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Actualités - OPINION

Un vrai dialogue national : une nécessité au Liban

La reprise du dialogue national au Liban est un pas louable, certes. Mais un dialogue digne de ce nom ne saurait se limiter à quatorze leaders politiques réunis autour d’une table pour tenter de conclure un accord à l’arraché. Les problèmes du Liban sont profonds et chroniques. Tourmenté par les dissensions depuis son indépendance, le pays a souffert de nombreuses vagues de divisions internes et de clivages externes, a connu les affres de la guerre civile entre 1958 et 2008, et continue de souffrir d’une absence de souveraineté, de la fragilité de ses institutions politiques, d’immenses pressions externes, d’une sectorisation endémique et d’une culture politique sous-développée et réfractaire. Cette réalité fait du dialogue national une nécessité profonde au Liban. Mais une approche erronée ou incomplète est à même de faire naître l’effet inverse et menacer la stabilité du pays. Une telle approche risque aussi d’affaiblir fatalement la présidence libanaise, cette institution au rôle unificateur dont la présence est indispensable dans l’environnement polarisé que nous connaissons aujourd’hui. Il est fort peu probable que l’oligarchie politique libanaise puisse parvenir à des accords fondamentalement importants pour le Liban autour de quelques tasses de café, alors que le pays vient juste de sortir d’un conflit armé et se trouve en plein milieu d’une campagne électorale agitée. L’approche du dialogue national doit ainsi être élaborée de manière à aboutir au succès et protéger le pays d’un éventuel échec prématuré. Nous ne sommes pas les seuls à faire face à ces défis. Nous avons la possibilité de tirer des leçons des expériences vécues par l’Afrique du Sud, l’Irlande du Nord et tant d’autres pays qui ont réussi à dépasser la guerre civile et les mouvements intégrés de résistance armée, et à réinstaurer une unité nationale après la tourmente. La réflexion sur ces cas ainsi que sur le cas du Liban impose un nombre de recommandations. Premièrement, nous devons comprendre que la conférence du dialogue national est un processus qui s’inscrit dans la durée. Nul pays ne peut prétendre conclure un dialogue national en quelques mois. Cela signifie que ce round de discussions ne doit pas être placé sous la pression des prochaines élections parlementaires, mais plutôt envisagé comme un processus qui se tiendra avant, pendant et après les élections législatives. Deuxièmement, nous devons percevoir le dialogue national comme un processus qui dépasse largement un simple rassemblement de quelques leaders autour d’une table. Cette perception de l’événement aura le mérite de donner au processus une portée réellement nationale et de lui apporter l’étendue et la profondeur nécessaires pour qu’il soit porteur de changements durables. Cette perception sera également nécessaire en cas de désaccord au sein de la classe dirigeante du fait qu’elle assurera la poursuite du dialogue à d’autres niveaux de l’establishment politique et évitera au pays l’éventualité d’un échec total du processus. Troisièmement, les discussions du dialogue national se doivent d’être élargies et non confinées dans un cadre étroit. L’idée de mettre l’accent sur un thème qui s’est avéré être une source de profonds désaccords est une stratégie vouée à l’échec. Une approche plus utile serait de diversifier les sujets inscrits à l’ordre du jour du dialogue national, de canaliser les efforts vers les thèmes sur lesquels un accord peut être plus aisément et plus rapidement conclu, et mettre à profit cette impulsion positive pour affronter les dossiers épineux. Plusieurs éléments pourraient contribuer au lancement d’un dialogue national sain et efficace au Liban. En termes de structure, la conférence de dialogue national dans sa forme actuelle, regroupant 14 leaders politiques, resterait la plus haute instance de prise de décisions. Néanmoins, la liste des participants au dialogue devrait être considérablement élargie. Il serait ainsi nécessaire de créer un comité composé de représentants politiques de second rang, semblable à celui ayant participé à la rencontre interlibanaise de La Celle Saint-Cloud, pour se réunir et discuter des sujets traités lorsque le principal comité politique ne serait pas en session. Aussi, des comités techniques composés d’experts pourraient-ils s’avérer utiles pour traiter de sujets spécifiques et solliciter l’avis de spécialistes locaux et internationaux. En outre, des mécanismes doivent être mis au point pour inclure d’autres segments de la société tels les organisations de la société civile, les associations d’entreprises, les associations professionnelles et de travailleurs, les universités, les municipalités et les communautés locales, ainsi que les médias. Le dialogue doit représenter un processus vaste et inclusif, assimilable à un atelier national où se matérialiseront l’atmosphère, la participation et l’attachement nécessaires pour faire du dialogue une expérience durable, riche de sens, et éviter l’éventualité d’un échec prématuré. En ce qui concerne l’ordre du jour du dialogue national, celui-ci doit inclure un plus grand nombre de questions et ne pas être restreint à un seul sujet majeur de division, difficile à régler. Mis à part la stratégie de défense nationale, d’autres questions nationales doivent faire l’objet de discussions et peuvent aider à donner une impulsion positive au dialogue, notamment le sujet de décentralisation, la consolidation du pouvoir de la magistrature et le renforcement des filets de sécurité sociaux. Par ailleurs, le dialogue national, mené par le président de la République, ses conseillers et ses aides, devra se focaliser sur des questions d’ordre structurel et procédural susceptibles de garantir la réussite et la poursuite du processus de dialogue. À cet effet, les parties concernées peuvent établir une feuille de route qui énumérera les sujets à être inscrits à l’ordre du jour par ordre croissant de difficulté, déterminera le mécanisme selon lequel le cadre du dialogue sera élargi, et fixera un délai qui donnera aux participants le temps nécessaire (un à deux ans) pour atteindre leurs objectifs. La survie du Liban dépend de sa capacité à garantir la poursuite du dialogue. Une occasion se présente à nous aujourd’hui de recoller les morceaux de notre société déchirée par les divisions. Saisissons-la pour construire un dialogue national. Un vrai. Dr Paul SALEM Directeur du Carnegie Middle East Center, Beyrouth
La reprise du dialogue national au Liban est un pas louable, certes. Mais un dialogue digne de ce nom ne saurait se limiter à quatorze leaders politiques réunis autour d’une table pour tenter de conclure un accord à l’arraché.
Les problèmes du Liban sont profonds et chroniques. Tourmenté par les dissensions depuis son indépendance, le pays a souffert de nombreuses vagues de...