Rechercher
Rechercher

Actualités

En regard l’un de l’autre Élias R. CHEDID

Il fait froid en cette journée de décembre à Beyrouth. Le soleil est bien là, pour quelques rares heures cependant, avare qu’il est en cette période de l’année. Le vent souffle, ce vent humide et porteur de grippe qui pénètre les pierres et glace les esprits. Que d’eau a coulé sous les ponts, que de pleurs n’a-t-elle pas lavées. Beyrouth s’est réinstallée dans sa routine de haines sourdes, à nouveau et pour un temps enfouies, jusqu’à la prochaine crise. Et alors que je marche vers le centre-ville pour la première fois depuis si longtemps, une profonde angoisse m’envahit, une rage impuissante : pourquoi les guerres, celle contre la Syrie, celle contre Israël, pourquoi les martyrs, pourquoi les causes si c’était pour les vendre à si vil prix ? La photo de Pierre Gemayel Jr., dressé face aux ennemis, immortel, défiant le destin. En regard d’elle, un magnifique portrait de Gebran Tuéni qui, parlant de destin, affiche que le sien était celui des hommes (et femmes) libres. En regard d’eux, plus loin, plus surprenant encore, Michel Aoun est en Syrie, où il a décidé d’enterrer unilatéralement la guerre de libération. Je vacille, je tousse, je suffoque. Je pense aussi aux vaillants martyrs du Hezbollah, qui ont défendu l’honneur du pays, et auxquels les tentes minables et autres discours rageurs n’ont certainement pas rendu justice. Il fait vraiment froid en cette journée de décembre et Beyrouth n’a plus rien à voir avec ce que j’ai connu. Ni les rêves secrets, ni la résistance acharnée (clandestine contre la Syrie, armée contre Israël), ni les sourires francs échangés, ni la parole donnée. Même la nation a disparu dans toute sa sacralité. Les gens ne croient plus en rien. Ils s’accrochent parfois, par défaut, par dépit, à d’autres gens, à des politiciens de l’heure, dont ils savent qu’ils ont toutes les chances de les trahir. Moins que les autres, se disent-ils. Et ça leur suffit. Il fait décidément froid en cette journée de décembre, et Beyrouth sent encore le soufre des combats civils récents et le moisi du camp qu’on a levé il n’y a pas trop longtemps. Je me sens comme un homme que vient de tromper ouvertement sa partenaire. Bête, transi, impuissant. Traître, aussi. Cependant, nos deux martyrs de Beyrouth, du haut de leurs portraits, fidèles à leur serment jusque dans leur mort, ne semblent même pas vouloir nous reprocher de les avoir trahis. Ils se sourient pacifiquement, en regard l’un de l’autre. Au Sud et dans la Békaa, les photos en série des sacrifiés de la résistance islamique semblent acquiescer d’indulgence. Aucun d’eux ne semble vouloir relever le fait, flagrant, que nos actes n’aient pas été à la hauteur de ce que nous dictait notre conscience. Et tous nous assurent avec bienveillance que nos divisions, nos multiples négations, si honteuses, si indécentes qu’elles soient, ne sont qu’un nuage temporaire dans le ciel à jamais resplendissant de notre nation. Élias R. CHEDID Dubaï Article paru le samedi 20 décembre 2008
Il fait froid en cette journée de décembre à Beyrouth. Le soleil est bien là, pour quelques rares heures cependant, avare qu’il est en cette période de l’année. Le vent souffle, ce vent humide et porteur de grippe qui pénètre les pierres et glace les esprits. Que d’eau a coulé sous les ponts, que de pleurs n’a-t-elle pas lavées. Beyrouth s’est réinstallée dans sa routine de...