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Actualités - REPORTAGE

Une région convoitée par des puissances émergentes

Le retour en force de la Russie et l’ambiguïté de la politique chinoise, ainsi que l’émergence de l’Inde dans le monde arabe laissent entrevoir de nouvelles rivalités économiques et stratégiques. Cette situation, selon certains experts, n’est pas sans risques Le monde arabe est l’une des régions qui représentent le plus grand intérêt stratégique et économique en raison notamment de ses importantes ressources énergétiques. Ces dernières années, plusieurs puissances émergentes, dont la Russie, la Chine et l’Inde, sont parvenues à renforcer leur présence dans la région au point de rivaliser avec les États-Unis. Quel est l’agenda de chacune de ces puissances émergentes, très différentes l’une de l’autre et quel rôle comptent-elles jouer sur la scène arabe? « La Russie sous la présidence de Vladimir Poutine s’est réimposée sur la scène internationale et a renforcé son rôle au Moyen-Orient », indique Alexey Malashenko, chercheur associé au Centre Carnegie à Moscou. Depuis 2005, la Russie a renoué ses liens avec ses alliés de l’ère soviétique, comme la Syrie, et a même fait intrusion dans le conflit palestinien, un dossier traditionnellement réservé aux États-Unis. En 2006, l’ancien président russe Vladimir Poutine a, en effet, proposé de jouer le rôle de médiateur pour réconcilier le Hamas et le Fateh à Moscou. Cette initiative n’a toutefois pas eu de suite. M. Malashenko précise que l’action russe au Moyen-Orient est passée de la « propagande » à une implication sérieuse de la part de Moscou. « Le conflit avec la Géorgie est par ailleurs venu consolider la puissance internationale de la Russie », explique-t-il. Vitaly Naumkin, président du Centre international pour les études stratégiques et politiques, basé à Moscou, estime toutefois que le Moyen-Orient n’est pas en tête des priorités russes. « Les intérêts russes dans la région sont importants, mais limités, indique-t-il. Les investissements économiques dans les pays du Golfe et en Turquie sont très importants pour la Russie. Moscou porte également un grand intérêt stratégique pour l’Iran, son voisin, et la Syrie ». M. Naumkin assure toutefois que le projet d’implantation de la flotte russe en mer Méditerranée, notamment dans le port syrien de Tartous, n’est pas réalisable à l’heure actuelle, vu la faiblesse de la Russie dans ce domaine. « La Russie a besoin d’une dizaine d’années encore pour restaurer sa force navale », précise M. Naumkin. Il estime en revanche que la Russie est particulièrement intéressée à pénétrer le marché des ventes d’armes dans la région, ce qui pourrait éventuellement créer une certaine tension avec les États-Unis. « Israël, dont les relations avec la Russie se sont détériorées depuis le conflit géorgien, est très inquiet d’une possible vente d’armes russes à des pays comme l’Iran ou la Syrie qui soutiennent le Hezbollah et le Hamas », souligne l’expert. La Russie, contrairement aux États-Unis, n’a pas ajouté ces organisations islamistes hostiles à l’Occident sur sa liste noire. « Moscou est peut-être irrité par le projet d’implantation du bouclier antimissile américain près de ses frontières, mais la Russie veut éviter toute confrontation directe avec les États-Unis, surtout au Moyen-Orient », indique M. Naumkin. La Chine, de son côté, joue un rôle beaucoup plus subtil et controversé dans la région. Pékin, qui a des intérêts économiques majeurs dans le monde arabe, tente de s’imposer comme un « facteur de stabilisation » dans la région. La Chine, devenue depuis 1993 l’un des plus importants pays importateurs de pétrole, a considérablement renforcé sa coopération avec les pays arabes, au Moyen-Orient et en Afrique. La décision de la Chine d’envoyer 1 000 soldats au Liban-Sud pour intégrer les forces de l’ONU est le dernier exemple de l’implication grandissante de Pékin dans la région. La Chine s’est imposée par ailleurs comme un partenaire stratégique central de l’Iran, qui pourrait représenter une source primordiale d’énergie pour le développement et la modernisation du pays. Cette coopération renforcée ne peut qu’irriter Washington. En Afrique, la Chine est par ailleurs critiquée pour son soutien au régime de Omar el-Béchir, sous le coup d’un mandat d’arrêt international pour des crimes commis au Darfour. Amnesty International accuse de son côté Pékin de fournir des armes aux milices janjawides, proches du gouvernement soudanais. Les investissements chinois à Khartoum ont considérablement augmenté ces dernières années et les intérêts économiques de Pékin dans ce pays sont monumentaux. D’après des sources du ministère soudanais des Affaires étrangères, la Chine a investi plus de 6 milliards de dollars dans 14 projets sur la dernière décennie. Chu Shulong, professeur de sciences politiques à Pékin, rejette ces accusations. « Oui, la Chine est une puissance émergente, mais ses motivations sont d’ordre purement économique, dit-il. Pékin entretient des relations avec le Soudan et d’autres pays au Moyen-Orient depuis très longtemps et ne cherche nullement à rivaliser les Américains, les Russes ou les Européens politiquement. » Selon lui, il est dans l’intérêt de la Chine de préserver la stabilité dans la région, d’où son soutien à l’Iran, entre autres pays. L’Inde est elle aussi une puissance émergente qui entretient des relations diplomatiques cordiales avec les pays arabes depuis des décennies. Son rôle dans la région a toutefois considérablement changé ces derniers temps, surtout avec le renforcement de sa coopération militaire et nucléaire avec les États-Unis, il y a quelques semaines. Melkulangara Bhadrakumar, ancien diplomate indien, précise que le partenariat stratégique entre New Delhi et Washington permettra à l’Inde, pour la première fois depuis son indépendance, d’avoir une présence navale militaire dans la région du Golfe, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. « L’Inde a longtemps été présente dans la région à travers sa force ouvrière », rappelle l’ancien diplomate, tout en ajoutant que le marché du travail dans les pays du Golfe attire de plus en plus de professionnels indiens. « Il existe au Moyen-Orient près de 4 millions de travailleurs indiens qui rapportent au pays environ 12 milliards de dollars », précise-t-il. M. Bhadrakumar indique toutefois que le futur rôle de son pays dans la région reste incertain, notamment après la signature du partenariat stratégique avec les États-Unis. « L’Inde a toujours joué un rôle impartial dans la région et doit continuer à le faire, souligne-t-il. Tout comme les pays arabes, l’Inde est sceptique vis-à-vis de la politique de démocratisation américaine dans le monde. » L’ancien diplomate qui a servi au Pakistan, en Afghanistan et en Iran dit notamment craindre de voir la relation de son pays avec Téhéran se détériorer au profit de ses intérêts avec Washington. Pour Oussama al-Ghazali Harb, expert égyptien en relations régionales, l’émergence de la Russie, la Chine et l’Inde au Moyen-Orient pourrait gravement porter atteinte aux efforts américains dans la région. « La montée en puissance de ces trois pays risque de nuire au processus de démocratisation dans le monde arabe, précise-t-il. D’un côté, la Russie et la Chine n’appliquent pas les bases démocratiques chez eux et l’Inde, d’un autre côté, se soucie peu des efforts américains allant dans ce sens dans la région. » M. Harb note par ailleurs que l’influence croissante de ces pays dans le monde arabe pourrait également ralentir la guerre contre l’extrémisme car ils considèrent que cette lutte relève uniquement des États-Unis. « La Russie, l’Inde et même la Chine sont toutes confrontées à l’islam radical sur leur sol, souligne-t-il. Il est temps de reconnaître que la guerre contre le terrorisme n’est pas une lutte qui relève uniquement des États-Unis, mais que c’est un phénomène mondial très important .» R. M.
Le retour en force de la Russie et l’ambiguïté de la politique chinoise, ainsi que l’émergence de l’Inde dans le monde arabe laissent entrevoir de nouvelles rivalités économiques et stratégiques. Cette situation, selon certains experts, n’est pas sans risques

Le monde arabe est l’une des régions qui représentent le plus grand intérêt stratégique et économique...