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Actualités - OPINION

Démocratie consensuelle, médiocrité partagée Professeur Mounir CHAMOUN

Ce n’est ni sous une tente en poils de chameau en plein désert ni sous une yourte en peaux de bêtes dans les steppes qu’un arrangement sur le mode tribal, salvateur, a été conclu, mais dans un palace cinq étoiles, où des chefs politiques libanais, très peu responsables, ont fini par accepter, sans conviction, de doter le pays d’un président de la République, après avoir failli, à maintes reprises, le faire sombrer dans le chaos. Cet arrangement s’est accompli sur l’initiative de l’émir de Qatar, un homme souple et conciliant, ahuri de voir ce que la diversité légendaire libanaise pouvait couvrir de haine et de divisions mortelles. Au lendemain de l’élection du général Michel Sleiman, cédant à son arrogance habituelle, le chef du Hezbollah produisait un discours antiserment présidentiel par lequel il rappelait qu’il était toujours maître du jeu, moins par l’implacable de son argumentation que par l’ampleur de son arsenal renouvelé, et qu’en aucun cas, on ne pouvait échapper à ses diktats. Reprenant l’antienne, son adepte, suiveur aveuglé, « sauveur » des droits des chrétiens autoproclamé, lui emboîtait le pas, en s’ingéniant cette fois à compromettre la formation d’un gouvernement très faussement appelé d’union nationale, en y trouvant ainsi l’antidote de son immense frustration. La formation du gouvernement aurait dû refléter, en réalité, l’aspect consensuel de cette démocratie, hérésie perverse de l’imaginaire politique libanais. Mais qu’en a-t-il été au juste ? Tout ce qui s’est déroulé dans le pays depuis plus de deux ans fait échec à la véritable idée de consensus. Celui-ci ne peut exister que greffé sur une conscience citoyenne préalable, où l’égalité de tous est reconnue et où la vie commune est hautement désirée et effectivement vécue par l’ensemble de la population. Le consensus constituerait alors une valeur ajoutée parce qu’il émanerait d’un sentiment d’appartenance et d’une conscience nationale tout à fait contraires à l’arrangement tribal mercantile par lequel le seul souci des partenaires concernés se réduit à défendre des intérêts immédiats, éminemment étrangers à la perception de l’ensemble des citoyens comme entité fondamentale. Des gouvernements d’union nationale ou de coalition ont été formés dans certains pays au moment où la vie de la patrie était en danger et cela dans un élan d’allégeance à l’esprit même de la nation tout entière. Notre pays est-il en danger pour que se justifie la formation d’un gouvernement d’union nationale ? Pour certains, oui, sans aucun doute ; pour d’autres, pas du tout, parce qu’il n’est qu’un maillon dans une perspective de changement radical de régime et d’appartenance. Et c’est bien là, une fois de plus, une manifestation de la fracture flagrante dans la conception même du destin de ce pays. La mise à mort, avant terme, du consensuel aura commencé avec les graves décisions unilatérales, au lendemain des séances mensongères de dialogue, et qui ont plongé le pays dans le désastre, puis dans les très nombreuses infractions criminelles à l’égard de la Loi fondamentale. Ce fut d’abord la guerre de juillet 2006, déclenchée par le Hezbollah, quoi qu’ en aient dit par la suite les exégètes très peu objectifs – suivie de repentance inappropriée – , la fermeture du Parlement libanais par le plus grand flagrant des abus de pouvoir par celui-là même qui, intronisé par la Syrie il y a près de 17 ans, parlait hier de retrouvailles et de mariage le 08-08-08 de toutes les communautés représentées à la Chambre ; le sit-in au centre-ville, contraire à toutes les lois établies en démocratie et la ruine conséquente des institutions commerciales, la contestation de la légitimité du gouvernement à la suite du retrait volontaire et ostentatoirement motivé des ministres chiites. Et plus près de nous l’invasion armée de l’ouest de Beyrouth et sa fallacieuse justification, la destruction de certains organes médiatiques, les tueries, les vexations, la fermeture de l’AIB et du port, et j’en passe tout le monde ayant encore en mémoire, par traumatisme réactivé, tout ce que nous avons subi ces derniers mois de 2008. Dans ce contexte chaotique autant que criminel, où se situe le consensuel ? N’est-il pas, tout simplement, un nouveau piège dans lequel tombent naïvement ou volontairement des hommes politiques libanais, perpétuant les séquelles de la triste tutelle syrienne pervertissant l’essence des accords de Taëf ou ruinant même le précaire arrangement tribal conclu, in extremis, à Doha ? L’échec du consensuel aura également été consommé dans les tractations accompagnant la formation du gouvernement. Les trois semaines passées à arrondir les angles, ont prouvé à quel point il n’y avait aucun accord fondamental et, comme l’ont souligné certains commentateurs politiques, les citoyens ont clairement perçu la manière dont pourrait, par la suite, fonctionner ce gouvernement, fortement hypothéqué et paralysé au départ par ses contradictions. Les décisions, notamment les plus importantes, les plus urgentes et les plus vitales d’entre elles, connaîtront probablement le même sort que le processus de la formation du gouvernement. Nous y assisterons très vraisemblablement à l’occasion des nominations aux postes-clés au sein de l’État. Et la question spontanée qui viendra à l’esprit sera la suivante : le consensuel est-il compatible avec une saine conception de l’Exécutif ? Ou ne constitue-t-il pas la condition même de son inanité permanente ? La dernière image – la plus éloquente – de la déchirure consensuelle vient de se dérouler sous nos yeux dans ce qui s’est passé au Parlement ces derniers jours. L’intolérance mutuelle fut telle qu’on en est arrivé à l’insulte de certains députés du parti de Dieu qui, faute d’arguments ou de discussions rationnelles, ont exprimé d’une manière spontanée leur refus de tout autre position politique tant ils sont nourris d’esprit et de pratiques totalitaires dans leur façon de penser et d’agir. Il est heureux toutefois que toutes ces joutes oratoires mesquines se soient déroulées, comme on l’a si bien souligné dans ces colonnes, dans l’indifférence la plus totale, pour ne pas dire dans le dégoût le plus profond de l’ensemble de la population, preuve certaine de bonne santé mentale. Une exception heureuse dans ce contexte calamiteux, mais combien tardive, bien que fortement justifiée, la démission d’un Hussein el-Husseini, invoquant l’impossibilité pour lui de continuer à vivre dans un État sans institutions. Pourquoi ai-je établi une synonymie entre démocratie consensuelle et médiocrité partagée ? Pour la simple raison que si nous maintenions dans nos mœurs politiques ce dogme éhonté, notre vie politique serait faite de compromis permanents et d’homogénéisation au niveau le plus bas, dans les exigences comme dans les décisions. Rien de tranchant ne pourra plus jamais être établi pour produire du changement et surtout de la qualité, rien pour élever la population libanaise au niveau des nations développées, c’est-à-dire celles qui ordonnent leur existence aux décisions d’un État qui émane véritablement de leur consensus éclairé, fondé sur des valeurs de vie incontestables et reconnues par tous comme génératrices de vie commune. C’est alors que pourrait peut-être renaître non une démocratie consensuelle, mais une conscience citoyenne dont sortirait une démocratie électorale, malgré les défauts et les limites que lui trouvent philosophes, sociologues et politologues, ou tout simplement une démocratie. Article paru le samedi 30 août 2008
Ce n’est ni sous une tente en poils de chameau en plein désert ni sous une yourte en peaux de bêtes dans les steppes qu’un arrangement sur le mode tribal, salvateur, a été conclu, mais dans un palace cinq étoiles, où des chefs politiques libanais, très peu responsables, ont fini par accepter, sans conviction, de doter le pays d’un président de la République, après avoir...