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Actualités - OPINION

La parole aux médecins Comment le nourrisson devient-il un être social ?

Par Chawki AZOURI L’amour permet aux amoureux de pratiquer un nouveau langage qui ressemble au premier langage du nourrisson dans sa fusion incestueuse et jouissive avec sa mère : le « babil ». L’étreinte amoureuse réveille en nous précisément l’étreinte mère-enfant qui est encore hors langage, hors la loi, hors sens. C’est le langage conventionnel, institution sociale par excellence qui va s’imposer à l’enfant et l’obliger à renoncer à son babil, de même que c’est une autre institution, le mariage, d’Amour (Cupidon) et de Psyché ordonné par Jupiter qui va les sauver du caractère transgressif permanent d’Amour. C’est donc l’institution du langage qui va faire de l’enfant un être désormais social, en opérant une séparation dans la fusion incestueuse et jouissive de l’enfant avec sa mère. Le babil, qui est une sorte de « langage jouissif et secret entre l’enfant et sa mère », que ni la mère ni le nourrisson ne comprennent, va être refoulé et constituer le fondement de ce que Freud appelle le « refoulement originaire ». Le babil, incompréhensible mais chargé de « jouissance incestueuse », « jouissance Autre », va donc être remplacé par le langage conventionnel. Le refoulement de cette jouissance Autre, incestueuse, est une perte pour le nourrisson, laquelle sera remplacée par une autre jouissance qui n’est plus taboue, la « joui-sens » comme l’écrit Lacan, c’est-à-dire la jouissance du sens des mots. Comment va se faire cette substitution ? Dans sa relation fusionnelle avec la mère, le nourrisson ne se perçoit pas comme entité à part, différente de la mère (ou de son substitut) qui le nourrit. Au niveau de l’être, il n’est pas car « il est l’odeur de la mère, sa voix, son toucher, son regard », etc. Si le nourrisson sent la mère, « il est et le monde est là ». S’il ne la sent pas, « il n’est plus et le monde s’évanouit ». Seulement, la mère n’est jamais tout le temps là, ni jamais tout le temps absente. Dans la plupart des cas. Ce qui va donc provoquer une première rupture dans cette fusion incestueuse, c’est le « va-et-vient de la mère ». Ce va-et-vient va imprimer chez le nourrisson une séquence, « la séquence-absence présence de la mère ». Cette séquence-absence présence s’accompagne ainsi d’une autre alternance, celle « du plein et du vide, du bon et du mauvais ». Comme ses alternances vont se répéter au gré des besoins du nourrissage, elles vont progressivement prendre un sens pour le nourrisson. Ce sens sera le premier auquel va se confronter l’enfant, laquelle confrontation va lui procurer de la « joui-sens » car le nourrisson n’aura de cesse qu’à trouver le sens des absences répétées de la mère. Il va commencer donc à attribuer un sens à cette séquence absence-présence, mais ce sens, il ne le connaît pas. Il commence par saisir qu’il y a un autre lieu que celui de son être fusionnel avec la mère. Ce lieu Autre, il va ensuite réaliser que c’est celui du père. Le premier pas vers son avenir d’être social, le nourrisson va donc le faire grâce à la présence du père, présence du père dans cet Autre lieu qui va attirer régulièrement la mère. Il va donc réaliser que cette séquence signifie au moins que la mère ne peut se contenter de lui, se suffire de leur fusion. « Pourquoi va-t-elle ailleurs ? », « Qu’est-ce qu’elle cherche ailleurs ? », « Pourquoi je ne peux lui suffire ? » Ces questions que l’enfant évidemment ne peut se formuler ainsi vont prendre leur sens ultérieurement : la mère va chercher chez l’Autre, le père, quelque chose que lui ne peut lui donner, quelque chose qui va combler son manque. « Le Phallus », symbole, signifiant ce manque chez la mère, sera le premier sens que le nourrisson trouvera. Ainsi, il va réaliser que sa fusion avec sa mère toute jouissive qu’elle soit ne constitue pas entièrement son monde. Le temps, les efforts psychiques et le plaisir qu’il trouve en réalisant cela compenseront la perte qu’il éprouvera d’avoir perdu une grande partie de la jouissance fusionnelle et incestueuse. C’est « l’enfant de la bobine » observé par Freud qui nous permettra de comprendre comment la « joui-sens » va remplacer la jouissance incestueuse. Un enfant tient une ficelle au bout de laquelle se déroule une bobine. Il jette la bobine sous le lit et la fait réapparaître avec une « grande jubilation » en énonçant Fort-Da (partie-voilà en français). C’est cette jubilation qui témoigne que l’enfant a trouvé dans le jeu le plaisir, la « joui-sens » qui lui permet de renoncer à la séquence absence-présence imposée par la mère. L’enfant a ainsi maîtrisé ce qui lui était imposé par la mère grâce un objet substitutif et aux éléments rudimentaires du langage : le « O » et le « A » énoncés et entendus par l’enfant dans le « Foooooooort » et le « Daaaaaaaaaaaaa ». Comme dans une métaphore, le « O » et le « A » vont permettre à l’enfant de symboliser de maîtriser en substituant, de refouler la jouissance incestueuse de la fusion avec la mère. Cet article est la deuxième partie de l’introduction aux deux séminaires mensuels ouverts au public que fera cette année Chawki Azouri dans le cadre de l’enseignement ouvert de la Société libanaise de psychanalyse. Il organisera un séminaire sur « l’amour » tous les deuxièmes jeudis du mois à partir du 13 novembre et tiendra également un séminaire ouvert sur l’enseignement de Lacan tous les quatrièmes jeudis du mois à partir du 27 novembre. Aux Créneaux, Achrafieh, à 19h30.
Par Chawki AZOURI

L’amour permet aux amoureux de pratiquer un nouveau langage qui ressemble au premier langage du nourrisson dans sa fusion incestueuse et jouissive avec sa mère : le « babil ». L’étreinte amoureuse réveille en nous précisément l’étreinte mère-enfant qui est encore hors langage, hors la loi, hors sens. C’est le langage conventionnel, institution...