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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - Au Liban à l’occasion de l’inauguration de l’amphithéâtre portant son nom Jean Piat?: «?L’artiste est au service de la joie des autres?»

Jean Piat au Liban. Quoi de plus familier?? Mais la visite cette fois a un goût de consécration et de reconnaissance de la part des amis libanais. Venu pour l’inauguration d’un amphithéâtre portant son nom, situé à Mechmech (baptisé Kfarsama), près du couvent Saint-Charbel, le comédien octogénaire, à l’allure toujours aussi fringante, a parlé de sa passion?: le théâtre et encore le théâtre. Un acte de foi toujours renouvelé, qui sème la joie et l’espoir. Rencontre. Il était venu au Liban la première fois alors qu’il n’était qu’un jeune premier pour une représentation à Baalbeck avec la Comédie-Française. Émerveillé par ce peuple qui parlait la langue de Molière avec du soleil entre les mots, il rédigera par la suite un texte sur ce petit pays qui l’a tout de suite ému. Les circonstances plus tard le mettent sur le chemin du père Mansour Labaki. Ce sera le début d’une longue amitié et, à travers lui, avec le Liban. À l’occasion du drame de Damour, le père Labaki (qu’il appelle tendrement Abouna) avait rédigé le livre Kfarsama. Et le comédien prêtera sa voix pour narrer cette histoire dramatique en un enregistrement audio. «?Si je suis retourné par la suite à maintes reprises, c’est l’amitié qui m’y poussait?», avoue Piat. Et de poursuivre?: «?J’ai été très attaché à ce pays qui a connu et qui continue de connaître des moments difficiles. Quand un ami est dans le pétrin, signale-t-il, il est nécessaire d’être à ses côtés. Or je n’ai de moyens que ma présence et ma voix, ainsi que le théâtre qui m’accompagne depuis plus de 60 ans, pour prouver mon amitié au Liban.?» La vie, une équation L’homme aux yeux clairs, à l’allure altière (réprimant des maux de dos qui l’indisposent) et à la voix toujours aussi solennelle mais chaude, se dit privilégié par la vie. C’est en toute modestie qu’il évoquera ses débuts à la Comédie-Française et son parcours. «?Le théâtre, dit-il, est plus qu’une ligne parallèle à ma vie. Il est en osmose totale avec elle. Lorsqu’à la fin de l’année scolaire, au Collège Sainte-Croix à Neuilly, il m’avait été donné d’opter pour un cursus, j’avais mentionné le mot “?théâtre” sans vraiment comprendre pourquoi je faisais ce choix.?» C’est donc en 1944 que le jeune Piat (âgé alors de 19 ans et un mois, il s’en souvient très bien) commence ses tournées sur les planches, et depuis il n’arrêtera pas. Vingt-cinq ans de Comédie-Française et les personnages les plus prestigieux à camper. «?Fallait-il que je sois gâté?! avoue-t-il. Il y a dans le répertoire du théâtre classique français tous les rôles?: de Ruy Blas aux personnages de Feydeau, en passant par Cyrano ou Figaro. Il suffit de se baisser pour les cueillir. » C’est après ce «?destin collectif?» (très gratifiant par ailleurs), comme il qualifie son passage à la Comédie-Française, que Jean Piat décide d’emprunter une autre voie plus individuelle. «?Un suicide?»?! s’étaient écriés certains. Mais la chance le met sur le chemin de Françoise Dorin qui lui donne un rôle dans sa pièce avant de l’adopter pour la vie. Neuf cents représentations et le succès assuré, mais pas la grosse tête. «?Je n’ai jamais été à la recherche de la gloire, dit Jean Piat.?Elle est si éphémère. Être lucide, ne pas se mettre à une certaine altitude et, cependant, ne pas se laisser dégringoler?» seraient, selon le comédien, le secret de la réussite. Et le bonheur?? Une question à laquelle il répond immédiatement?: «?C’est être en accord avec soi car, finalement, nous ne sommes responsables que de nous-mêmes et des choix que nous faisons. » «?Notre métier est à haut risque, poursuit l’acteur, mais j’ai le sentiment d’avoir été accompagné dans ma vie. J’ai eu en effet la chance de recevoir de mes parents ou d’un ange gardien de là-haut le don de pouvoir exprimer une joie ou une émotion, alors pourquoi le garder égoïstement et ne pas le partager ??»? Des instants de bonheur En écoutant le comédien, une question s’impose : cette voix qui, telle une vague, s’élève, susurre, chuchote, se calme, mais soulève néanmoins des propos sur la vie, n’est-ce pas là l’instrument réel de ce théâtre, «?cette matière vivante?», comme il aime à le qualifier?? La musicalité de ses mots qui jaillissent en flots fait rêver. «?Les mots, c’est comme les fleurs, dira-t-il, il faut les arroser. Par ailleurs, il est de notre devoir, nous autres artistes, d’être au service de la joie des autres. La vie n’est pas facile. Elle est d’ailleurs régie par une équation compliquée : don, travail et chance. Malheureusement, des milliers de personnes n’accomplissent que des besognes. Je me considère donc très chanceux de faire un travail que j’aime depuis 65 ans. Ainsi, je me dois, tout comme d’autres artistes, d’apporter un simple instant de bonheur.?» S’agissant de l’amphithéâtre qui porte désormais son nom, Jean Piat s’avoue ravi de l’accomplissement de ce rêve. «?C’est comme une consécration, dit-il, car j’ai toujours vécu pour et par le théâtre. Créer cet amphithéâtre est une forme de foi dans l’avenir. Ce lieu de rassemblement et d’accueil est un espace de liberté et de communicabilité à l’heure où la communication tend à disparaître entre les personnes?» (ne serait-ce que par les méfaits du Net). Citant Jean Monet, le père de l’Europe qui a dit un jour qu’il fallait commencer par la culture, Jean Piat invite les Libanais à avoir confiance dans l’avenir et à établir des échanges tant par la musique ou le théâtre que par le sport. «?Je suis très serein quant à l’avenir du théâtre car il a survécu à tous les conflits, comme la guerre, et à tous les défis, comme la télévision et le cinéma. Le théâtre, poursuit-il, ne peut mourir car c’est un refuge nécessaire, et associer mon nom à un lieu de ce genre et dans un pays étranger, de surcroît, ne peut que me remplir de bonheur.?» Un bonheur que Jean Piat retrouve dans ce pays fracassé et abîmé, certes, mais toujours prêt à rebondir et qu’il résume dans ce «?sandwich libanais?» où les ingrédients porteraient les simples noms de don, chaleur et amitié. Colette KHALAF * * * Inauguration de l’amphithéâtre Jean Piat à Mechmech L’inauguration de l’amphithéâtre Jean Piat à Kfarsama-Mechmech a eu lieu en présence de nombreux invités. Un amphithéâtre, longtemps rêvé par le père Mansour Labaki, qui a été taillé dans la pierre de la localité et pouvant accueillir 3 500 personnes. À cette occasion, plusieurs allocutions ont été prononcées avant de dévoiler le buste en marbre blanc exécuté par l’artiste française Anne Kirkpatrik. Un jeune homme, Georges Nakhlé, a témoigné de son parcours d’orphelin en mettant l’accent sur la leçon de pardon et d’espérance apprise à l’association. Le Dr Toubia Zakhia, président de «?Lo-Tedhal?» (qui signifie en araméen ne crains pas), a évoqué la naissance de ce mouvement fondé en 1990?par le père Labaki. Chantal Brochu, secrétaire générale de l’association «?Enfants du Liban à Paris », a pris la parole pour réaffirmer l’engagement des Français envers les Libanais. Notre consœur May Menassa a présenté Jean Piat «?qui a reçu de sa fée le don de l’éternelle jeunesse?», souhaitant la bienvenue à «?ce sculpteur de mots, ce ciseleur d’âmes dont la voix, qui sait être à la mesure de chaque événement, étrennera ce théâtre?». Pour conclure cette cérémonie d’hommage, la voix du comédien s’est élevée dans cet espace de liberté de Kfarsama. Et, une heure durant, l’homme de théâtre a déclamé certains extraits de ses pièces tout en émaillant ses textes d’anecdotes personnelles sur sa carrière.
Jean Piat au Liban. Quoi de plus familier?? Mais la visite cette fois a un goût de consécration et de reconnaissance de la part des amis libanais. Venu pour l’inauguration d’un amphithéâtre portant son nom, situé à Mechmech (baptisé Kfarsama), près du couvent Saint-Charbel, le comédien octogénaire, à l’allure toujours aussi fringante, a parlé de sa passion?: le...