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Actualités - OPINION

Le fait culturel est un fait politique Bahjat RIZK

Beaucoup de commentaires brillants ont été faits sur la visite du pape Benoît XVI en France (12-15 septembre 2008 à Paris et Lourdes), visite qui a su allier des préoccupations politiques (à l’Élysée), culturelles (discours au Collège des Bernardins devant 700 intellectuels, la ministre de la Culture et les représentants des communautés musulmanes installés au premier rang et salués nominalement un à un à la fin de la cérémonie) et pastorales (vêpres à Notre-Dame de Paris avec les jeunes, messe aux Invalides et pèlerinage jubilaire à Lourdes). Mais le plus important est de relier les choses entre elles, car même si ces préoccupations ont été vécues dans des temps dissociés et des espaces symboliques parallèles, elles révèlent dans leur globalité les aspects multiples du fait religieux (culturel, politique et spirituel). Chacun se penchera sur l’événement et l’envisagera dans la dimension structurante qui lui est prioritaire, mais il est à signaler que le fait religieux demeure incontournable et qu’il bénéficie d’un regain d’intérêt et d’engagement collectif à l’heure de la mondialisation, de la perte de repères, de la quête de sens et des revendications identitaires. Le pape a fait référence aux « deux pôles que sont d’un côté l’arbitraire subjectif et de l’autre le fanatisme fondamentaliste ». Deux nouvelles donnes, celle du matérialisme et de l’individualisme excessif et celle de la diversité culturelle (que le concept de laïcité, quel que soit son adjectif, ne parvient plus à résoudre). En effet, la laïcité consentie ou imposée ne répond pas à la problématique de la diversité culturelle, elle ne peut que momentanément, par la contrainte, l’annuler. La France tout en étant laïque conserve sur ses onze jours chômés à un niveau national, sept fêtes religieuses catholiques (Noël, Nouvel An chrétien, Ascension, Assomption, Toussaint, Pentecôte, lundi de Pâques), deux jours pour la commémoration des deux guerres mondiales (un peu dépassées par la construction de l’Europe), une fête internationale (du Travail) et une fête proprement nationale qui commémore la Révolution française (14 Juillet, prise de la Bastille). La religion (quel que soit son contenu) conserve donc une dimension structurante dans l’identité d’un groupe (à côté d’autres paramètres), même si elle n’accapare pas toute l’identité. Le fait culturel étant un fait politique dans son essence, toute la question est de savoir s’il est possible de pratiquer un pluralisme culturel (positif) sans le soumettre à des conflits politiques sans fin, autrement dit si le pluralisme culturel peut être partagé comme un patrimoine commun, forgeant une nouvelle identité composée. Certes, les religions monothéistes ont de la difficulté à compromettre leur foi car, en croyant en une seule unique et entière vérité, elles ne peuvent coexister avec d’autres qui les contredisent ou même les complètent. Même si l’absolu de l’homme ne peut être l’absolu de Dieu, puisque l’homme vit dans la finitude, il tend à s’accaparer l’absolu pour se protéger et assurer sa survie. L’instinct de préservation et de survie est au cœur de l’expérience humaine. Les sondages révèlent que même si 85 % des Français ne sont pas ou peu pratiquants, 93 % d’entre eux se font enterrer selon le rite religieux catholique. Depuis le début de la civilisation, les rites funéraires ont été (avec les écrits) au cœur de la culture humaine comme une quête incontournable et désespérée d’éternité. La visite du pape a été une illustration brillante de ce triple lien du politique, du culturel et du spirituel dans le fait religieux. Elle révèle quand même les réactions d’une culture face à d’autres cultures et face à elle-même. Une semaine après la visite du pape, j’ai pu assister à l’intronisation du nouveau métropolite d’Europe occidentale et centrale du patriarcat grec-orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient à la cathédrale grecque Saint-Stéphane, à Paris. Comme pour la visite du pape à l’échelle de la France, cette cérémonie révèle à l’échelle d’une autre culture et d’une autre Église le même lien du culturel au politique et au spirituel. À nouveau, le lien avec les autorités politiques a été évoqué (lettres du président Sarkozy et du Premier ministre Fillon ainsi que de la ministre de l’Intérieur), représentations diplomatiques et politiques de haut niveau de la Syrie, Liban, Palestine, Jordanie, Grèce, acclamations des présidents Assad et Sleiman…). À nouveau, discours sur la diversité culturelle au sein de l’unité en présence des autres communautés chrétiennes et musulmanes. À nouveau discours en arabe, français, anglais et grec, et chants et costumes reproduisant des rites millénaires. J’ai pu réaliser encore une fois combien la communauté grecque-orthodoxe en Orient (Antioche) se vivait de manière régionale (elle est nationale en Grèce et en Russie), alors que la communauté maronite au Liban était essentiellement nationale, ce qui m’a ramené à la problématique culturelle et politique du Liban pluricommunautaire et son projet identitaire (historique) toujours à définir. Comment réunir autour d’une vision commune des communautés qui ont des vécus, des prolongements géographiques et démographiques divers, et des enjeux culturels et politiques différents (cela vaut pour toutes les communautés libanaises, chacune confrontée à son histoire propre et devant cohabiter par défaut avec les autres autour d’un modèle culturel et politique toujours à définir). Presque un mois après la visite du pape en France (où il aura été à nouveau question d’identité, de la nation et de racines chrétiennes de l’Europe et de l’Occident) se tiendra au Québec (17-19 octobre) le XIIe Sommet de la francophonie (55 pays membres + 13 observateurs dont 30 pays dont le français est la langue officielle notamment en Europe : France, Belgique, Suisse, Luxembourg, en Amérique du Nord : Canada, et surtout en Afrique). Le président Sarkozy s’adressera avant le sommet, pour la première fois pour un président français, aux parlementaires québécois. Le Canada est une nation pluriculturelle linguistique. Le Sommet de la francophonie qui se tient au Québec coïncide avec la 400e commémoration de la fondation du Québec. Nous sommes bien sûr à nouveau dans une réflexion sur le pluralisme culturel (mais qui n’est plus religieux dans ce cas mais linguistique) avec le même lien du culturel et du politique. Après le fait culturel religieux, le président français devra se positionner politiquement par rapport au fait culturel linguistique. Le vis-à-vis n’est plus les autres religions, mais les autres langues. Il me semble qu’il était utile de relier ces deux événements entre eux, car ils abordent chacun un aspect culturel et politique de la France. Les paramètres identitaires collectifs ont été définis depuis Hérodote (le père de l’histoire) et se retrouvent identiques dans la charte de l’Unesco (2 500 ans après). La première les envisage dans le cadre de la structuration des groupes, la seconde les appréhende pour les dépasser au niveau des droits individuels. Ils couvrent la langue, la religion, la race et les mœurs. Selon ces paramètres, nous existons en tant que groupes (nations, communautés, unions, fédérations, minorités, etc.) et en tant qu’individus (droits de l’homme). Comment concilier ces deux dimensions qui l’une affirme de manière indispensable à un niveau collectif ce que l’autre s’acharne à nier de manière vitale à un niveau individuel et universel ? Article paru le vendredi 3 octobre 2008
Beaucoup de commentaires brillants ont été faits sur la visite du pape Benoît XVI en France (12-15 septembre 2008 à Paris et Lourdes), visite qui a su allier des préoccupations politiques (à l’Élysée), culturelles (discours au Collège des Bernardins devant 700 intellectuels, la ministre de la Culture et les représentants des communautés musulmanes installés au premier...