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Actualités - OPINION

Impression Ressources et recettes

Depuis la béatification du père Jacques, l’épouvantail de la famine s’est rappelé au souvenir des Libanais. L’évocation de cet homme qui, bien avant Mère Teresa, recueillit les affamés et les mourants sur les chemins du Mont-Liban est inséparable du blocus des Alliés au temps de la Grande Guerre. Dans notre pays où l’hospitalité n’est pas un vain mot, où le paysan est réputé des plus généreux au monde, ce fut surtout une période de grande honte. Peu de documents, à part quelques photographies de corps décharnés conservées au monastère de Ghazir et un roman d’Évelyne Bustros (Sous la baguette du coudrier, an-Nahar) nous renseignent sur cette époque. Le reste est tartiné de silence. Comment s’étaient débrouillés nos aïeux ? Par quel miracle les Libanais d’aujourd’hui sont-ils passés à travers les mailles de cette sélection impitoyable ? Pour ma part, je crois devoir l’existence à un arrière-grand-père qui allait à dos de mulet, bravant la soldatesque par on ne sait quel stratagème, ramener pour le village un peu de blé de ce qui est aujourd’hui la Syrie. Il y eut donc un Robin des Bois embusqué dans les branches de mon arbre généalogique. Je dois aussi à cet homme le sentiment confus mais rassurant qu’en toute circonstance, il existe un moyen honnête de s’en sortir. Seul le manque de courage et de foi est fatal, dit-on crânement dans ma famille depuis lors. À vérifier. Mais encore, comment ont fait les autres ? Paradoxalement, l’abondance orgiaque des entrées en cuisine libanaise n’est qu’un échantillonnage de la conversion du comestible en consommable au temps où, oui, on mangeait l’herbe par les racines pour rester vivant. La piétaille rivalisant avec les sauterelles pour rafler tout ce qui se cultivait au grand jour, il ne restait à la population que ces petits cadeaux que la nature lui refilait hors champ, à l’abri des regards : l’oignon et l’ail dans leur forme sauvage, le pissenlit, le cresson des rivières, l’âpre pistachier, l’arbre de Judée et ses belles fleurs suaves, quelques baies subtilisées à la faune du jurd. Dans des jardins secrets poussait la coriandre, la roquette, le basilic et surtout le persil, ce qui laisse croire qu’à défaut d’aliments l’on se gavait d’aromates. Voilà pourquoi notre taboulé, s’il contient quelques grains de blé concassé, n’a rien à voir avec la pâle édition couscous qu’en donnent les restaurants européens à vocation exotique. L’authentique taboulé, version famine, est une salade de persil. Le Libanais a eu faim et cette faim fut à ce point occultée dans la mémoire collective qu’elle est aujourd’hui convertie en fête. Ainsi allons-nous, légers et court vêtus en plein choc alimentaire et pétrolier. Débarrassés de notre inconscient, nous sommes l’Inconscience. Tout un art. Fifi ABOU DIB
Depuis la béatification du père Jacques, l’épouvantail de la famine s’est rappelé au souvenir des Libanais. L’évocation de cet homme qui, bien avant Mère Teresa, recueillit les affamés et les mourants sur les chemins du Mont-Liban est inséparable du blocus des Alliés au temps de la Grande Guerre. Dans notre pays où l’hospitalité n’est pas un vain mot, où le paysan...