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Actualités - OPINION

Huvelin, au temps des fleurs

C’est avec nostalgie que j’ai suivi les récentes élections de l’USJ. Diplômé il y a deux ans, je ne cesse d’exprimer mon souhait de retourner parmi tous mes profs, mes amis, de revivre toute cette vie universitaire, avec son stress, ses cours et surtout ses luttes, ses campagnes, ses manifestations… À vrai dire, l’Université Saint-Joseph, qu’on veut assimiler – à tort – à une école dans le sens péjoratif du terme, est un haut lieu d’apprentissage. Là, je ne suis en aucun cas en train de faire le marketing d’une institution centenaire, ou de vanter les qualités des jésuites, mais de partager avec les lecteurs de ce journal une très belle expérience, vécue durant des moments difficiles et pourtant heureux. Mis à part la haute qualité de l’enseignement, j’ai appris là-bas à croire au changement. À travailler et lutter pour y accéder. Tant au niveau national qu’aux niveaux académique et institutionnel. J’ai appris que si les gens de bonne volonté restent silencieux, tout demeure inchangé. Que rédiger des lettres, les faire signer à tous les étudiants, réclamant des choses qu’on croyait irréalisables, une amicale au Nord, une cérémonie de remise de diplômes en mastère, une protestation contre un enseignant… toutes ces réclamations peuvent aboutir à des choses concrètes quand elles sont bien préparées, bien argumentées et défendues. Quand elles sont surtout justes, dans un pays où justesse, logique, argumentation et esprit critique n’existent plus. Dans un pays où rien ne bouge plus. Je ne peux oublier l’appui explicite du recteur et de la direction dans les années 2000 à la cause, aux manifestations, aux manifestants. Au point d’avoir décrété une grève générale en 2001 pour protester contre l’entrée des forces de l’ordre au sein du campus de l’université, donnant l’exemple d’une université engagée contre toute injustice et prônant une « résistance culturelle » contre l’occupant syrien – l’expression n’étant pas pour moi, mais de l’ancien recteur, le père Sélim Abou, dont les allocutions, tous les 19 mars à l’occasion de la Saint-Joseph, enflammaient tous les étudiants et toute la classe politique. C’est dans ce cadre protecteur, voire encourageant, que se sont organisées les manifestations de l’époque, dans lesquelles se mêlaient côte à côte des militants du Courant patriotique libre, des Forces libanaises, des Phalanges et du PNL, dont le quartier général est à deux pas du campus. Puis, il y eut 2004, la prorogation du mandat du président Lahoud et la nuit de la 1559. Cette nuit-là, nous étions montés camper aux Cèdres, pour entendre sereinement les nouvelles provenant de New York, loin des yeux et des oreilles des services de renseignements. À l’écoute de la voix de Raghida Dargham, correspondante de la LBC, lisant les articles de la résolution, nous bûmes, dansâmes et fîmes la fête jusqu’au crépuscule. Les aounistes étaient les plus enthousiastes ; le compte à rebours avait commencé ! Le lendemain matin, sur les murs des quartiers entourant l’USJ, la rue du Liban, les rues Huvelin et Monnot, il y avait des affiches bleu ciel, frappées de l’emblème des Nations unies et du numéro 1559, et signées CPL, pour le plus grand plaisir des étudiants, tous les étudiants. L’époque n’était pas encore aux discordes partisanes, mais à l’unité et à la lutte. Une de ces affiches aurait pu rester intacte jusquà aujourd’hui, en face de l’entrée de la faculté, rue Huvelin, si des étudiants aounistes n’avaient pas décidé, eux, de l’enlever en 2006 ! Ensuite, il y eut l’an 2005, point d’inflexion de l’histoire de notre pays. Cette année a marqué pour une très grande tranche de la société libanaise le début de la lutte et du militantisme pour la cause. Pour nous, ce n’était qu’un aboutissement, un résultat de toutes les petites ou grandes campagnes organisées et minutieusement préparées des années durant. C’était le moment où la flamme de la Résistance, pour laquelle des milliers de militants s’étaient fait arrêter et humilier, devrait se propager. Je me souviens de ces manifestations pré-14 mars, et surtout de celle du lundi 21 février, une semaine après l’explosion. Au centre régional de l’USJ, j’avais imprimé deux petites pancartes : « Fichez-nous la paix » et « Merci Chirac ». Cette dernière a fait la une des journaux et télés locaux et internationaux. Je n’ai pu faire sortir de la maison aucun objet en relation avec la manifestation, car mes parents avaient trop peur vu la situation à Tripoli. La directrice du centre du Nord m’avait offert deux drapeaux, l’un aux couleurs nationales, l’autre blanc et bleu, aux couleurs de l’université, que nous avons fait descendre du mât (je garde toujours ces deux drapeaux chez moi). Puis, je pris le bus, seul, pour rejoindre mes camarades à Huvelin, pour une manif qui se dirigera vers l’hôtel Phoenicia, lieu de l’attentat contre Rafic Hariri. Ce jour-là, aucun autre étudiant ne voulut m’accompagner. Des barrages de l’armée fouillaient le bus tous les 20 à 30 kilomètres, ce qui a fait que le trajet dura trois heures ! Au croisement de la rue du Liban-rue Huvelin, plusieurs rangs des forces de l’ordre empêchaient les voitures d’emprunter la voie menant au campus. Une fois arrivé à la faculté, escorté par un capitaine des FSI, j’ai été applaudi comme un héros, pour avoir réussi à faire tout ce parcours, sans que l’arme que j’avais, deux drapeaux et deux pancartes, ne soit confisquée. Je me sentais enfin en sécurité. Après tout, le campus pour moi c’était la Terre sainte pour le pèlerin, la maison pour un soldat rentrant de guerre. Au sein du campus, on est à l’abri de tous les dangers… C’est comme ça que nous avons appris à penser. Cette première manif, en collaboration avec les étudiants de l’AUB, fut un succès. Nous brisâmes le blocus imposé autour de la faculté. Combien fût grande ma joie à la vue de mon amie de l’Université américaine, près de la baie du Saint-Georges. La veille, on doutait encore de la possibilité de pouvoir sortir de nos campus respectifs ! Les lundis se succédèrent, les rassemblements aussi. Je ne suis plus seul à prendre le bus. Durant toute cette période, la direction de l’université fit preuve envers les manifestants-campeurs d’un soutien et d’une souplesse qui s’avérèrent indispensables à la réussite du mouvement. Et les explosions… Surtout la première, celle qui coûta la vie à Samir Kassir, un enseignant à l’institut des sciences po. Le choc fut grand. La colère aussi, surtout la colère, face à l’impuissance. La grève fut décrétée, suivie par tout le monde. On avait voulu assassiner la liberté, les journalistes libres. Le combat n’était donc pas fini. Les étudiants de l’USJ étaient là comme toujours, à porter l’étendard de la liberté de presse. C’est cette université, qu’on accuse de rigidité, qui était à la base de tous les mouvements estudiantins, depuis la fin de la guerre civile, dans les années 90. C’est dans ce bastion de la liberté que nous avons appris à faire la grève, à réclamer haut et fort nos droits en tant que citoyens et en tant qu’étudiants. Un film intitulé Huvelin, le film, verra le jour. Il retracera l’histoire des événements vécus sur le campus et qui ont été à l’origine de beaucoup de changements sur la scène nationale. J’espère qu’il incarnera le vrai visage de cette université. Samedi dernier, des diplômés en mastère ont défilé sur le podium pour recevoir leur diplôme en gestion, pour la seconde année. À présent, c’est à d’autres étudiants de revivre le temps des fleurs à Huvelin. De faire des campagnes électorales, d’organiser des protestations, des manifestations. De grâce, soyez fidèles à la grande histoire de ce campus, à la hauteur des valeurs qu’il représente pour tous et, surtout, profitez-en car la vie à Huvelin ce n’est pas la vie ailleurs ! Au rectorat de l’USJ, au corps professoral, à mes amis de classe, merci d’avoir fait de nos cinq ans d’université un temps de fleurs… Camille MOURANI
C’est avec nostalgie que j’ai suivi les récentes élections de l’USJ. Diplômé il y a deux ans, je ne cesse d’exprimer mon souhait de retourner parmi tous mes profs, mes amis, de revivre toute cette vie universitaire, avec son stress, ses cours et surtout ses luttes, ses campagnes, ses manifestations…
À vrai dire, l’Université Saint-Joseph, qu’on veut assimiler –...