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Actualités - OPINION

Une classe politique qui nous mène au suicide

En 1929, à l’époque du mandat français, l’économie mondiale avait été secouée par une crise dévastatrice qui s’était poursuivie pendant des années. Elle avait eu des effets ruineux sur l’économie du Liban et il s’était trouvé qu’en 1932 et au plus fort de cette crise, une élection présidentielle avait eu lieu dans le pays. Les pronostics donnaient cheikh Béchara el-Khoury vainqueur et Émile Eddé, craignant par-dessus tout la victoire de cet adversaire politique, avait proclamé son soutien à l’élection du mufti de Tripoli, cheikh Mohammad el-Jisr, au poste de président de la République. Le bloc soutenant la candidature de Béchara el-Khoury fut ébranlé et se scinda en deux, et une majorité se dégagea en faveur de l’élection de cheikh Mohammad el-Jisr. Le Haut-Commissaire français perdit du coup la raison. Il ordonna la dissolution du Parlement et fit suspendre la Constitution. L’historien Kamal Salibi relate l’analyse que firent alors les autorités françaises de ce comportement de la classe politique libanaise, en ces termes : « L’habileté dont elle fait preuve dans les manœuvres partisanes et le trafic d’influence est bien supérieure à sa perception des problèmes sociaux et économiques du pays ainsi qu’à son désir de les traiter. » C’est cette même classe politique dont a parlé le président Hussein Husseini dans son discours de démission où il a fait mention du non-respect de la Constitution. Il a rappelé à la communauté chiite le grand rôle qu’elle a joué en matière d’arabisme et lors de l’indépendance du Liban, et il a signalé ensuite que la loi électorale de 1960 engendrera cette même classe politique dont nous souffrons. L’alarme est ainsi sonnée par un homme qui est pourtant comblé par la vie, très entouré, très puissant et très influent. Elle vise à nous mettre en garde contre cette classe politique et contre les dangers qui nous guettent si les choses continuent à ce train. La bombe qu’a fait exploser le président Husseini est la deuxième dans l’histoire des procès faits au régime politique libanais et à la classe qui gouverne. En 1970, le président Fouad Chéhab avait refusé d’être élu une nouvelle fois (après son sexennat de 1958-1964). Il avait considéré que ce régime avait besoin de changements radicaux, mais personne ne voulait le suivre dans cette voie. Il avait tiré la sonnette d’alarme, mais la classe politique n’avait prêté aucune attention à son avertissement et avait continué à fêter son adversaire, Sleimane Frangié, jusqu’au jour où eut lieu la grande explosion de 1975. Il ne semble pas que la classe politique ait accordé au cri d’alarme du président Hussein Husseini l’importance qu’il mérite. Celle-ci ne cherche que profit et s’emploie à organiser de nouvelles guerres… parce qu’il est de la nature du régime confessionnel et de cette classe d’accoucher de guerres civiles tous les dix ou quinze ans. Le système proportionnel n’est, lui-même, pas envisagé dans l’étude de la nouvelle loi électorale, alors qu’il est seul à pouvoir générer un groupe qui s’oppose à la classe politique actuelle et forme ainsi une équipe de sauvetage. Le problème de la classe politique libanaise est le même que celui de tous les pays arabes. Ceux qui gouvernent ne produisent pas et ceux qui produisent ne gouvernent pas. Ceux qui gouvernent sont devenus des « enfants à charge » pour les autres… Sur les 359 députés qui ont été élus au cours de cinquante années de vie parlementaire, plus de 300 ont hérité leur siège de leur « paternel » ou d’un proche. Aujourd’hui, la société urbaine libanaise n’assure plus le pouvoir et la sécurité. L’antagonisme entre le pouvoir et la civilisation n’est pas nouveau dans le monde arabe, qui a vécu une contradiction tragique entre la civilisation authentique et le pouvoir bédouin, rural, salafiste, intégriste ou tribal, les deux pôles contraires ayant fait l’expérience d’une cohabitation dramatique non équilibrée. La société urbaine est celle de la classe moyenne, des gens instruits qu’elle regroupe, des commerçants et des cadres moyens et supérieurs qui la composent. Cette société ne génère plus le pouvoir et la force de maintien de la sécurité. Celle qui enfante le pouvoir est à présent la société des forces confessionnelles et intégristes, celle des clans salafistes, ruraux et tribaux. C’est cette société qui a débarqué dans la ville, qui s’est armée et qui dispose désormais du pouvoir effectif et de la capacité de maintien de la sécurité. La preuve en a été donnée lors des événements du 7 mai à Beyrouth… La fragilité de cette société urbaine est apparue quand elle s’est révélée incapable d’enfanter une force politique et sécuritaire et un pouvoir lui permettant de se gouverner elle-même. Très vite ont émergé des forces confessionnelles, rurales, intégristes et salafistes, qui étaient négligées et vivaient dans la misère. Ces forces ont envahi la ville et nous ne savons pas encore si la société urbaine sera capable de reprendre en main ses affaires. Rappelons-nous que la classe politique qui la gère fait montre d’une « habileté dans les manœuvres partisanes et le trafic d’influence, qui est bien supérieure à sa perception des problèmes sociaux et économiques du pays ainsi qu’à son désir de les traiter. » Le meilleur exemple de cette primauté de la manœuvre politicienne par rapport à l’attention donnée aux problèmes nationaux, économiques et sociaux est le rapprochement et l’alliance intervenus entre le courant aouniste et le Hezbollah. C’est la répétition de l’histoire ayant eu lieu du temps du mandat français, lorsque Émile Eddé s’était allié à cheikh Mohammad el-Jisr pour faire échec à Béchara el-Khoury… Au Liban, la civilisation est d’un bord et le pouvoir effectif est d’un autre bord ! L’appareillage de la société urbaine est en panne. Peut-être parce que ses gérants ont trop manœuvré et qu’ils ont à présent jeté l’éponge. Ils ne sont d’ailleurs habiles que dans les manœuvres. Les autres forces intégristes, salafistes et tribales qui se sont armées sont désormais le vrai pouvoir et ont en main la sécurité. Le président a tiré la sonnette d’alarme en 1970, mais la classe politique est demeurée indifférente jusqu’au jour où advint l’explosion de 1975. L’accord de Taëf a bien tenté de restituer aux forces urbaines leur pouvoir, mais il est resté lettre morte. Aujourd’hui, le président Husseini tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme. Il dit que la loi électorale accouchera de la même classe politique. Il s’agit d’une classe urbaine, mais qui est désormais incapable de créer un pouvoir et d’assurer la sécurité. Le pouvoir et la sécurité sont ailleurs et la société urbaine recule tous les jours d’un pas. Sa fragilité est de plus en plus visible. Sa classe politique ne brille que dans les manœuvres. C’est une classe qui semble, d’après son comportement, avoir capitulé. Toutes ses composantes apparaissent comme des charges pour les autres citoyens. Le système proportionnel lui-même, qui est pourtant la planche de salut permettant de changer ne serait-ce que partiellement, la classe politique, est interdit d’étude. Nous sommes réellement à une croisée de chemins. Aujourd’hui la classe politique, qui a déposé les armes, a choisi d’appliquer le vieil adage qui dit que « mieux vaut un seigneur ignare qu’une sédition qui dure ». Le corps de la civilisation est gouverné et les forces rurales, tribales, salafistes et intégristes gouvernent. Le pouvoir n’a pas sa source dans l’isotope de la civilisation. Il ne s’appuie pas sur elle et ne tire pas d’elle sa légalité comme il aurait été naturel dans le monde civilisé. Ces forces rurales, tribales, salafistes et intégristes tirent leur pouvoir de leur force militaire imposée par le fait acquis. La sécurité est en leurs mains. Ce sont elles qui l’imposent et qui la suppriment au gré de leurs fantaisies et au mépris de toute justice, et c’est ainsi qu’un seigneur imbécile devient préférable à une sédition continue… La mission essentielle de l’État chez Machiavel est celle d’assurer la sécurité et non le respect des bonnes mœurs et de la liberté. Telle était la préoccupation principale de l’État au cours de la grande histoire arabe et elle est la même à notre époque. Al-Hassan avait renoncé en faveur de Moawiya pour arrêter l’effusion de sang et éviter la sédition. La société urbaine libanaise renoncera-t-elle, avec sa classe politique, au pouvoir en contrepartie de la sécurité pour éviter la guerre civile ? Il reste, avec l’impasse historique que nous vivons, que le raffermissement de la société urbaine est la condition nécessaire pour que la société civile puisse ancrer les règles démocratiques, ses lois, sa pratique et ses usages. Une chute de cette société urbaine entraîne immanquablement une chute de la démocratie. C’est ainsi que les démocraties se sont écroulées dans les pays arabes et qu’il n’en reste que la forme. C’est à cela que le président Hussein Husseini faisait mention dans son discours de démission, et c’est cet avertissement qu’il voulait lancer. La proportionnelle dans la loi électorale devait être une réponse, même symbolique, à cet appel du président Husseini, mais il se trouve que la classe politique veut persévérer dans la voie qui mène au suicide. Abdel Hamid EL-AHDAB Avocat
En 1929, à l’époque du mandat français, l’économie mondiale avait été secouée par une crise dévastatrice qui s’était poursuivie pendant des années. Elle avait eu des effets ruineux sur l’économie du Liban et il s’était trouvé qu’en 1932 et au plus fort de cette crise, une élection présidentielle avait eu lieu dans le pays. Les pronostics donnaient cheikh...