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Actualités - REPORTAGE

Les bahaïs au Liban, une communauté discrète et pacifique

Lélia Mezher Ils sont une petite centaine au Liban, et même s’ils se réunissent souvent, ils tiennent avant tout à rester discrets. Le bahaïsme est une religion qui reconnaît toutes celles qui l’ont précédée, et se fonde principalement sur la justice, condition sine qua non pour une paix mondiale. « Le monde est un jardin qu’il faut entretenir », telle est la devise des bahaïs, explique Hoda, la quarantaine. « Chaque religion est la continuité de l’autre, chacune éclaircit l’autre », dans la perspective bahaï, comme l’explique Hoda. Le fondateur de la religion bahaï, Bahá’u’lláh, a été exilé plusieurs fois sous le règne de l’Empire ottoman après avoir été chassé de son pays natal, l’Iran. Mort à Haïfa, un mausolée a été érigé en son honneur. C’est devenu un lieu de pèlerinage très important pour les bahaïs du monde entier. Au Liban, seuls une centaine de bahaïs sont recensés. Ils vivent discrètement et s’efforcent de ne pas se faire remarquer, même si cette religion est reconnue par l’État. Cela est d’autant plus facile que leur religion ne leur permet pas d’entrer dans la vie politique. Dans un pays comme le Liban où l’appartenance religieuse devient de jour en jour, parfois de manière tragique, synonyme d’identité et d’allégeance politique, il n’est pas aisé d’aborder la religion bahaï. Le bahaïsme a été fondé par celui qui fut surnommé Bahá’u’lláh. De son vrai nom, Mirza Hussein Ali, Bahá’u’lláh se présente comme la dernière en date d’une longue lignée de révélations à travers des enseignants marquants tels que : Krishna, Abraham, Moïse, Bouddha, Jésus, Mahomet, Confucius, Lao-Tseu, Gurû Nanak. Mirza Hussein Ali Nouri naquit à Téhéran, le 12 novembre 1817, dans une grande famille fortunée de l’aristocratie persane, qui possédait de vastes domaines et dont les origines remontent aux dynasties régnantes de l’ancienne Perse impériale. Il proclama l’unification prochaine de l’humanité et l’émergence d’une civilisation mondiale. Il fut le disciple du Báb (1819-1850), qui affirmait alors être al-Qá’im (en arabe « celui qui s’élève », encore appelé « l’imam caché » ou al-mahdi, « celui qui est bien guidé », annoncé par la tradition islamique et attendu par les musulmans avant le « Jour du jugement ». Sa doctrine a été influencée par le babisme, mouvement réformateur millénariste qui bouleversa la société iranienne au milieu du XIXe siècle et dont les membres jouèrent un rôle non négligeable dans la promulgation de la Constitution iranienne en 1905. Au Liban, les bahaïs et le bahaïsme restent somme toute assez méconnus. Il y a une centaine de bahaïs au Liban aujourd’hui, mais « avant la guerre, ils étaient plus nombreux : peut-être deux cents », indique un architecte bahaï que nous appellerons Waël, la cinquantaine, le regard bleu perçant. « Le bahaïsme est une religion fondée sur des livres sacrés, fruit des révélations faites à Bahá’u’lláh », affirme Waël. Le « kitab al-aqdas », livre sacré, est « le livre des lois, principale référence pour les bahaïs. Il y a aussi d’autres textes écrits lors des différents exils de Bahá’u’lláh », explique-t-il. « Je suis né dans une famille mixte. Mon père ainsi que mes grands-parents et mes arrières-grands-parents étaient bahaïs. Ma mère en revanche est chrétienne. J’allais souvent avec elle à l’église quand j’étais jeune. Lorsqu’on ne me trouvait pas, tout le monde savait que j’étais en train de “discuter avec les saints dans le jardin”. En fait, je lisais la Bible, installé sous un arbre, c’était mon hobby préféré. Puis je suis devenu bahaï », raconte encore Waël. Devenir bahaï… En quoi consiste cette religion ? Waël souligne d’emblée le caractère universel du bahaïsme. Il explique que cette croyance dispose de deux niveaux : « Elle peut être qualifiée, à un premier niveau, de religion indépendante. Son assimilation à l’islam en général et au chiisme en particulier est due au contexte dans lequel elle est née. C’est comme si on disait aujourd’hui que la religion chrétienne est une branche du judaïsme. Les deux religions ont en commun l’Ancien Testament, mais elles sont totalement différentes. » À un deuxième niveau, cette religion fait partie « d’un ensemble, car dans la perspective bahaï, les religions forment un tout indissociable, une suite logique fruit d’une évolution humaine ». Dieu donne à l’homme ce qu’il peut comprendre, affirme Waël. C’est pour cela que les religions se succèdent, chacune est une pierre du même édifice. Le bahaïsme ne reconnaît pas de clergé, il est organisé « horizontalement et non verticalement », insiste Waël, et « personne ne dispose d’une autorité morale supérieure, mais nous croyons fermement qu’il convient de respecter ceux qui ont de plus amples connaissances que nous ». Toutefois, et pour les besoins de la vie quotidienne et la gestion des affaires de la communauté, il existe des assemblées locales spirituelles dans chaque région. Elles sont élues pour une année seulement et le président de l’assemblée a pour mission de gérer les affaires des bahaïs de sa région. Les « campagnes électorales ne sont pas admises. Nous pouvons par exemple discuter des qualités que nous aimerions retrouver dans le prochain président d’assemblée, mais nous ne pouvons pas dire qui nous préférons voir accéder à ce poste ». Lorsque le moment des élections arrive, « nous nous réunissons d’abord pour prier. Puis chacun de nous écrit les noms de 9 personnes qu’il désire élire ». Le chiffre 9 semble avoir une signification particulière dans la religion bahaï puisque les temples doivent être dotés de 9 portes. « Cela est signe d’ouverture sur le monde, mais c’est également le nombre de religions universelles qui existent », explique Waël. Les temples bahaïs sont toutefois uniquement utilisés comme lieux de prière. Les mariages et autres cérémonies n’y sont pas célébrés, mais les bahaïs et les non-bahaïs peuvent y entrer et prendre part aux prières. Au niveau mondial, la même hiérarchie existe avec à sa tête un bahaï « suprême » qui guide la communauté. Il reste que le propre de cette religion, c’est que ses membres ne doivent pas se mêler de politique. À cet égard, de nombreuses sources sur Internet et dans la littérature soulignent que les bahaïs au Liban se présentent aux élections législatives en tant que musulmans chiites. Or cela est faux, rétorque Waël. Nous n’avons pas le droit de nous mêler de politique car celle-ci « corrompt », relève Carry, une Anglaise installée au Liban depuis une vingtaine d’années. Lors d’un voyage au Pakistan, Waël avait revu un ami bahaï à qui le président pakistanais d’alors, Zulfikar Ali Bhutto, lui avait demandé de se présenter aux élections législatives car les bahaïs étaient connus pour leur capacité à empêcher l’émergence de dissensions entre les différentes communautés au Pakistan. L’ami en question avait demandé un délai au président Bhutto afin de « consulter ». « Nous autres les bahaïs nous nous consultons souvent pour prendre l’avis de la communauté sur des points précis », note Waël. « Mon ami était revenu voir Zulfikar Ali Bhutto quelques jours plus tard avec une liste en sept points. Je les ai bien sûr oubliés, mais il y a un point qui m’est resté en mémoire et qui à mon avis résume tout : avoir toujours la liberté de conscience et être capable de l’exprimer après avoir été élu. » Finalement, indique Waël, « mon ami ne s’est pas présenté aux élections, en dépit du fait que c’est le président du Pakistan en personne qui le lui avait demandé ». Qui sont les bahaïs au Liban ? « Ils sont professeurs d’université, font partie du corps médical, des architectes comme moi. Mais il y a aussi des gens simples. Mais nous sommes tous égaux », aime à souligner Waël. « Notre religion véhicule la paix », ajoute Carry. « Qui dit paix dit justice. Les deux sont indissociables. La justice amène l’unité, seule garantie pour la paix », indique Carry. « Je suis née dans une famille chrétienne très croyante. Lorsque j’ai découvert le bahaïsme, mes parents ont pris peur. J’ai dû les mettre en contact avec mes professeurs bahaïs. Ils ont alors compris qu’il ne s’agissait pas d’une secte », raconte-t-elle avec un sourire. « La justice, ça commence d’abord au niveau individuel. Chacun doit l’appliquer autour de lui. C’est comme cela que l’on fait évoluer les choses », poursuit-elle. Carry tient à nous raconter la rencontre qu’elle vient de faire avec une jeune femme de 25 ans, une chrétienne habitant Jounieh. « Elle a voulu se convertir après avoir pris connaissance des principes bahaïs. Son père m’a contactée. Je m’attendais à avoir une conversation musclée. À ma surprise, il m’a dit : “Honte à moi si je ne l’autorise pas à avoir sa propre pensée…” Vous vous rendez compte ! C’est merveilleux. » Hala est médecin dans un grand hôpital de la capitale. Elle nous reçoit dans son cabinet, mais ce n’est pas pour une consultation. Elle est bahaï d’origine iranienne et mariée à un Libanais d’origine chrétienne. Leur mariage s’est toutefois fait selon les rites de la religion bahaï. « Vous savez, mon mari et moi nous évoluons dans un milieu chrétien. Les invités ne savaient pas que nous allions nous marier selon le rite bahaï », explique-t-elle. Waël, qui est un ami de Hala, poursuit : « Nous ne voulions pas que les gens croient que nous étions là pour prêcher. D’ailleurs dans notre religion, il n’y a pas de prédication. Finalement, nous avions trouvé un document publié par le Vatican dans lequel la religion bahaï est expliquée et nous l’avons distribué aux personnes présentes. » Calendrier et dates importantes Le calendrier bahaï est composé de 19 mois et 4 ou 5 jours, selon qu’il s’agisse ou non d’une année bissextile. Chaque mois est composé de 19 jours, date à laquelle la communauté se réunit. Il y a plusieurs objectifs à atteindre lors des réunions. Les bahaïs peuvent se réunir uniquement pour prier, consulter leur communauté sur certains sujets ou pour renforcer les liens sociaux. Les principales dates importantes jusqu’à fin 2008 sont : - Lundi 20 octobre, commémoration de la naissance du Bab, le prophète qui a pavé la voie à Bahá’u’lláh et à la naissance de la religion bahaï. - Mercredi 12 novembre, commémoration de la naissance de Bahá’u’lláh. - Mercredi 26 novembre, commémoration de la naissance de Abdulbaha’ - Vendredi 28 novembre, ascension de Abdulbaha’. Mariage et divorce Au Liban, les bahaïs sont enregistrés en tant que tels auprès de l’État puisque cette mention figurait sur les anciennes cartes d’identité. Ils sont classés dans la catégorie des minorités, mais leur statut personnel n’est pas reconnu par la loi libanaise. Résultat : les mariages entre bahaïs se font souvent à l’étranger sous forme de mariage civil. Les normes qui régissent le mariage bahaï sont relativement simples : les époux doivent se choisir mutuellement dans une liberté absolue loin de toute pression et, réciproquement, les parents des deux époux doivent valider leur union. Sans l’aval des parents, l’union ne peut avoir lieu, « il leur faut patienter jusqu’à ce qu’ils parviennent à les convaincre », souligne à cet égard Waël. Les fiançailles bahaïs ne doivent pas durer plus de 95 jours sinon elles sont annulées d’office, relève également Waël, et cela « contribue à protéger la femme ». Le mariage en lui-même consiste en une même formule prononcée par les époux en présence d’une personne membre de l’assemblée spirituelle locale et de cinq autres personnes. En cas de divorce, les époux doivent se séparer durant une année. Ils n’ont pas le droit de se voir durant ce laps de temps. Si au bout d’un an ils ne désirent toujours pas revenir ensemble, le divorce est prononcé.
Lélia Mezher

Ils sont une petite centaine au Liban, et même s’ils se réunissent souvent, ils tiennent avant tout à rester discrets. Le bahaïsme est une religion qui reconnaît toutes celles qui l’ont précédée, et se fonde principalement sur la justice, condition sine qua non pour une paix mondiale.


« Le monde est un jardin qu’il faut entretenir », telle est la...