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Actualités - OPINION

Deux hommes à Beyrouth

Il l’aime sec, son whisky. Pour accompagner des mots parfois secs aussi. Il adore parler politique. Il en parle d’un ton détaché comme d’un jeu dont il connaît les règles désormais. S’il est fort et malin, c’est parce qu’il y joue sans émotions et que sa vie n’en dépend pas. Loin de là. La politique n’est qu’un loisir de plus à côté du golf et de ses soirées mondaines. Aussi, le sujet de conversation qui l’attire le plus. Il se sent en pouvoir et il cache, par des mots complexes et prétentieux, un vide pathétique qui ronge sa vie. Pas très loin de chez lui, un autre s’endort sans dîner sur un matelas déchiré. Il ne parlera pas politique. Il ne parlera pas du tout. Il est trop fatigué depuis que ses journées durent 18 heures. Il se fout de la politique et se laisse abattre par des soucis plus urgents, des soucis du moment, comme nourrir ses enfants. Non, il ne dira rien. Il avalera sa peine pour vivre dans l’honneur que ses parents lui ont transmis et il souffrira en silence pendant qu’un autre sirote son scotch et prétend savoir tout de lui. Entre les deux, quelques arbres, des rues remplies de ceux qui ont le droit de dormir le jour et sortir la nuit, quelques restos fréquentés par des visages d’habitude, des klaxons qui ne se soucient pas du sommeil des enfants et des bars vulgaires qui vomissent l’alcool et l’excès. Le premier se dit penchant pour un parti ou pour un autre. L’autre se moque bien des partis, pourvu que sa famille ait ce soir un lit. Les politiques du monde parlent de ces choses que l’on ne comprend pas, de dangers futurs, d’armements nucléaires, de guerres froides, d’ennemis, de l’augmentation du prix de pétrole, de la flambée des cours des produits alimentaires, de majorité, d’élections pendant que d’autres, bien plus honnêtes, verraient bien n’importe qui au pouvoir pourvu qu’ils aient la paix. La politique pour ceux qui s’ennuient. La politique est un sport de luxe qui consiste à faire gagner le plus grand menteur, celui qui bluffe sans broncher, qui tient un discours solide sans y croire une seconde, qui s’excite devant les regards admiratifs. Les autres, pas très loin, ont des soucis plus urgents, des soucis du moment, qui consistent à se battre tous les jours contre la mort afin de se procurer de la nourriture pour le corps. Ceux-là sont ceux qui ressentent réellement l’inflation?; ils la ressentent dans leur chair alors que les premiers ne la remarquent qu’à travers des statistiques de riches. D’ailleurs, ils préfèrent les produits de luxe. Or ceux-ci sont, depuis longtemps, plus taxés. Leur situation demeure donc inchangée. Politiques, parlez de choses qui nous intéressent, de ces choses qui nous concernent directement, d’écoles publiques et de réseaux d’irrigation, de musées et d’allocations sociales, d’égalité des chances et de routes salubres… Pensez à ceux qui, pendant que vous lampez votre whisky d’un trait, sont à la recherche d’eau potable. Karen AYAT
Il l’aime sec, son whisky. Pour accompagner des mots parfois secs aussi. Il adore parler politique. Il en parle d’un ton détaché comme d’un jeu dont il connaît les règles désormais. S’il est fort et malin, c’est parce qu’il y joue sans émotions et que sa vie n’en dépend pas. Loin de là. La politique n’est qu’un loisir de plus à côté du golf et de ses...