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Actualités - OPINION

Combler la vacuité où se développent les fanatismes Pr Antoine MESSARRA

Le Liban, au carrefour des conflits régionaux et terrain d’affrontement par procuration, est fortement concerné par la diplomatie de l’espace euro-méditerranéen en tant que zone de stabilité, de coopération et d’échange. Dans cette perspective, la première réunion, à Naples, du conseil consultatif de la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures revêt, pour les trois prochaines années, une importance capitale pour la relance du processus de Barcelone dans sa dimension culturelle et à l’échelle des 43 pays membres de l’Union pour la Méditerranée dont la population globale s’élève à plus 750 millions d’habitants. Ce fut, des deux côtés de la Méditerranée, et pour les 12 membres du conseil consultatif, un « exercice de partage complexe, ambitieux, exaltant, utile où chacun est pris en compte pour ce qu’il est ». Ce fut aussi un « débat stratégique dans le sens de la solidarité », suivant les expressions d’André Azoulay, nouveau président de la fondation. « Ni décombre ni échec de Barcelone, dit-il, mais un verre à moitié plein. Mais on observe la fracture plutôt que la synthèse. On a tous ensemble régressé en étant spectateurs de cette régression et sans réagir. Pour aller plus loin, il faut jouer différemment. Quelle est la feuille de route, le modus operandi à proposer aux pays membres, en tant qu’espace de proposition et de veille et pour faire quelque chose de vrai ? » Cinq chantiers phares sont proposés, notamment un « observatoire pour comprendre et mesurer les comportements socioculturels », une sorte de baromètre des comportements. Un tel observatoire est d’autant plus nécessaire que les gouvernants sont obligés enfin d’agir, « alors que les opinions publiques aujourd’hui sont ailleurs ». Autres perspectives d’action : convier 30-50 personnalités en vue d’un « état des lieux audible par ceux qui font la décision, introduire le fruit des travaux dans les cursus scolaires et universitaires, là justement où les choses vont se gagner ou se perdre, notamment au Sud » ; tabler sur l’information et l’industrie médiatique « où l’individu est souvent préfabriqué » ; et réagir contre « l’instrumentalisation politique des religions ». Sur ce dernier point, le président André Azoulay relève : « Le fondamentalisme s’est installé par vacuité. Dans ma spiritualité, je me sens otage. Des fanatiques se prétendent les champions du changement, alors qu’ils m’ont escroqué. Nous avons assisté à cet opéra, souvent sans réagir contre la déviation. » Michel Capasso, président de la Fondation méditerranéenne, dont le siège est à Naples, souligne dans un exposé introductif que « culture et diplomatie sont un binôme gagnant ». Stephania Craxi, sous-secrétaire d’État en Italie pour les Affaires extérieures, affirme : « Accueillir les cultures et les impliquer, transformer la Méditerranée en zone de paix, d’échange et de rencontre à un moment où on appréhende la bombe du Moyen-Orient ou depuis le Moyen-Orient. » Le maire de Naples insiste sur deux perspectives : « L’intégration totale dans les villes » et « la mémoire du futur ». Il en résulte, comme le montre le directeur exécutif de la Fondation, André Claret, l’exigence pour une machine immense d’une « vision pour la société civile et avec la société civile ». Idées-forces et tableau de bord Il découle des interventions et des débats des idées-forces, des « chantiers de l’avenir », pour « naviguer mieux », ainsi que des « propositions pour s’impliquer dans des pôles qui se mettent en place », et « un tableau de bord sur ce qui mérite d’être retenu ». 1. Le dialogue et sa finalité : Les participants déplorent une mode du dialogue des cultures, « devenu un luxe dans un espace politique conflictuel » et qui contourne le « vrai débat, le choc des perceptions et la précision des termes du débat ». Il s’agit donc d’ « élever le niveau du débat, car il n’y a pas de dialogue culturel qui évite le pari ». On déplore l’« activisme » et « l’affairement culturel » et on insiste sur l’exigence, relevé par le directeur exécutif, André Claret, que « les programmes partent dans la bonne direction ». On relève aussi qu’il y a un problème de « traductibilité », là où le concept de dialogue, à travers certaines pratiques, sert « à montrer qu’on a raison ». 2. Les valeurs ou les « fondamentaux » : « Il y a des fondamentaux, relève le président André Azoulay, que presque partout on a perdus de vue, des régressions sans scandale, ni cri d’indignation, et même banalisation : On a reculé ensemble ! » 3. Nouveau savoir : Face au « choc des civilisations qui est plutôt un choc des ignorances », à des masses de jeunes « avec lesquels on n’arrive pas à entrer dans leur pensée », à une « fabrication de la réalité », à la modernisation de l’autoritarisme et des techniques de manipulation, il faudra « combiner science et action, ce que nous avons tous appris à ne pas combiner ». Un participant relève : « Nous sommes victimes de mystification politique au détriment de l’identité et de la réalité. » Un autre relève : « Dans tout ce que nous faisons, il faut voir l’interaction avec la société. » Le dilemme réside dans le mode d’appréhension du réel : « Il y a des chocs fraternels qui n’ont rien de fraternel. La pensée, c’est le doute. Or tout se construit chez nous dans des certitudes. Nous avons un sacré problème avec la réalité dans un monde virtuel, un profond décalage avec la réalité vraie et là je me sens impuissante. Il s’agit de créer une contre-réalité par rapport à la réalité qui est devenue virtuelle, bâtir un nouveau savoir. » Autres perspectives en vue de renouveler le savoir : fédérer et animer la société civile et, aussi, exploiter toutes les formes d’intelligence : « Aucune décision politique ne peut réussir sans fécondation culturelle préalable… Il faudra se servir de l’art pour toucher nos émotions qui sont universelles, utiliser ce monde émotionnel qui n’est pas touché : le mariage dans nos 43 pays, l’émigration, l’environnement… Mettons nos émotions à plat. L’intelligence du cœur existe. Le diamant est brillant parce qu’il a plusieurs facettes. » Une participante, universitaire, qui se trouvait en 1994 parmi les passagers d’un avion détourné par des terroristes, raconte qu’elle s’est sentie pour la première fois « face à une autre réalité et sans aucune possibilité ou lueur que l’arme va tomber ». On constate aussi qu’ « avec les identités existantes, il y a impasse » et qu’il faut « un élargissement de la notion d’identité », un « nouvel idéal d’identité ». Comme l’avenir euro-méditerranéen dépend non seulement de données, mais aussi des comportements, il faudra commencer par l’éducation et investir dans l’éducation. Le problème cependant est que « les jeunes d’aujourd’hui reçoivent l’éducation comme extériorité ». On relate des expériences d’approche pour « penser par soi-même où les étudiants étaient heureux d’être embarqués par une éducation humaniste, sans visa et sans frais, instruits au sens vrai du terme ». 4. Remplir la vacuité : L’instrumentalisation de la religion, l’envahissement de l’espace public par des idéologies religieuses, et les intolérances impliquent des engagements qui « remplissent la vacuité que des fanatismes ont remplie. » 5. Médias pour communiquer : On propose en général, et en ce qui concerne la Fondation Anna Lindh, la prudence face à la propension de l’image, le recours à l’image et aux médias à propos de « choses confirmées » et sans ostentation, afin d’être « visible et lisible au bon moment », parce que l’essentiel n’est pas de s’exhiber, mais de « communiquer ». 6. Protection des tissus pluralistes : Il est des cas où « le pathos ne fonctionne que par le canal de la religion » et où la régression est manifeste dans le domaine du pluralisme religieux de certaines sociétés. Des films ont été produits par des cinéastes arabes pour exprimer la nostalgie des années 60 où chrétiens, musulmans et juifs formaient le tissu naturel du monde arabe. On rapporte la déclaration d’une universitaire arabe venue récemment au Liban : « Quand on m’a demandé au Liban : quelle est ta religion ? J’ai été contente, parce que justement dans mon pays la question ne se pose plus ! » Le problème de la Palestine se situe au cœur de la problématique du pluralisme religieux. La sauvegarde du patrimoine de pluralisme exige notamment une culture de légalité où droits et devoirs sont garantis par des normes, et aussi une « mémoire partagée et du futur » qui transcende les antagonismes sans les méconnaître. On propose notamment l’écriture et la diffusion d’une Histoire euro-méditerranéenne à l’usage de tous. Le conseil consultatif, groupe « qui n’est pas là en représentation et libre de toute contingence », a ainsi entamé son travail en un temps où le nombre d’institutions pour l’Euro-Méditerranée est « fascinant », pour un « sujet vendeur, mais qui engage ». Au Liban, la Commission nationale de l’Unesco assure avec efficience la coordination. On reconnaît que mondialement, dans nombre de cas, « on a maquillé les problèmes ». Le Liban était aussi à l’honneur à la cérémonie de clôture pour la remise du prix de la Fondation Anna Lindh à Rima Maroun pour ses photographies Murmures, en tant que meilleure ambassadrice pour le dialogue à travers les arts. Après la guerre de juillet 2006, Rima Maroun a parcouru des villages du Sud afin de photographier des enfants, le dos tourné et face à un mur (article de Maya Ghandour Hert, L’Orient-Le Jour, 22/9/2008). La Fondation Anna Lindh, dans une nouvelle phase triennale, se propose d’« élargir ce qui se faisait », de « camper le paysage », d’apporter « une nouvelle réponse aux vieilles questions », de « fédérer les activités », d’ « adapter chaque stratégie au message », avec « continuité, surtout si le message est complexe », d’encourager et faire connaître « de bonnes et innovantes pratiques et pas seulement de réagir ». Le débat à la Maison de la Méditerranée à Naples se situe ainsi « au cœur de l’Euro-Méditerranée de demain et de ses fondements ». Un engagement et un espoir se dégagent : « Nous pouvons redessiner un nouveau continent et bâtir un nouveau savoir. » Pr Antoine MESSARRA Membre du Conseil consultatif de la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures Article paru le mercredi 5 novembre 2008
Le Liban, au carrefour des conflits régionaux et terrain d’affrontement par procuration, est fortement concerné par la diplomatie de l’espace euro-méditerranéen en tant que zone de stabilité, de coopération et d’échange.
Dans cette perspective, la première réunion, à Naples, du conseil consultatif de la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre...