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Actualités - REPORTAGE

Des milliers de Libanais révèlent leur misère sur les écrans de télévision pour demander des aides «?Nehna la Baad?», un programme social qui met en relief les carences de l’État

Alors que nos leaders politiques, après s’être livrés des semaines durant à une guerre impitoyable pour s’arracher les postes ministériels, continuent aujourd’hui encore à s’affronter autour de la déclaration ministérielle, des Libanais s’activent dans l’ombre pour sauver des vies et apaiser la souffrance de milliers de citoyens que la maladie et les misères cumulées ont accablés. Tel est le noble objectif que s’est promis d’atteindre l’équipe de la LBCI Nehna la Baad (Tous solidaires), grâce à une initiative qui va au bien au-delà de l’idée d’un programme populaire de télévision, pour s’attaquer à l’humanitaire dans toutes ses composantes. Deux fois par semaine, le téléspectateur libanais voit défiler sur son écran les histoires troublantes de familles déshéritées, décimées par la maladie et le dépouillement total. Éjectés d’un système social en dysfonctionnement, où les services de santé et d’entraide sont souvent récupérés par les leaders à des fins électorales ou de clientélisme politique, ces laissés-pour-compte ont été acculés à se tourner vers leurs compatriotes pour solliciter une aide que l’État n’a jamais pu leur assurer. Pour plusieurs d’entre eux, leur survie dépend désormais de la générosité et de la compassion de donateurs libanais, parfois même étrangers, que le spectacle du dénuement a profondément remués. Rigoureusement sélectionnés par l’équipe de travail de Nehna la Baad, les «?cas?» qui s’affichent sur les écrans télé viennent exposer durant le programme leurs maladies, leurs maux et douleurs devant des millions de téléspectateurs, dans l’espoir que ces moments poignants – mais ô combien indignes du pays du Cèdre – leurs ouvrent les portes de la survie et de la délivrance. Les malades, soit près de 80?% des cas qui se présentent, reçoivent, via un appel de solidarité et d’entraide lancé par la LBCI, des dons en toute nature (argent, moyens de subsistance, soins médicaux gratuits, etc.). Autant de gestes de générosité qui les arrachent à leur désespoir endémique et leur redonnent le goût à la vie. Lancée durant la guerre de juillet dans le but de suivre ceux parmi les déplacés du Liban-Sud atteints de maladies chroniques et nécessitant un traitement continu, l’émission a fait un effet boule de neige. Dès la cessation des hostilités, la LBCI a été envahie par des milliers de demandes en provenance non plus seulement du Liban-Sud, mais de l’ensemble du territoire libanais. «?Tout à coup, la porte de la misère s’est grande ouverte. Les gens venaient s’aligner devant le bâtiment pour déposer leurs dossiers?», explique Désirée Farah, conceptrice et productrice du programme. «?En un mois, nous avons reçu plus de 3?000 requêtes, les demandes ayant de loin dépassé l’offre en termes de ressources humaines et matérielles à notre disposition. C’est ce qui nous a poussé à mettre en place tout un système sophistiqué et un mécanisme rationalisé pour pouvoir répondre aux sollicitations?», ajoute-t-elle. «?Dès le départ, l’idée du téléthon a émergé et le programme s’est immédiatement orienté vers la collecte de dons financiers ou autres, destinés principalement à assurer à ceux qui en avaient besoin l’argent, les médicaments et les opérations chirurgicales nécessaires?», explique encore la responsable du programme. Cependant, l’initiative ne devait pas s’arrêter à ce stade et dépassait l’aide matérielle ou logistique à proprement parler, puisque les malades et les familles secourus étaient ensuite suivis pendant plusieurs mois après leur première apparition à la télévision. «?Le véritable travail commence une fois le don reçu et l’écran éteint?», précise Désirée Farah. Complètement dédiés à la cause, les membres de l’équipe – cinq en tout – suivent les «?cas?» jusqu’à l’aboutissement final de l’acte d’entraide, ne manquant aucune visite de soutien ou d’encouragement aux «?élus?» du programme. Certes, le choix est toujours difficile à faire, et les priorités souvent délicates à définir, le nombre de citoyens qui ont désormais recours au programme ayant décuplé avec le temps. «?Nous donnons souvent la priorité aux enfants et aux vieux, car ce sont les catégories sociales les plus fragilisées par le système. Mais le dilemme se pose quand même, et ce toutes les fois où nous devons trancher en faveur d’un dossier ou d’un autre?», souligne Désirée Farah. C’est le cas par exemple de la jeune Sarah, 14 ans, née sans foie et avec un seul rein, et qui n’avait plus que quelques mois à vivre, selon ses médecins. «?Sarah était condamnée. Certaines personnes au sein de l’équipe ne voyaient pas l’utilité de l’aider, préférant laisser l’opportunité à ceux que l’on pouvait encore sauver. Nous avons finalement décidé de lui donner sa chance comme aux autres, et de lui tendre la main même pour un court laps de temps, ne serait-ce que pour lui insuffler un peu de courage et de bonheur.?» Outre les soins médicaux et le traitement dont elle a pu bénéficier grâce au programme, Sarah a surtout eu la joie de voir à ses côtés une équipe dévouée, qui, à ses heures libres, tenait à venir déposer ses offrandes d’amour et de compassion à la jeune fille qu’elle a soutenue jusqu’à la fin de ces jours. Confrontés au quotidien à la problématique de la vie et de la mort, les membres de l’équipe sont conscients du poids des responsabilités qui pèsent sur eux ainsi que des limites d’un programme télé qui, comme le dit la productrice, «?n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de misère et de calamités sociales?». «?On apprend souvent que des dizaines de personnes meurent parce que nous n’avons pas pu leur apporter l’aide à temps. C’est extrêmement dur de réaliser par moments notre impuissance à sauver des vies?», déplore Désirée Farah. Heureusement pour l’équipe, les histoires de réussites et de victoires sur la mort et la pauvreté sont relativement importantes. C’est le cas par exemple d’Anthony, 12 ans, qui pour la troisième et dernière fois, va subir une opération à cœur ouvert. Celle-ci sera déterminante dans sa nouvelle vie d’adolescent. Le petit garçon aura ainsi bénéficié d’une contribution généreuse qui lui a assuré la couverture des frais de trois opérations qui lui redonneront une vie normale. Libanais dans leur grande majorité, les donateurs appellent au cours de l’émission des quatre coins du monde, mais aussi du Liban, pour offrir une aide sans retour, sans conditions. D’Afrique, de Californie, d’Australie, sans oublier le pays du Cèdre, des Libanais – et pas toujours des plus fortunés?! – appellent en direct et sous couvert d’anonymat pour exprimer et concrétiser leur solidarité avec ces familles démunies. «?Une des plus belles caractéristiques de ces contributeurs est le fait qu’ils se sont rarement intéressés à la communauté religieuse à laquelle appartient la personne soutenue. Le plus souvent, ce sont des musulmans qui soutiennent des chrétiens et vice-versa. Un peu comme si les Libanais, de manière inconsciente, cherchent à exorciser le démon du confessionnalisme, à travers un acte de charité et d’amour complètement désintéressé?», souligne la conceptrice du programme. Les idées d’entraide ne tarissent jamais d’ailleurs, encore moins l’altruisme et le dévouement, toujours au rendez-vous, même lorsqu’il faut appeler des dizaines de fois la LBCI à partir de l’étranger pour s’enquérir du malade ou de la personne dans le besoin. «?Touchées par tant de souffrances, un groupe de femmes au foyer vivant en Australie a décidé d’organiser des déjeuners et des dîners dont les revenus ont été versés aux cas qui se présentent. Un ingénieur-entrepreneur à Dubaï a proposé d’aménager lui-même un appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble pour un jeune homme gravement accidenté, qui ne pouvait plus monter les escaliers dans son ancien appartement?», raconte Désirée Farah. Bref, un véritable triomphe sur l’insouciance et le désintéressement des «?responsables?» libanais qui en dit long sur l’état du service public en termes de droit minimal à la santé et aux aides sociales, dans un pays qui pourtant ne peut être considéré parmi les plus pauvres. «?Le comble, c’est lorsque certains ministres ou députés interviennent auprès de nous pour nous interpeller sur certains cas en nous exhortant de nous en occuper?», s’indigne un membre de l’équipe, qui précise que «?jamais un homme politique libanais – à l’exception d’un seul qui s’est chargé une seule fois d’un cas – n’a pris l’initiative de contribuer au programme d’une manière ou d’une autre?». Ces magnifiques actes de philanthropie ne devaient pas tarder à faire tache d’huile, entraînant dans l’engrenage de la solidarité des centaines de jeunes étudiants et universitaires, qui sollicitent désormais les responsables du programme pour offrir leur soutien. Émus par les larmes abondantes d’un vieux fermier de la Békaa, les élèves d’une école de Zahlé ont décidé d’agir. En choisissant d’effectuer un travail physique éprouvant – une cueillette de pommes de terre dans la région qui leur a rapporté à chacun 10?000 LL la journée?–, ces jeunes de 17 ans ont voulu offrir le fruit de leur travail pour nettoyer et peindre la maison du vieux fermier. Contaminé par le virus de l’entraide, un autre groupe de jeunes issus d’une école du Liban-Nord ont choisi à leur tour de laver des voitures pendant toute une journée pour soutenir d’autres cas. «?J’aurais souhaité que la caméra puisse accéder à mon cœur pour pouvoir déceler le bonheur que cet effort d’entraide m’a apporté?», témoigne Joumana, 16 ans. Piqués par la jalousie, les parents des écoliers se sont mis à l’œuvre, encouragés par leurs propres enfants. «?Ainsi est née une chaîne de solidarité compacte et infaillible, qui soutient désormais le concept du programme et nourrit la caisse de la mutualité privée palliant ainsi l’absence d’un État qui se trouve dans le coma », conclut Désirée Farah qui ne souhaite qu’une chose?: «?Que les hommes qui dirigent ce pays prennent à leur tour conscience de la misère qui les entoure et apprennent la leçon de l’engagement humanitaire et social.?» Jeanine JALKH
Alors que nos leaders politiques, après s’être livrés des semaines durant à une guerre impitoyable pour s’arracher les postes ministériels, continuent aujourd’hui encore à s’affronter autour de la déclaration ministérielle, des Libanais s’activent dans l’ombre pour sauver des vies et apaiser la souffrance de milliers de citoyens que la maladie et les misères...