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Actualités - OPINION

Écho aux propos de Jihad el-Zein Laïciser ou libaniser ? Pr Antoine COURBAN

Jihad el-Zein a publié un remarquable éditorial dans an-Nahar du 17 septembre, dans lequel il oppose la « laïcité positive » proclamée par Nicolas Sarkozy devant le pape Benoît XVI à la « laïcité réactionnaire » de la pensée française traditionnelle : républicaine, jacobine et anticléricale. Laïcité et communautarisme On aurait aimé savoir à quelle réalité renvoie le concept de « laïcité positive » si ce n’est à un communautarisme déguisé, qui n’ose pas dire son nom et se drape dans les oripeaux d’un artifice de langage. De plus, si la laïcité peut être dite « positive », il serait utile d’indiquer ce que serait une « laïcité négative ». Ces deux notions sont, de prime abord, inappropriées à la situation française. Il est nécessaire de rappeler que le débat sur la laïcité porte, avant tout, sur la conception de l’espace public et pose des questions aux enjeux considérables tant elles engagent le devenir de nos sociétés. – L’espace public est-il, oui ou non, le lieu de l’exercice d’un pouvoir religieux institutionnel ? – L’espace public, celui de la citoyenneté, est-il oui ou non régulé par autre chose que la règle du droit ? – L’espace public peut-il être, oui ou non, le lieu d’une gouvernance par d’autres instruments que ceux de la loi ? – L’espace public peut-il être, oui ou non, le domaine exclusif de cette personne morale qu’on appelle la chose publique ? – L’espace public peut-il être segmenté en territoires « identitarisés » et devenir ainsi une mosaïque que certains pourraient trouver chatoyante, à l’image de la situation libanaise ? On peut reprocher à la laïcité « à la française » tout ce qu’on veut, mais certainement pas un caractère réactionnaire qui, au contraire, se retrouve plutôt du côté du communautarisme. Pour dire les choses clairement, peut-on imaginer plusieurs définitions du citoyen, c’est-à-dire du « sujet de droit », au sein d’un même espace public ? Peut-on imaginer, au sein du même espace, que les relations entre le citoyen et la chose publique ne soient pas directes et immédiates ? Peut-on considérer comme réactionnaire une conception qui refuse à de telles relations de passer par un filtre intermédiaire, celui d’une identité communautaire par exemple ? La situation libanaise en la matière peut-elle servir de modèle idéal ? Laïcité authentique Si d’aventure la « laïcité positive » de Nicolas Sarkozy, qui séduit Jihad el-Zein, est un communautarisme déguisé, nous nous trouverions alors face à un processus régressif, donc réactionnaire. Si, par contre, cette expression maladroite signifie une « laïcité non idéologique et non sectaire », il vaudrait alors mieux remplacer « laïcité positive » par « laïcité authentique ». Le terme « laïc » ou « laïque » est lui-même emprunté au vocabulaire ecclésiastique qui qualifie le simple peuple des fidèles de « laos, laïkos » et n’utilise pas le vocable « demos » de l’antiquité gréco-romaine. Le « laos, laïkos » se distingue ainsi par rapport au « kleros, klerikos » ou « clergé ». Le combat pour la laïcité a eu comme préambule historique la vision chrétienne du monde. Si le « laos » a dû combattre durant des siècles ce n’est pas tant contre la foi chrétienne mais, au contraire, contre le pouvoir clérical. La papauté, à partir du XIe siècle, a développé la doctrine de la monarchie absolue de droit divin du pontife romain, conçu comme le vicaire du Christ sur terre. C’est ainsi que la société européenne médiévale se distingua, progressivement, par un cléricalisme dont on connaît les conséquences néfastes. Ce type de cléricalisme se retrouve de manière saisissante dans la doctrine politique du « Vicariat du Juriste-Théologien » ( Wilayat al-Faqih) où le pontife de Qom – à l’instar d’un Grégoire VII, un Innocent III ou un Boniface VIII – déclare qu’il est le seul à pouvoir occuper la plénitude de l’espace public universel et ce, au nom de sa mission divine. Espace public et citoyenneté La Révolution française a heureusement sorti l’évêque de l’espace public. Si l’idéologie républicaine a voulu également séculariser les consciences, elle s’est lourdement trompée. Nicolas Sarkozy n’a fait que prendre acte de l’échec de la sécularisation des consciences et non de l’échec du principe de laïcité. Remettre en cause ce principe signifierait remettre en cause le « sujet » comme citoyen. Tout homme libre qui s’honore d’une citoyenneté fondée sur la loi et non sur l’identité ne peut accepter une telle remise en cause. La laïcité du régime turc montre les limites de l’adaptation du modèle français à une réalité sociale qui n’a pas connu le même développement historique. On dit souvent que l’islam confond le temporel et le spirituel. Certains préfèrent concevoir l’islam comme une religion civile, un peu à l’image de la religion romaine antique. Dans ces conditions, la distinction entre « laos » et « kleros » n’a pas de sens sauf dans la doctrine khomeyniste de Wilayat al Faqih. Une « laïcité authentique » a pour enjeu la question suivante : Comment faire pour nous doter d’un espace public qui ne serait pas une mosaïque de territoires ? En d’autres termes, comment construire « la Ville » ? Laïciser ou libaniser ? Telle est la question existentielle du Hamlet libanais. Article paru le mercredi 24 septembre 2008
Jihad el-Zein a publié un remarquable éditorial dans an-Nahar du 17 septembre, dans lequel il oppose la « laïcité positive » proclamée par Nicolas Sarkozy devant le pape Benoît XVI à la « laïcité réactionnaire » de la pensée française traditionnelle : républicaine, jacobine et anticléricale.

Laïcité et communautarisme
On aurait aimé savoir à quelle...