Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Le Liban : mode d’emploi* Antoine MESSARRA

Quand on participe à des débats sur le système politique libanais, dans des rencontres spécialisées ou dans des réunions de salon, on est pris de vertige si on essaie de cibler le débat, de lui donner un niveau minimal de cohérence et d’opérationnalité. Tout est en tout ! On risque finalement de ne rien comprendre, d’où la boutade d’un étranger : « Si vous avez compris le Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué ! » L’expérience dans l’enseignement, la recherche, l’action au sein de la société civile, et surtout les développements depuis l’attentat terroriste contre le président Rafic Hariri et le retrait militaire syrien du Liban, débouchent sur la détermination de trois problèmes centraux majeurs. 1. Le Liban, dilemme géographique. Nous avons certes des problèmes de confessionnalisme, de clientélisme, de corruption… mais nos plus gros problèmes, c’est avec le très proche voisinage, plus proche qu’il ne faut. Sans une culture de prudence dans les relations extérieures, sans distinction minimale entre quatre catégories de rapports dans les relations internationales : l’occupation, l’ingérence, le soutien, et les résolutions de l’ONU, on risque de fourrer tout dans tout. La fraternité, cela fonctionne dans les rapports interpersonnels, mais pas dans les relations extérieures, régies par les normes du droit international. 2. Sous occupation, tout système constitutionnel est perturbé. Il faut toujours se référer à la Constitution libanaise et à l’accord d’entente nationale de Taëf, réfléchir à des modes de gouvernance plus efficaces. Mais il faut aussi dans toute étude sérieuse du système politique libanais, depuis 1969 au moins, date de l’accord du Caire, puis 1975-1990, puis l’invasion israélienne, puis l’infiltration des services libano-syriens dans tous les rouages du pouvoir avec un laminage progressif des forces vives de la société, il faut introduire le paramètre de l’occupation dans toute analyse sérieuse du système politique libanais. Les systèmes totalitaires environnants ont développé leurs techniques et expertises diversifiées dans la manipulation des démocraties, alors que celles-ci sont par nature soumises au jeu risqué de l’opinion. 3. Un problème de culture politique. On ne peut changer la géographie. Il n’est pas non plus de notre pouvoir de changer les autres systèmes politiques, ni de notre voisin sioniste ni de nos voisins arabes dont les régimes sont pour la plupart antinomiques avec celui du Liban. Presque tous les auteurs qui ont écrit sur le système politique libanais ont déploré la difficulté d’émergence d’une majorité transversale et multicommunautaire consistante au pays des « minorités associées ». Il y a eu dans l’expérience libanaise des majorités multicommunautaires, dont le Nahj et le Helf, en 1966-1970. Depuis qu’une forte majorité islamo-chrétienne et transversale a émergé en 2005 avec la révolution du Cèdre, le Printemps de Beyrouth, l’intifada de l’Indépendance, toutes les techniques de manipulation ont été et sont déployées par des aventuriers qui frisent la folie (mughâmirîn) et des parieurs externes (muqâmirîn). Les adversaires du Liban,et surtout les plus proches voisins, sont devenus experts dans la manipulation du pluralisme communautaire libanais, avec un mode d’emploi ou plutôt de dé-emploi fort habile, exploitant la scène libanaise, les rivalités internes, la gestion complexe d’un système consensuel de gouvernement. C’est ainsi que nombre de techniques de manipulation ont été et sont aujourd’hui déployées visant à transformer des pathologies des systèmes consensuels de gouvernement(1) en normes de gouvernance et à rendre ainsi tout le système libanais ingouvernable, à moins de l’intervention du régime syrien. Toutes les formules, positives ou négatives, utilisées dans l’histoire du Liban et aujourd’hui pour décrire le Liban ou le qualifier : otage, laboratoire, message, confessionnalisme, scène de conflit par procuration (sâha), modèle de coexistence islamo-chrétienne, image d’avenir de l’arabité démocratique… toutes ces formules sont adéquates. Le problème n’est pas tant dans le sens du Liban mais, plus pragmatiquement, enfin, dans le mode d’emploi de ce pays, tant par les Libanais eux-mêmes que dans les rapports régionaux et internationaux. À propos de « bourbier libanais », on attribue au président Carter cette réflexion sur la crise libanaise en 1975-1976 : « C’est comme le hérisson que vous ne savez plus par quel côté tenir, car il vous pique de partout. » Si les Ottomans d’ailleurs avaient laissé une certaine autonomie à la Montagne, c’est plutôt parce que le gouvernement de cette Montagne cause trop d’ennuis. Quand tout a été essayé Tous les modes d’emploi ont été essayés dans ce pays, dans le sens de la démocratie et de la stabilité, comme dans le sens de la manipulation du pluralisme libanais pour des enjeux extérieurs. L’accord d’entente nationale de Taëf présente, après une expérience riche et douloureuse de 1975 à 1990, un mode d’emploi non idéal (La solution en politique a toujours signifié dans l’histoire solution « finale » à la manière nazie), mais certainement un mode d’emploi expérimental, pragmatique, sage, ouvert sur des perspectives de changement graduel, à condition certes que le pays récupère son indépendance et que cette indépendance soit gérée par un chef d’État qui applique le nouvel article 49 amendé de la Constitution, c’est-à-dire qui « veille (yas’har) au respect de la Constitution » et soit le « symbole de l’unité nationale ». Les Israéliens ont tant écrit sur le coût de leur invasion du Liban et de la guerre de juillet-août 2006. Le régime syrien parle tant de ses « sacrifices » au Liban. Les Palestiniens ont aussi tant regretté leurs immixtions dans le bourbier libanais… Les forces multinationales en 1982 ont subi des attentats terroristes… Quand allons-nous, Libanais, épargner aux ennemis, frères, sœurs, cousins, arrière-cousins et autres parentés réelles ou équivoques les coûts, les sacrifices, le bourbier, les sables mouvants ?.... L’indépendance n’est pas seulement une Constitution et une légitimation internationale, mais aussi une culture d’indépendance. Au-dessous d’une caricature de Pierrre Sadek, il est écrit : « Quel est ce peuple qui ne supporte pas (yahtamil) l’occupation… et qui ne protège pas (yuhâfiz) l’indépendance ? » (an-Nahar, 12/8/2006). Telle était la perspective en 1997-2002, perspective aujourd’hui à revitaliser, du plan de rénovation pédagogique au CRDP, au ministère de l’Éducation nationale, sous la direction de Mounir Abou Asly, avec le soutien institutionnel et personnel du président Élias Hraoui. Le Liban, tout comme la Suisse au cours de son histoire lointaine, se trouve dans la géopolitique la plus complexe, avec comme entourage des pays hostiles, terroristes, tyranniques, dictatoriaux et, dans le meilleur des cas, en transition démocratique. Géopolitique aussi où le système régional arabe, celui de la Ligue arabe, manque d’efficience et se trouve, lui aussi, agressé. Il est donc exigé du Libanais un niveau de culture citoyenne, surtout après l’attentat militaire terroriste contre le président Rafic Hariri, une culture qui dépasse la nature humaine et, en tout cas, un niveau de culture citoyenne qui souffrira toujours de défaillance pour des raisons humaines, de lutte pour le pouvoir et d’intérêts sectaires et privés. Quel mode d’emploi ? En profondeur, une culture politique de prudence et d’immunisation, et une devise, sans surenchère, celle de l’imam Moussa el-Sadr : « La paix libanaise est la meilleure forme de guerre contre Israël. » (2) 1) Antoine Messarra, Les systèmes consensuels de gouvernement (Documentation fondamentale, 1960-2008), Beyrouth, Fondation libanaise pour la paix civile permanente, Librairie Orientale, 3 vol., 2008. 2) Yaacoub Daher, Masîrat el-Imam Moussa al-Sadr (Biographie de l’imam Moussa al-Sadr), 12 vol., vol. 7, p. 98. * Extraits d’une conférence donnée à Ninar – Espace culturel libanais, hôtel Le Gabriel, 27/05/2008. Article paru le vendredi 30 mai 2008
Quand on participe à des débats sur le système politique libanais, dans des rencontres spécialisées ou dans des réunions de salon, on est pris de vertige si on essaie de cibler le débat, de lui donner un niveau minimal de cohérence et d’opérationnalité. Tout est en tout ! On risque finalement de ne rien comprendre, d’où la boutade d’un étranger : « Si vous avez...