quatre, cinq fois de suite et je commence à hurler. – Vous devez vous dépêcher, enfin, nous suffoquons, appelez les pompiers ou la police si vous ne pouvez pas vous occuper de l’affaire ! Une heure déjà et toujours personne. – Écoutez Madame, ne criez pas, vous allez angoisser vos enfants pour rien. – Pour rien ? Mais il y a de quoi, nous n’en pouvons plus, vous faites quoi exactement ? – Le technicien arrive chez vous, mais il a un peu de mal à trouver une place pour garer. Patientez s’il vous plaît. – Plus que cela ? Je vous en prie, faites plus vite, nous allons tous étouffer et ce sera votre faute ! Une heure et vingt minutes plus tard, le technicien en question débarque et nous ouvre allègrement la porte, s’excusant de son retard, un grand sourire sur les lèvres. Nous avons eu envie de le lui ôter, par décence. Sauvés, oui, mais à quel prix ? Épilogue ? Dans mon pays en voie de développement, nous serions sortis de ce trou en cinq fois moins de temps, avec l’aide d’un voisin, d’un gardien ou de n’importe quelle personne de passage. Il est vrai que nous sommes moins organisés, mais nous sommes aussi moins figés, moins lourds à bouger ou à porter secours aux étrangers. Nous sommes disponibles et présents. Nous n’avons pas grand-chose pour nous soutenir, alors nous n’avons que le choix de compter sur nous-mêmes, sur notre sens de la solidarité et sur notre disposition à réagir promptement, ce qui n’est pas si mauvais que cela, après tout. Notre tissu social tient encore le coup, malgré tout. De grâce, gardons précieusement cette valeur ajoutée de notre peuple ! La structure et les lois ne sont pas faites pour prendre le pas sur l’être humain ; elles sont, en principe, à son service. Qu’elles le restent. Finalement, l’un vaut bien l’autre, dans ces deux systèmes opposés. Là où l’on gagne en techniques de développement et en modernité, l’on risque de perdre également en approche humaine et en savoir-être. Un juste équilibre – entre ciel et terre – demande de la vigilance et une redéfinition des priorités. Sur ces idées sagaces, nous rentrons chez nous, une semaine plus tard, chargés de bons souvenirs… énormément relativisés ! Carla ARAMOUNI
Une semaine dans une grande ville du « territoire européen » – que je ne citerai pas ici – avec mari et enfants, pour les vacances d’été. Il fait chaud, c’est le jour le plus chaud de l’année, mais ce n’est qu’un détail. Directement après l’aéroport, pressés d’occuper l’appartement réservé, nous empruntons rapidement l’alligator de l’immeuble en...