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Rencontre Ieoh Ming Pei, la modestie des grands DOHA - Maya GHANDOUR HERT

Ieoh Ming Pei se déplace avec une canne. C’est normal, direz-vous, il a bien 91 ans. Mais son humour, ses réponses du tac au tac, son humilité et, surtout, sa magnifique réalisation architecturale – le Musée d’art islamique de Doha – (voir « L’Orient-Le Jour » du 24 novembre et du 1er décembre) prouvent que le nonagénaire possède encore la « fringance » et l’esprit vif de sa jeunesse. Son visage possède trois fentes. Les deux premières sont formées par ses yeux ultrabridés. Reste son sourire, à faire fondre un iceberg… À peine a-t-il fait une apparition dans le hall du musée lors d’une avant-première consacrée à la presse internationale qu’une dizaine de journalistes se sont agglutinés autour de lui. « Ce bâtiment m’est très cher. Il m’a aidé à apprendre une autre religion, une autre culture, un autre monde. Et je suis là pour vous en remercier. » C’est par ces mots empreints de modestie et d’humilité que le grand architecte sino-américain a exprimé sa gratitude envers la famille royale du Qatar qui l’a carrément extirpé de sa retraite pour lui confier la lourde tâche d’imaginer et de concrétiser le plus grand musée d’art islamique du Moyen-Orient. Après la transformation du Louvre à Paris, ce projet difficile a été un des plus grands défis de sa carrière, car, dit-il, « je ne connaissais rien à l’art islamique ». La quête menée par cet architecte de 91 ans pour en saisir toute la diversité l’a conduit à parcourir le monde, périple au cours duquel il a exploré la Grande mosquée de Cordoue en Espagne, Fatehpur Sikri, capitale moghole en Inde, la Grande mosquée omeyyade de Damas en Syrie et les « ribats », c’est-à-dire les forteresses de Monastir et de Sousse en Tunisie. Dans tous ces lieux, Ieoh Ming Pei a découvert que l’influence du climat et de la culture avait abouti à des interprétations de l’architecture islamique, mais aucun monument ne lui en a révélé la nature intime. C’est dans le « sabil » (fontaine publique destinée aux ablutions) du XIIIe siècle de la mosquée d’Ahmad ibn Tulun au Caire en Égypte datant du IX siècle qu’Ieoh Ming Pei a trouvé sa principale inspiration, dans «le dépouillement austère qui s’anime avec le soleil, avec les ombres et les nuances qu’il crée». Le «sabil» a représenté pour lui «une expression presque cubiste de progression géométrique » qui lui a évoqué une conception abstraite des éléments clés de l’architecture islamique. Pour I. M. Pei, le choix des matériaux a constitué l’un des principaux défis dans la construction du musée, en raison de sa fonction et de sa proximité avec la mer. «Comme il s’agit d’un musée, une structure solide s’imposait, dénuée de fenêtres afin de protéger les objets précieux à l’intérieur... Le choix des matériaux était l’un des points les plus épineux.» Né en 1917 à Canton, en Chine, Pei a emprunté et prolongé les voies ouvertes par le Bauhaus, puis ce que l’on a appelé le mouvement moderne, et le style international. Il fait aujourd’hui partie de ceux qui ont laissé une marque indélébile dans l’histoire de l’architecture. Ses réalisations sont caractérisées par la recherche d’une certaine pureté des formes alliée à une efficacité fonctionnelle, inscrites dans le mouvement du style international et dans la lignée de Walter Gropius. Le recours aux formes abstraites et l’emploi de matériaux froids, tels que la pierre, le béton, le verre et l’acier, sont accompagnés d’une forte propension aux effets théâtraux et aux défis technologiques. Dans le hall du MIA, on ressent la lumière presque physiquement. « La lumière a une grande importance pour l’architecte, insiste-t-il. Il n’y a pas d’espace sans lumière, pas de forme sans lumière. Et que serait l’architecture sans espace ni forme ? La lumière a toujours été une priorité quand je travaille sur un projet. Je peux dire qu’aujourd’hui, la lumière est la clef de mon architecture. » Il aime aussi se servir des ponts et des ouvertures dans les murs pour créer des combinaisons optiques. L’architecture devient une œuvre d’art, une œuvre qui ne concurrence pas celles qui sont exposées mais qui leur offre, au contraire, une plate-forme idéale. Souriant, serein, Ieoh Ming Pei conclut sa mini-conférence devant une poignée de journalistes par une phrase, en réponse à une question de L’Orient-Le Jour sur ses futurs projets. « J’ai commencé ma carrière par une chapelle, à Taïwan, sur l’île de Formose. Et je crois que je vais conclure ma vie professionnelle par une chapelle, au Japon, cette fois-ci, à Kyoto. » Une déclaration qui prend la valeur d’un beau testament.
Ieoh Ming Pei se déplace avec une canne. C’est normal, direz-vous, il a bien 91 ans. Mais son humour, ses réponses du tac au tac, son humilité et, surtout, sa magnifique réalisation architecturale – le Musée d’art islamique de Doha – (voir « L’Orient-Le Jour » du 24 novembre et du 1er décembre) prouvent que le nonagénaire possède encore la « fringance » et...