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Actualités - REPORTAGE

Les dysfonctionnements de l’administration publique

Qui est responsable du chaos urbanistique dont souffre le pays ? L’architecte urbaniste Habib Debs attribue la cause de ce chaos aux rapports de force entre les acteurs de l’aménagement du territoire au Liban (les hommes politiques, les responsables de l’administration publique, les propriétaires fonciers, les promoteurs, les municipalités, les ONG et les habitants) qui ont généré les pratiques, et les comportements collectifs que nous décrions. Les outils de l’urbanisme au Liban sont-ils inadaptés ? « Non, la loi de l’urbanisme et les outils réglementaires ne sont pas en cause, souligne Habib Debs. Ces outils existent et permettent théoriquement une bien meilleure gestion de la production du cadre bâti. » Il cite en exemple le Schéma d’aménagement du territoire dont il a participé à l’élaboration. Ce cadre de planification, qui a mobilisé un nombre considérable d’experts libanais et étrangers, définit une stratégie de développement durable pour les différentes régions et précise la vocation des espaces ruraux et urbains, en vue de déterminer notamment l’usage approprié des sols. D’une manière globale, Habib Debs explique qu’un des buts principaux de cette stratégie a pour objet de préserver les richesses culturelles et naturelles du Liban et de « rationaliser » l’exploitation économique du territoire. En simplifiant, « le schéma apporte notamment une réponse aux questions types suivantes : quelle part des forêts, du littoral, des quartiers historiques ou de la haute montagne faut-il sacrifier à l’urbanisation dans les décennies à venir ? Dans cette perspective, que devons-nous absolument préserver au titre de l’intérêt collectif, c’est-à-dire au vu des objectifs de développement économique, social et culturel du pays? » Or, ce schéma n’a toujours pas été avalisé par le gouvernement. « Définir des stratégies de développement et réaliser des schémas directeurs, dont 50 % en moyenne dorment dans les tiroirs de l’administration, sont vains s’ils ne sont pas portés par une volonté politique », souligne M. Debs. Les pratiques clientélistes Sur le chapitre des « tadakhoulet » (interférences), pratiques politiques clientélistes allant au détriment de l’intérêt collectif, Habib Debs souligne qu’« il ne sert souvent à rien d’accabler les services de l’urbanisme qui n’interviennent que sur ordre des décideurs politiques, exigeant de faire passer un tel projet ou d’annuler tel autre. Et quand bien même cette administration parvient à grand-peine à faire entériner par un conseil municipal la protection d’une forêt ou d’un quartier ancien, un passe-droit décidé en haut lieu vient exempter un promoteur de la règle venant d’être énoncée ». « Au Chouf, un homme politique a décidé de protéger les forêts de cèdres et les paysages dans sa région, note M. Debs. Il y est arrivé. Quand on veut, on peut. À titre d’exemple, il a été possible de limiter substantiellement la constructibilité des terrains privés qui étaient proches des cédraies. » De même, trois anciens ministres de la Culture, Michel Éddé, Ghassan Salamé et Tarek Mitri, ont fortement voulu préserver le patrimoine culturel, notamment dans les quartiers péricentraux à Beyrouth, et ont agi en ce sens. Mais « leurs projets de lois, bien que prévoyant des mécanismes de compensation des propriétaires fonciers en droit de s’estimer lésés, n’ont pas fait l’unanimité chez les décideurs politiques et sont toujours bloqués au niveau du Parlement », rappelle Debs, ajoutant que « ces ministres éclairés ont agi par conviction personnelle et leurs actes sont restés isolés, sans doute parce que leurs initiatives n’étaient pas directement liées à un enjeu électoral qui aurait pu encourager leurs successeurs à poursuivre cette action ». La véritable question reste la suivante : l’urbanisme et l’environnement peuvent-ils constituer un thème porteur dans le jeu politique? « Je tente ici une proposition : au-delà de la démagogie brumeuse des croisades anticorruption, l’adoption du Schéma directeur d’aménagement du territoire pourra-t-il constituer l’objet d’une instrumentalisation lors de la prochaine campagne politique au Liban ? Les apparences laissent penser que les priorités des Libanais se situent ailleurs pour le moment. Mais peut-être aussi que nous nous trompons ? » souligne M. Debs. Les hauts plateaux du Akkar-Hermel Cependant, les hommes politiques ne sont pas toujours en cause, et les errements des services de l’administration sont légion. Debs révèle à titre d’exemple le cas des hauts plateaux du Akkar-Hermel, « vastes étendues inhabitées, la dernière zone du Liban encore immaculée, peuplée de genévriers et de cèdres », sur laquelle le Schéma d’aménagement du territoire avait proposé de créer un parc naturel. « Soudain, on apprend qu’au pied de Kornet el-Saouda, une route reliant Hermel à Tripoli et traversant ces forêts sera aménagée, révèle M. Debs. Nous avons demandé à l’administration concernée d’arrêter ce projet de route qui sera coupée six mois l’année par la neige et qui ne correspond, par ailleurs, à aucune nécessité économique puisqu’une route similaire existe déjà un peu plus au nord, favorisant des zones habitées. Mais le CDR n’a pu arrêter le projet, qui n’était pourtant pas soutenu par des hommes politiques influents et qui ne constituait un enjeu pour personne d’autre que les exploitants de carrières. Aujourd’hui, de nombreuses carrières exploitées le long de la route défigurent un paysage jusque-là miraculeusement préservé. Cette zone représentait la dernière occasion de créer une réserve naturelle de taille sérieuse au Liban. » L’architecte-urbaniste Debs insiste aussi sur la duplicité présidant souvent à la rédaction des règlements d’urbanisme. « La DGU a décidé une série de réglementations concernant Gemmayzé allant dans le bon sens, indique-t-il. Mais dans la plupart des cas, le texte est rédigé de manière à rendre ces mesures facultatives. C’est selon la tête du client », déplore-t-il, ajoutant qu’en ce qui concerne les projets de tours dans les quartiers de Gemmayzé et Sursock, aujourd’hui en chantier, la DGU n’a pas joué un rôle positif. « Lors d’un débat public organisé devant la presse, on a vu les responsables de l’urbanisme alors en exercice faire le jeu, dans le meilleur des cas par incompétence, des promoteurs en faisant l’apologie de ces tours qu’ils jugent “élégantes” dans les quartiers anciens, au lieu de travailler activement, à l’instar du ministère de la Culture, à présenter des solutions sérieuses permettant la préservation du dernier ensemble historique subsistant dans la ville hors Solidere, souligne M. Debs. Il y a un détournement de la fonction de l’institution. Je suis d’accord pour dire que les moyens de la DGU sont limités et que les responsables de l’urbanisme sont soumis à des pressions politiques qui entravent, dans une large mesure, leur action. » « Il reste toutefois une différence entre subir des pressions et promouvoir la destruction d’un quartier historique », conclut Habib Debs.
Qui est responsable du chaos urbanistique dont souffre le pays ? L’architecte urbaniste Habib Debs attribue la cause de ce chaos aux rapports de force entre les acteurs de l’aménagement du territoire au Liban (les hommes politiques, les responsables de l’administration publique, les propriétaires fonciers, les promoteurs, les municipalités, les ONG et les habitants) qui ont...