Rechercher
Rechercher

Actualités

Mais comment je vais faire ? Hanane ABBOUD

Débranchée d’une réalité totalement schizophrénique, j’ai trouvé dans une distance géographique et mémorielle une sorte de confort provisoire que j’essaie d’entretenir autant que possible. En faire, comme on dit et comme c’est si souvent le cas, un « provisoire qui dure ». Je ne demande rien de plus à ce « pays », à mes « amis », à mes « concitoyens », à nos « voisins », à nos intellectuels – ministrables ou non –, à nos ministres, à nos députés, aux marchands qui vendent ce pays par petits ou gros bouts de mer, de montagne, de sable, de supermarchés, aux fabricants de superhéros et d’histoire remaniée, aux faiseurs de phrases et de statues pour la postérité… À personne ! Je ne demande plus rien à personne. Je n’exige rien, je ne revendique rien. Ma carte d’identité ne me sert plus qu’à obtenir un passeport et mon passeport à me permettre de temps en temps des vacances-exils dont je reviens à chaque fois, allez savoir pourquoi, avec un peu plus d’espoir et d’amertume. Et je n’arrive à me débarrasser ni de l’un ni de l’autre, survivant dans une sorte de déséquilibre oscillant inégalement entre l’un et l’autre. J’avoue que l’amertume est plus difficile à digérer et qu’elle me laisse chaque fois un goût un peu plus âcre dans le fond de l’âme. En voilà un qui demande pardon. Quel beau geste ! Quelle honorable initiative et quelle générosité toute eucharistique ! À qui demande-t-on pardon ? À ceux qu’on a agressés, attaqués, volés, dépouillés, trompés, massacrés, ou à leurs héritiers ou à leurs voisins ou à… ses propres anciens ou nouveaux copains ? De qui attend-on le pardon ? Que propose-t-on pour se faire pardonner ? Et devant qui demande-t-on pardon ? Est-ce Nayla Mouawad qui doit pardonner l’attaque de Zghorta contre Tony Frangié ? Est-ce que Carlos Eddé sait ce qui s’est passé à Ehmej, à Jaje, à Nahr Ibrahim ? Est-ce qu’il a parlé avec « oncle Raymond » de son exil forcé à Paris ? Contre quel ennemi cette « résistance libanaise » a-t-elle résisté et de quel ami a-t-elle demandé l’assistance ? La grandeur de celui qui demande pardon, cher Monseigneur Abou-Jaoudé, ne pourra qu’être décuplée par la vérité et la sincérité de l’attachement patriotique. Tant que nos petits chefs continuent de choisir les martyrs parmi leurs morts et de mépriser ceux que l’autre bord vénère comme martyrs, on ne peut prétendre à un discours rassembleur, on ne peut parler de résistance libanaise, on ne peut prétendre à une légitimité libanaise. J’ai bien conscience de ce que ce mot a de creux et de pompeux. Je crains d’être, malgré tous mes efforts, un peu contaminée par les élans lyrico-patriotiques de mes lectures télévisuelles. J’y tiens quand même à ce mot – la légitimité libanaise – pour la simple raison que lorsque c’est vers l’espoir que penche pour quelques brefs instants le pendule de mon, cœur, je me dis que non ce n’est pas possible, ce ne sera pas toujours comme ça, je me dis que même si je ne sais pas comment, ni quand, ni par qui viendra un jour un véritable désir de légitimité libanaise, je me dis que ceux qui l’éprouveront sauront trouver mieux que nous ne l’avons fait jusque-là le moyen de jeter aux poubelles de l’histoire tous ces dépeceurs de mon pays, tous ces personnages de carnaval déguisés en superhéros et toute cette assemblée de zombies qui les supportent en attendant le prochain train de nominations ministérielles ou autres mandats parachutés allez savoir d’où ! P-S - Personne n’étant parfait, Raymond Eddé avait fait en effet partie du Helf en 1968. Pour lui, il s’agissait à ce moment-là d’une alliance tactique limitée à une période électorale. Ce n’en était pas moins une gaffe dont il s’est violemment mordu les doigts. De là à le mettre dans la liste des Camille Chamoun, Pierre Gemayel, Bachir Gemayel, etc., défenseurs des seuls chrétiens du Liban… évitons les amalgames. Raymond Eddé s’est toujours battu pour tout le Liban et pour tous les Libanais. Ayez au moins l’obligeance, messieurs les gardiens des valeurs chrétiennes, et l’honnêteté de respecter ses valeurs patriotiques. Article paru le mercredi 24 septembre 2008
Débranchée d’une réalité totalement schizophrénique, j’ai trouvé dans une distance géographique et mémorielle une sorte de confort provisoire que j’essaie d’entretenir autant que possible. En faire, comme on dit et comme c’est si souvent le cas, un « provisoire qui dure ». Je ne demande rien de plus à ce « pays », à mes « amis », à mes...