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Actualités - OPINION

L’État régional plutôt qu’une fédération Michel FAYAD

Le Nigeria est présenté comme un fédéralisme sur base religieuse pouvant faire figure de modèle pour le Liban. En réalité, le Nigeria est, dans les faits, un État unitaire décentralisé en raison de la multiplication des États au sein de la fédération qui a permis au pouvoir central de se renforcer. Deux démocraties consensuelles, la Belgique et la Suisse, sont des États fédérés. Il serait tentant de reproduire au Liban leurs systèmes. Toutefois, en tant que système confédéral, le fédéralisme belge conduirait le Liban à la partition puisque c’est le chemin emprunté par la Belgique elle-même avec la sécession annoncée de la Flandre suspendue au sort de Bruxelles. La cantonisation suisse non plus ne fonctionnerait pas au Liban, qui en a déjà fait l’expérience. Après les massacres de 1840, les Ottomans décidèrent d’instituer une administration directe du Mont-Liban. En 1841, ils subdivisèrent le pays en deux « caïmacamats », la route de Damas séparant le canton maronite au Nord du canton druze au Sud. Les Ottomans firent ainsi mine d’ignorer la présence d’une importante minorité druze au Nord et surtout maronite au Sud. Cette situation aboutit au massacre de juin 1860. En septembre, un corps expéditionnaire français débarqua et imposa avec les alliés un statut d’autonomie au Mont-Liban sous protection européenne jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale et l’abolition par les Ottomans de ce statut. L’ « échec » de cette expérience fédérale, sinon le drame qu’elle a occasionné a conduit Michel Chiha à prévoir, au moment de la rédaction de la Constitution libanaise en 1926, un État unitaire centralisé (selon le modèle jacobin de la IIIe République en France) au régime personnel fédéral sans prolongement territorial. Si l’accord de Taëf de 1989 a prévu une décentralisation administrative, celle-ci n’a jamais vu le jour. L’État unitaire ayant montré ses faiblesses et une décentralisation même politique étant probablement insuffisante, reste l’État autonome ou régional déjà proposé par le groupe Gamma et défendu par Bachir Gemayel, et qui est une forme entre l’État unitaire (centralisé, déconcentré ou décentralisé) et l’État composé (fédéral ou confédéral). Le régionalisme ou l’autonomisme est la meilleure organisation possible pour garantir l’unité de l’État et la diversité des régions. L’autonomie des régions dans un État autonome ou régional n’est pas aussi marquée que dans un État fédéral puisque l’État régional exerce un contrôle strict sur les régions. Toutefois, comme c’est le cas dans l’État fédéral, les régions partagent la compétence législative avec le Parlement, même si celle-ci est moins étendue dans l’État régional. L’État autonome espagnol et l’État régional italien sont parfois vus comme étant une transition purement formelle entre l’État unitaire et l’État fédéral, mais la réalité est autre. En effet, l’Italie a rejeté par référendum, en 2006, le passage à la fédération. Jean Salem écrit : « Le maintien, sous la pression de forces politiques ou confessionnelles, de l’État unitaire centralisé ne peut mener qu’à son éclatement définitif ou à sa phagocytose, avec, comme conséquence, un désastre politico-culturel (…). Dès lors, pourquoi ne pas envisager une formule reposant sur un échafaudage étatique nouveau, inspiré du droit constitutionnel comparé et qui fait ses preuves ailleurs : celui de l’État régional (dit encore « autonome »), à l’exemple de l’Espagne, avec dix-sept « comunidades », ou de l’Italie, avec ses vingt régions. À mi-chemin de l’État unitaire et de l’État fédéral, avec lequel il ne doit pas être confondu, l’État régional laisse subsister l’unité de l’ordonnancement constitutionnel, tout en accordant aux régions qui le composent une très large autonomie non seulement administrative, mais également politique, en les dotant d’organes législatifs et exécutifs propres et disposant de pouvoirs étendus, tout en laissant entre les mains de l’État la responsabilité des intérêts communs. À ceux qu’effarouche le fédéralisme, la régionalisation offre une alternative et un compromis satisfaisants ; dégelant les crispations intercommunautaires, apaisant les craintes et les méfiances grâce aux garanties qu’elle institue, permettant un fonctionnement harmonieux des structures pluralistes, elle a pour elle, loyalement appliquée, des atouts capables d’assurer à l’État libanais un avenir qui, dans le cadre de l’État unitaire actuel, paraît dramatiquement incertain. Adoptée par des États qui comptent parmi les plus évolués, elle constituerait, pour le Liban, une parade institutionnelle, aujourd’hui inexistante, face aux visées tendant à remettre en cause les fondements pluralistes de l’ordre politique et social et la coexistence des civilisations, sur lesquels s’est édifié l’État libanais et qui, à condition que leur soit assuré un encadrement adéquat, doivent rester sa charte et sa vocation. Elle pourrait permettre, enfin, une union nationale d’autant plus viable qu’elle ne viserait pas à une unification contre nature. »1 Le constitutionnaliste souligne que « deux principes s’imposent avec la même force et la même évidence, sans qu’aucun des deux puisse prétendre à une supériorité ou à une prééminence sur l’autre : celui de la pleine autonomie de l’État, dans l’exercice de sa compétence normative et juridictionnelle, à l’égard des communautés, et ce indépendamment de la forme juridique de l’État : unitaire simple, décentralisé, régional ou fédéral ; et celui, parallèlement, comme corollaire du premier, de la reconnaissance d’un domaine d’autonomie dévolu aux communautés en tant qu’éléments constitutifs de base du peuple libanais et partenaires fondateurs de l’État ». Il propose le principe de la double autonomie, celle de l’État et celle des communautés : « En possession de ses instruments institutionnels et de l’organisation de son espace juridique, garant d’une cohésion sociale reposant sur une conception non équivoque de la citoyenneté, l’État, ainsi dégagé de l’emprise des communautés, n’aura aucune raison de refuser à ces dernières une autonomie qu’il aura lui-même recouvrée. Le principe de la double autonomie permettra d’établir une équation institutionnelle dans un cadre juridique souple, qui pourrait être plus proche du régionalisme que du fédéralisme, et qui garantirait à la fois les droits de l’État et les conditions de son indépendance et de son épanouissement, et les droits des communautés en tant que familles spirituelles et intellectuelles, de manière à les soustraire à toute entreprise, directe ou insidieuse, d’étouffement de leur personnalité et de leur mémoire historique. » Il insiste sur le fait que « l’autonomie des communautés ne peut prendre son véritable sens et sa véritable dimension que si elle est conçue et organisée d’abord comme autonomie culturelle, permettant à chaque communauté de déterminer librement le système intellectuel de son choix. C’est dire que le champ de l’autonomie communautaire ne saurait se définir seulement, ni principalement, par la gestion législative et juridictionnelle du statut personnel – sous réserve des droits de l’État dans ce domaine : il comporte la reconnaissance institutionnelle, et la protection législative et juridictionnelle du pluralisme culturel de la société libanaise, ce qui doit s’entendre de la diversité non seulement des patrimoines religieux et spirituels, mais tout autant des patrimoines intellectuels dans l’acception la plus large du terme ». Il explique que « le rejet, par certains pôles politico-confessionnels, de la reconnaissance aux communautés d’un espace d’autonomie culturelle juridiquement protégé, à l’intérieur d’un cadre institutionnel assurant à la fois l’unité de l’État et la prise en compte du pluralisme de la société, a conduit, à ce jour, par peur de réveiller de vieux démons ou simplement par désir de ménager des susceptibilités, à éluder toute approche rationnelle d’un problème dont la solution commande pourtant le devenir de l’État libanais, son régime constitutionnel et l’organisation des droits et des libertés, et faute de laquelle ils restent à la merci des aléas des conjonctures et des rapports de force». Il ajoute que « l’autonomie culturelle des communautés, organisée par la Constitution et reposant ainsi sur un statut à valeur juridique supralégale, implique nécessairement l’existence d’organes représentatifs de celles-ci, ce qui rend indispensable l’institution d’une seconde chambre, où les représentants de chaque communauté seraient élus par leurs coreligionnaires ». L’État autonome ou régional, aujourd’hui prôné par le Front de la liberté sous le leadership de Fouad Abou Nader, serait par conséquent l’organisation d’un État la mieux adaptée pour le Liban. Pour approfondir, lire « Un ordonnancement constitutionnel sous hypothèque » http://www.cedroma.usj.edu.lb/pdf/drreli/Salem.pdf, par le professeur Jean Salem. (1) Dans le supplément de « L’Orient-Le Jour paru le 26 mars 2007, « L’avenir en points d’interrogation : identité, pluralisme, État de droit ». Article paru le jeudi 3 juillet 2008
Le Nigeria est présenté comme un fédéralisme sur base religieuse pouvant faire figure de modèle pour le Liban. En réalité, le Nigeria est, dans les faits, un État unitaire décentralisé en raison de la multiplication des États au sein de la fédération qui a permis au pouvoir central de se renforcer.
Deux démocraties consensuelles, la Belgique et la Suisse, sont des...