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Actualités - OPINION

Les hameaux de Chebaa Et maintenant quid de la démarcation??

Par Marie GHANTOUS * La question des hameaux de Chebaa occupe de nouveau le devant du discours diplomatique après un coma de près de deux ans. Mais puisque finalement la communauté internationale semble revenir à la raison et au droit, et commence à admettre que les hameaux de Chebaa sont bel et bien un territoire libanais, la question qui se pose maintenant est celle de savoir quelle ligne adopter pour démarquer la frontière libano-syrienne et, éventuellement, libano-israélienne. L’opération de délimitation et de démarcation des frontières doit, en premier, se fonder sur un principe juridique qu’il convient d’adopter et dont découleront les règles qui résoudront la question. Le principe applicable Il existe en droit international plusieurs méthodes pour délimiter les frontières. Deux États peuvent se mettre d’accord sur la ligne frontalière par un traité bilatéral dûment signé et ratifié. Le titre provient à ce moment-là du traité lui-même, qui devient la loi des parties en vertu du principe pacta sunt servanda. Mais dans les situations où les frontières des pays concernés n’ont pas été décidées par ces États eux-mêmes, mais par la puissance administrante avant leur accession à l’indépendance, un autre principe juridique s’applique, par défaut, le principe de l’uti possidetis juris. Selon ce principe, les frontières internationalement reconnues sont des frontières «?léguées?» par la puissance administrante, suite à une succession d’États, transformant des frontières administratives en frontières internationales. L’accession à l’indépendance de l’État concerné et son acceptation des frontières ainsi léguées consacrent un état de fait qui devient un état de droit. Le titre prévaut sur les «?effectivités?», et l’occupation effective contraire au titre ne peut plus générer de droits. Elle devient contra legem. La preuve du titre se fait alors par recours au droit interne de l’État, constitutionnel et administratif. C’est ainsi que l’intention de la puissance administrante sur ce qu’elle considérait comme étant la frontière doit se déduire du comportement de cette puissance au regard du territoire considéré avant la date critique de l’accession à l’indépendance. Cette preuve se déduit également du comportement des États concernés après leur accession à l’indépendance?: il convient de voir si, après leur accession à l’indépendance, ils considérèrent (ou pas) ce territoire comme faisant partie de leur sphère de souveraineté. Sur base de ce principe ainsi posé, la preuve du titre du Liban à la souveraineté sur les hameaux de Chebaa doit être cherchée dans les «?effectivités?» du mandat français sur le Liban, et se retrouver dans les archives diplomatiques de la France. Des documents ainsi trouvés, nous avons pu déduire que la France, puissance administrante, considérait que les hameaux de Chebaa faisaient partie du territoire libanais. Le territoire était clairement délimité. Toutefois, jusqu’à l’indépendance, la frontière libano-syrienne n’avait pas été démarquée. Et jusqu’à cette date, la démarcation n’a pas été exécutée, cette dernière opération n’étant que l’exécution sur le terrain de l’opération «?juridique?» de la délimitation du territoire, c’est-à-dire de son attribution. La preuve de l’étendue géographique des hameaux de Chebaa Comment connaître alors l’étendue de ce territoire «?hérité?» de la France, d’autant plus que la surface du territoire en question n’est pas connue avec exactitude, les Nations unies avançant un chiffre ridiculement bas, alors que le gouvernement libanais parle de 200 km2. Dans une remarque préliminaire concernant la surface supposée du territoire, nous soulignons le fait que l’opération de délimitation et de recensement des propriétés foncières dans la région de Chebaa a été exécutée et que tous les lots portent des numéros de cadastre. Toutefois, la superficie de ces terrains n’a pas été mesurée avec exactitude, cette opération étant purement technique, topographique. Le résultat est que les propriétaires, afin d’éviter des taxes successorales élevées sur ces terrains, déclarent des superficies bien inférieures à la surface réelle, d’où ces différences dans l’estimation de la surface globale de la région occupée par Israël. Dans ces archives diplomatiques françaises relatives au mandat sur le Liban, un document très important, accompagnant un problème bien déterminé dans la région des hameaux justement, permet de connaître cette étendue. Il s’agit d’un croquis, dessiné par Pierre Bart, conseiller administratif au Liban-Sud, du 10 novembre 1937 (voir croquis). Nous pensons que c’est le principe illustré par ce document qui doit être adopté aujourd’hui pour une résolution pacifique et juste de la question des hameaux de Chebaa. Ce croquis montre clairement que la frontière est du Liban, qui a été adoptée par les habitants des villages frontaliers de Jebbata el-Zeit (Syrie) et de Chebaa (Liban), suit la ligne de Wadi el-Assal.?À ce niveau-là, il ne devrait pas y avoir de problème : tout ce qui est situé à l’est de Wadi el-Assal appartient à la Syrie et les territoires situés à l’ouest de Wadi el-Assal appartiennent au Liban. Toutefois, les deux États doivent convenir de la ligne à adopter?: est-ce la ligne médiane?? La ligne du thalweg?? La ligne du fond?? Une ligne passant sur l’une des rives de ce wadi?? Toutes ces questions nécessitent des réponses que seules les parties concernées pourront donner. Quant à la frontière sud du Liban, elle se situe après le village libanais de Nekhailé, qui est déjà en dehors de la zone des hameaux, mais autour duquel il n’existe aucune polémique quant à son appartenance au Liban. Mais où se situe donc la frontière?? Le territoire libanais atteint-il la ligne de 1923, connue sous le nom de ligne Paulet-Newcombe?? À notre avis, et si l’on regarde attentivement le croquis de Pierre Bart, il existe une bande de territoire au sud du village qui n’est pas représentée en territoire libanais, mais semble avoir été considérée par les Français comme un territoire syrien. Par conséquent, à l’est du fleuve Hasbani, le Liban n’a pas de frontière avec Israël, mais avec la Syrie. La ligne de 1923 séparerait la Syrie d’Israël. Une autre ligne, au sud du village de Nékheïlé (peut-être la limite administrative du village??), séparerait le Liban de la Syrie. Il conviendrait de démarquer aussi cette ligne avec la Syrie. Cette hypothèse est non seulement juridiquement plausible, mais elle serait corroborée par des faits. En effet, des informations qu’il conviendrait de vérifier laissent croire que les Nations unies, après la redémarcation de la frontière en 1949, auraient fait entrer des forces syriennes sur cette bande, plus exactement en 1950. Cela serait une indication forte sur l’adoption par les Nations unies du principe illustré dans le croquis du conseiller Pierre Bart. Par ailleurs, cette hypothèse expliquerait le fait que le village de Ghajar soit libanais à l’ouest du Hasbani et syrien pour sa partie située à l’est du fleuve. Elle expliquerait pourquoi, en 1949, les forces des Nations unies ne retrouvaient pas sur la ligne de 1923 les bornes frontalières qui devaient former le tripoint libano-syro-israélien de la frontière?: c’est que ce tripoint n’existerait pas. Elle expliquerait le fait qu’Israël disait avoir rencontré des Syriens lors de l’occupation de ce territoire et après la guerre de 1967… Ce croquis montre également le village de Moghr Chebaa en territoire syrien, chose qui a été confirmée ultérieurement par le tribunal mixte syro-libanais en charge des opérations de délimitation et de recensement des terrains limitrophes. En fait, bien des énigmes se dissiperaient et les morceaux du puzzle se mettraient en place. L’adoption du principe d’attribution territoriale qu’il illustre donne de la cohérence à un ensemble de faits qui ont l’air assez saugrenus s’ils sont pris tout seuls. Il subsistera également une petite partie qui posera un problème de démarcation, celle située à l’extrémité nord de la ligne qui suit Wadi el-Assal lorsqu’elle bifurque vers le nord-ouest. En effet, dans cette région montagneuse, le terrain est extrêmement accidenté voire hostile, et le travail de démarcation demandera des moyens techniques et humains conséquents, pareils à ceux qui avaient été déployés dans la démarcation de la frontière entre l’Argentine et le Chili dans la cordillère des Andes. L’importance du principe de l’«?uti possidetis juris?» au Moyen-Orient Ce principe, qui transforme les frontières administratives en frontières internationales, a trouvé son application à l’origine en Amérique latine, lors de l’émancipation des républiques sud-américaines de l’Empire espagnol. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le principe a trouvé application sur le continent asiatique avec la séparation de l’Inde et du Pakistan. Puis son application a été étendue au continent africain, à la fin du colonialisme et la vague d’accession à l’indépendance qui a y déferlé dans les années 60. Un renouveau spectaculaire de l’application du principe a vu le jour dans les années 90 sur le continent européen avec l’éclatement de l’Union soviétique et l’apparition des nouvelles républiques de l’Est qui ont finalement toutes adopté, de manière générale, les frontières administratives telles qu’elles avaient été établies par l’État préexistant. La question est de savoir si ce principe a été suivi au Moyen-Orient, après la dissolution de l’Empire ottoman et l’accession à l’indépendance à la fin des mandats ou des protectorats sur les États de la région. La réalité est que même les États, tels que l’Arabie saoudite, qui ont toujours refusé les frontières préexistantes comme étant des frontières imposées par l’«?occupation?» ont, dans les traités bilatéraux signés après des tensions, parfois frisant la guerre, finalement adopté les frontières heritées du pouvoir ottoman (ex. frontière entre l’Arabie saoudite et le Yémen, adoptée par traité), du mandat britannique (frontière entre l’Égypte et Israël dans l’affaire de Taba, tranchée par voie d’arbitrage), ou du mandat français (frontière entre le Liban et la Syrie). La dérogation à ce principe devrait se faire par traité spécial. Ce qui n’exclut pas la possibilité de conclure des traités de démarcation lorsque celle-ci s’avère problématique. Dans les affaires qui ont été résolues devant des juridictions internationales, il convient de mentionner que Mme Ruth Lapidoth, internationaliste israélienne et membre du Tribunal arbitral dans l’affaire de Taba, ayant exprimé une opinion dissidente concernant la sentence rendue, avait fortement plaidé en faveur de l’application de ce principe. Par ailleurs, la sentence arbitrale rendue dans l’affaire Dubaï/Chardja a clairement adopté le principe. De surcroît, le Yémen avait plaidé pour l’application de l’uti possidetis juris dans l’affaire qui l’opposait à l’Érythrée. Nous estimons que l’adoption de ce principe au Moyen-Orient favoriserait la paix et la stabilité dans la région, et aiderait même à résoudre la crise entre Israël et la Syrie, puisque l’occupation ne pourrait plus générer de droits. Le futur État palestinien profiterait de l’application de ce principe. Seule la ligne léguée par les puissances mandataires (ou par la communauté internationale en ce qui concerne le plan de partage de la Palestine) serait juridiquement reconnue et toute modification des frontières devrait se faire par accord mutuel et non par la force. Le principe sacro-saint du droit international public, celui de l’interdiction du recours à la force et de la mise de la guerre hors-la-loi, s’en trouverait même conforté. Sans être une panacée contre la guerre, l’adoption de ce principe ne peut que servir une cause pour laquelle se bat en principe la communauté internationale, la paix et la stabilité au Moyen-Orient. * Avocate à la cour, docteur en droit international public (Paris II), auteure d’une thèse de doctorat et d’un ouvrage intitulé «?Le statut juridique des hameaux de Chebaa dans le droit international applicable aux États nouveaux?», directrice de l’institut des droits de l’homme du barreau de Tripoli, présidente de l’Association pour la défense des droits et des libertés (ADDL), enseignante universitaire.
Par Marie GHANTOUS *

La question des hameaux de Chebaa occupe de nouveau le devant du discours diplomatique après un coma de près de deux ans.
Mais puisque finalement la communauté internationale semble revenir à la raison et au droit, et commence à admettre que les hameaux de Chebaa sont bel et bien un territoire libanais, la question qui se pose maintenant est celle de...