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Des ulémas lancent un « comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice » Les nouveaux chevaliers yéménites de l’ordre moral De notre envoyée spéciale à Sanaa, Émilie SUEUR

Au Yémen, pays conservateur, certains rêvent d’Arabie saoudite. Ou du moins, de sa police des mœurs. «Le Yémen est le pays de la foi et de la sagesse. Mais avec la mondialisation, notre pays a subi une invasion d’immoralité », affirme cheikh Hamoud al-Tharihi, installé sur son divan. Pour lutter contre cette « invasion », un groupe d’ulémas yéménites a mis en place un « comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice », dont cheikh al-Tharihi est vice-président. Le président du comité est Abdel Majid al-Zindani, un religieux qui affirme avoir trouvé un traitement contre le sida et est accusé par les États-Unis de soutenir le terrorisme. Dans la ligne de mire de ces nouveaux chevaliers de l’ordre moral : les restaurants qui vendent de l’alcool, les hôtels « diffusant des films sexuels », les pubs et autres night-clubs. Autant d’institutions « en guerre contre Dieu », selon un document officiel publié par le comité. « Les ulémas du Yémen veulent immuniser la société contre cette vague de vice que la société ne connaît pas », affirme cheikh al-Tharihi, en allumant une cigarette. Pour ce faire, le comité a, dans un premier temps, laissé entendre qu’il souhaitait la mise en place d’une police du vice et de la vertu. Une idée qui semble largement rejetée aussi bien au sein de la population que par la société civile et les instances politiques. « Toutes les maisons ont leur toilette. Dans toute société, il y a des gens mauvais. Mais globalement, au Yémen, il y a plus de gens bons que de gens mauvais », estime Amer Toueity, 32 ans, vendeur d’antiquités dans le Vieux Sanaa. « Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle police, mais simplement que la police actuelle fasse son travail », ajoute-t-il. « Demander aux gens d’être vertueux, c’est bien, mais pas par la force », renchérit Yahya Joman, un commerçant de 48 ans, en fourrant une feuille de qat dans sa bouche. « Danser, chanter, tout cela fait partie de notre vie. Si on veut nous interdire cela, ça ne passera pas », assure-t-il. Dans son bureau, Salma Abdullah Masaabi ne décolère pas. Une police des mœurs serait une insulte pour cette femme, directrice du bureau de l’éducation du district de Saana, militante politique et sociale, et membre du parti au pouvoir. « Ils disent s’appeler le comité de la vertu, mais c’est le groupe du vice ! » s’insurge Salma, dont les yeux, seule partie visible de son visage voilé de noir, brillent de colère. Chaos sexuel Pour étayer son propos, elle présente deux feuilles, dont elle affirme qu’elles sont un extrait d’un document distribué aux ulémas lors d’une réunion du comité de la vertu. Sur ce document, on peut lire que « le rôle de la femme est d’assurer la continuité de l’humanité en procréant et en allaitant ». On lit encore que « Dieu a voulu que la femme soit belle et que l’homme soit attiré par sa beauté. Mais la femme doit cacher sa beauté devant les étrangers afin de préserver l’harmonie du couple et éviter les problèmes sociaux. Si une femme est autorisée à sortir de la maison, à côtoyer des hommes sur le lieu de travail, à montrer sa beauté à tous, l’homme sera séduit, et des relations hors mariage auront lieu. Un tel phénomène, s’il est généralisé, mènera au chaos sexuel ». « Ce texte me donne envie de vomir », lâche Salma. « Les femmes représentent 50 % de la société, elles génèrent des revenus pour la famille. On ne peut pas les laisser à la maison », ajoute cette femme qui exerce son autorité sur 150 écoles et 60 hommes « qui (la) respectent tous ». « Nos mères et nos grands-mères ont été privées de leurs droits. Il est hors de question de revenir en arrière », ajoute-t-elle. Cheikh al-Tharihi se défend de vouloir cloîtrer les femmes à la maison. « Certains des membres de mon parti, Islah (un parti islamiste de l’opposition NDLR), sont des femmes. Et elles peuvent être membres du plus haut conseil du parti », affirme-t-il. « Certains membres du comité de la vertu sont contre la participation des femmes en politique, reconnaît-il néanmoins. Nos adversaires ont utilisé ce point pour nous attaquer. Moi personnellement, je n’ai pas de problème avec une femme députée. » Au Yémen, le Parlement ne compte qu’une seule femme. Devant la levée de bouclier qu’a suscité leur projet, les ulémas ont mis de l’eau dans leur vin, figurativement il va sans dire, et appelé à un partenariat avec les autorités. « Les ulémas ne sont là que pour donner des conseils, pour guider le peuple. L’application des règles est du ressort de l’État, pas du nôtre », affirme cheikh al-Tharihi, qui appelle également les citoyens « à dénoncer » les atteintes à la vertu dont ils seraient témoins. « Quand ils ont rencontré le président, al-Zindani et al-Tharihi ont expliqué qu’en tant qu’ulémas, ils voulaient jouer un rôle de gardien de la société. Le président a transmis le dossier aux autorités compétentes pour examiner la justification légale d’une telle requête. Résultat, elle est illégale. Seul le gouvernement peut mettre en place une telle organisation. Alors, les ulémas ont changé leur discours et déclaré qu’ils ne voulaient qu’un rôle de conseiller », explique Tarek Ahmad al-Shami, membre du GPC, le parti du président. « Le président ne va pas entrer dans une confrontation directe avec les ulémas, parce qu’il a besoin d’eux et ils l’ont aidé lors de la guerre en 1994. Il va toutefois limiter leur pouvoir », estime, pour sa part, Fouad al-Salahi, analyste politique et professeur à l’université de Sanaa. Selon lui, les groupes à l’origine de ce comité de la vertu sont soutenus par l’Arabie saoudite. « Depuis les attentats du 11-Septembre, l’Arabie saoudite est sous l’œil de Washington. Les fonds de soutien aux groupes extrémistes ont alors été transférés dans d’autres pays, dont le Yémen. Avec cet argent, Riyad cherche à diffuser les idées saoudiennes. L’Arabie veut éviter un effet domino, à cause de ses voisins, notamment sur le droit des femmes », estime-t-il. « L’idée d’une police des mœurs ne peut que créer des tensions au sein du pays », conclut-il.
Au Yémen, pays conservateur, certains rêvent d’Arabie saoudite. Ou du moins, de sa police des mœurs.
«Le Yémen est le pays de la foi et de la sagesse. Mais avec la mondialisation, notre pays a subi une invasion d’immoralité », affirme cheikh Hamoud al-Tharihi, installé sur son divan. Pour lutter contre cette « invasion », un groupe d’ulémas yéménites a mis en...