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Actualités - OPINION

Quels scénarios pour la région ? Ibrahim TABET

Le caractère multiconfessionnel et les divisions internes du Liban font qu’il y a sans doute peu de pays où les fractions en lutte pour le pouvoir ont autant recours à des protecteurs étrangers et dont le sort dépend autant de facteurs politiques externes. Cette tradition de clientélisation est favorisée par l’enjeu stratégique, hors de proportion avec sa taille, qu’il représente. Elle est d’autant plus d’actualité que jamais il n’y a eu un tel clivage entre deux visions aussi inconciliables de la vocation du pays. Clivage qui concerne à la fois un choix de société et son alignement sur l’un des deux camps s’affrontant sur la scène régionale. Celle-ci n’ayant jamais été aussi explosive, la situation au Liban dépendra d’avantage de l’évolution du dossier nucléaire iranien et des négociations entre la Syrie et Israël que de l’issue des prochaines élections législatives. Comme, de plus, nous traversons une période de transition, en attendant l’élection d’un nouveau président américain, la fonction du dialogue en cours sur la stratégie de défense est seulement de gagner du temps jusqu’à ce que les conditions internationales et régionales tendent plus vers la paix ou la guerre. Face à une situation aussi complexe et à un tel degré d’incertitude, il est pratiquement impossible de prévoir lequel de ces deux scénarios est le plus probable. On peut cependant tenter d’analyser les paramètres dont ils dépendent, à lumière des changements survenus au plan international, régional et local. Changements internationaux et régionaux Les principaux changements géopolitiques et conjoncturels intéressant le Moyen-Orient et le Liban sont : 1- L’amorce d’un déclin relatif inéluctable de l’empire américain et de son influence. Recul attribuable, entre autres, à son surendettement et à sa surextension. Mais aussi, aux erreurs des néoconservateurs qui ont cru pouvoir profiter de la fenêtre d’opportunité ouverte par l’implosion de l’URSS pour asseoir durablement l’hégémonie américaine à travers l’utilisation de sa supériorité militaire, principal atout compétitif dont elle jouit face à ses rivaux potentiels : la Chine, l’Europe, le Japon et la Russie. D’où leur volonté de contrôler le Moyen-Orient et ses ressources pétrolières. Autant que la guerre contre le terrorisme, celle-ci a motivé leur désastreuse intervention en Irak où ils se sont enlisés avec les résultats que l’on connaît : guerre civile, déstabilisation de la région et renforcement de l’Iran. Sans compter l’érosion de leur propre image auprès de l’opinion mondiale. 2- La réémergence d’un monde multipolaire où les États-Unis doivent désormais compter avec la concurrence de nouvelles puissances, principalement la Chine. Où l’Europe essaye tant bien que mal de cesser d’être un géant économique et un nain politique. Enfin où leur hégémonie sans partage commence à être contestée par le réveil de l’ours russe, provoqué par la politique d’encerclement de l’OTAN. La crise en Géorgie en est un parfait exemple. La Russie n’a pas digéré le soutien américain et israélien à ce pays, ce qui ne manquera pas d’avoir des répercussions sur la politique russe au Moyen-Orient. C’est en tout cas le pari qu’a fait Bachar el-Assad en se précipitant à Moscou dans la foulée de l’entrée des troupes russes en Géorgie. Mais il semble que ses demandes d’armes aient reçues une réponse plutôt tiède. 3- La montée en puissance et les ambitions nucléaires de l’Iran, qui instrumentalise l’hostilité du monde musulman envers Israël en soutenant des organisations comme le Hezbollah et le Hamas pour devenir la puissance régionale prédominante. 4- Le retour en force des talibans en Afghanistan et dans les zones tribales du Pakistan occidental. L’accroissement de l’engagement militaire de l’OTAN que cela exigera peut contribuer à faire hésiter la nouvelle administration américaine à ouvrir un nouveau front contre l’Iran. 5- L’apparition d’un clivage régional entre sunnites et chiites, favorisé par la révolution iranienne et l’instauration d’un régime dominé par les chiites en Irak. Développements qui ont inspiré la théorie de la naissance d’un croissant chiite allant de l’Iran à la Méditerranée où le Hezbollah fait office de base iranienne avancée face à Israël. 6- La lente pacification de l’Irak dans le cadre d’une fédéralisation communautaire. Pacification qui n’aurait pas eu lieu si la communauté chiite irakienne n’avait pas fait le choix de l’État avec le soutien iranien, et si les milices sunnites n’avaient pas été neutralisées. 7- La persistance de l’impuissance et des divisions du monde arabe. 8- La rivalité entre la Syrie et l’Arabie saoudite, qui se manifeste notamment sur la scène libanaise. 9- L’intérêt nouveau manifesté par la Turquie pour les affaires du Moyen-Orient. Renforcé par la crainte que le Kurdistan irakien n’accède à l’indépendance, il s’est encore manifesté à travers la médiation d’Ankara entre la Syrie et Israël. Ce tournant survient après une longue éclipse initiée par Mustapha Kemal et poursuivie par ses successeurs dont la politique étrangère était presque exclusivement tournée vers l’Occident, avec comme ambition l’adhésion à l’Union européenne. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’Empire ottoman, siège du califat sunnite, et la Perse chiite ont été pendant des siècles les puissances dominantes d’une région où les Arabes, hier comme aujourd’hui, n’ont joué qu’un rôle secondaire. Cela n’implique pas un retour à la rivalité séculaire entre ces deux pays. Mais la Turquie, membre de l’OTAN et amie d’Israël, est appelée à jouer un rôle pivot aussi bien au Caucase qu’au Moyen-Orient, région où elle constitue à la fois un facteur de stabilisation, un contre- modèle laïc et démocratique et un contrepoids, face aux ambitions de Téhéran. Sans compter que, comme les autres pays musulmans de la région, elle ne peut tolérer que le régime des mollahs n’accède au nucléaire militaire. 10- La reprise des négociations de paix, pour le moment indirectes, entre Israël et la Syrie, avec la médiation de la Turquie et la bénédiction de la France, qui préside actuellement l’Union européenne. Les motivations de chacune de ces parties sont relativement claires. Du côté de la Syrie, qui n’a rien à perdre et fait face à une situation économique difficile, il s’agit de récupérer le Golan, de faire lever les sanctions économiques et de briser l’isolement politique dont elle est l’objet. Elle a d’ailleurs déjà obtenu satisfaction sur ce dernier point grâce à l’initiative française et pourra toujours attribuer l’échec éventuel des négociations à l’intransigeance israélienne. Celle-ci est d’ailleurs prévisible, tant les sacrifices que devra faire Tel-Aviv seront durs à faire avaler à ses colons. Du côté des autres parties prenantes, il s’agit surtout d’essayer de dissocier la Syrie de l’Iran et d’isoler cette dernière, tâche loin d’être facile. Quant à la France, elle cherche également à mettre à profit l’éclipse momentanée des États-Unis pour cause d’élections afin de conforter son influence régionale qui s’inscrit dans la vision du président Sarkozy d’une Union pour la Méditerranée. Sans compter, qu’en échange de son ouverture sur Damas, elle a obtenu certaines concessions concernant le dossier libanais qui lui tient à cœur. Mais il reste à voir si les déclarations de bonnes intentions du régime baassiste seront suivies d’effet. Le président Assad ayant pris soin de préciser que son pays n’avait pas l’habitude de faire des cadeaux. Damas mise d’ailleurs ouvertement sur une victoire du 8 Mars aux prochaines élections, ce qui lui permettrait de recouvrer son influence sur le Liban sans avoir nécessairement besoin de continuer à recourir à ses méthodes de déstabilisation habituelles. 11- Le rétablissement spectaculaire opéré par le régime syrien, hier encore au ban des nations et sur la tête duquel était suspendue l’épée de Damoclès du tribunal international devant statuer sur l’assassinat de Rafic Hariri, dont on entend beaucoup moins parler. Prochain article : Les changements sur la scène locale Article paru le mercredi 8 octobre 2008
Le caractère multiconfessionnel et les divisions internes du Liban font qu’il y a sans doute peu de pays où les fractions en lutte pour le pouvoir ont autant recours à des protecteurs étrangers et dont le sort dépend autant de facteurs politiques externes. Cette tradition de clientélisation est favorisée par l’enjeu stratégique, hors de proportion avec sa taille, qu’il...