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Bienvenue au pays de l’absurde Joumana DEBS-NAHAS

Ah ! Si seulement je faisais partie de la délégation arabe venue sauver le Liban de toutes ses misères ! J’aurais eu l’occasion d’arriver à Beyrouth par la grande porte, avec les honneurs des nouveaux maîtres des lieux, les partisans de Dieu en personne qui, pour la circonstance, ont même caché leurs narguilés quelques instants… Le moment est intense, grandiose. Les désobéissants « pacifiques » mais ô combien sympathiques ont bien voulu ouvrir un pan de route pour laisser passer toute la smala venue houspiller les combattants et les déranger en pleine tuerie. Chut, silence ! On tourne…autour du pot. Mais bon, il faut reconnaître que je ne fais (mal ?) heureusement pas partie de la fort efficace commission arabe. Je pourrais bien taper des pieds et insister que je ne quitterais le Liban que par la grande porte avec les honneurs, je recevrais tout au plus quelques bonnes tapes « pacifiques », bien entendu, et on me renverra chez moi (au mieux) avec le déshonneur. Trêve de plaisanteries. Quel mal ai-je bien pu faire au Bon Dieu pour mériter de naître sur cette terre appelée Liban ? Sous nos yeux horrifiés, le même scénario d’horreur enfoui au plus profond de notre subconscient refait surface, avec la même bêtise, la même haine, les mêmes rancœurs. N’a-t-on donc rien appris ? Incrédule, ce 9 mai, j’écoutais les propos belliqueux du chef du Hezbollah annoncer qu’il « répondrait » à l’agression comme il le fallait, qu’il n’hésitera pas à utiliser les armes pour sauver les armes ! Bienvenue au pays de l’absurde… Déjà que je ne comprenais pas trop la sainteté des armes du Hezbollah avant, mais là… Je suis désolée, mais je ne pige plus du tout, mais alors plus du tout. Suis-je censée porter le fardeau de la libération de la Palestine jusqu’à la fin de mes jours ? Je veux bien compatir, je veux bien aider les Palestiniens à rentrer chez eux, si tant est qu’ils le veulent eux-mêmes, mais en passant sur nos corps, nos maisons, notre sol, nos institutions ? Non, mille fois non, sayyed Nasrallah ! Non, mille fois non, mon cher général. La route de la Palestine passe-t-elle par l’aéroport Rafic Hariri ? Passe-t-elle par les locaux flambant neuf de la Future Television ? Passe-t-elle par les centaines de vies libanaises brisées, passe-t-elle par notre économie bafouée, par notre honneur piétiné, par nos nuits sans sommeil ? Que viennent faire les armes « saintes » dans les ruelles d’un Beyrouth mille fois endeuillé ? Que font les obus et les mitraillettes sacrés dans le Chouf et au Nord ? Quel Dieu a pu vouloir ça ? Que l’on n’essaie pas de justifier l’injustifiable, de concevoir l’inconcevable, de protéger le crime, de le blanchir et de l’encenser. Un crime est un crime. Le sang des braves est le sang des braves. Il est temps d’appeler un chat un chat. L’histoire est simple. C’est celle de la jungle où, comme on le sait, le plus fort règne en maître incontesté des lieux et où la victime se nourrit de haine en attendant son tour. La jungle a pour nom le Liban, pays de miel et d’encens (sic !). Le plus fort du moment s’appelle Hezbollah, il est armé jusqu’aux dents, pas très gentil, peu tolérant, a une idéologie opposée à la mienne, a un amour du combat et pas beaucoup de scrupules. La victime est le Libanais, forcé d’assister au spectacle désolant de la haine fraternelle, qui se joue et se rejoue sous ses yeux impuissants, comme un leitmotiv cynique. Le Libanais qui est forcé de choisir soit un camp, soit le départ. J’ai longtemps choisi un camp. J’ai longtemps cru en une cause. J’ai l’espace d’un jour cru que j’allais pouvoir la concrétiser : c’était le 14 mars 2005. L’espoir s’est amenuisé au fil des jours. Dernièrement, il ne tenait plus qu’à un fil, ténu. Il a cédé. J’ai ouvert les yeux et j’ai enfin pu voir clair. Le Liban ne sera jamais en paix. Il y aura toujours un fort et un faible. Le faible sera toujours le Libanais. Il s’enflammera toujours pour des causes impossibles. Il se heurtera toujours au mur des intérêts régionaux et internationaux qu’il essaiera en vain de décrypter. Il sera toujours le grand perdant, la seule victime. Point besoin de prophéties pour le comprendre. D’autres avant moi l’ont compris. Ils sont à Dubaï, aux États-Unis, en France, en Italie, en Afrique… Ils sont ailleurs. Peut-être pas toujours heureux, peut-être nostalgiques, mais tranquilles. J’ai mis du temps, mais je viens de comprendre que le Liban n’est pas, ne sera jamais à moi. Je n’aurai jamais voix au chapitre, je serai toujours frustrée par un plus fort. J’ai mis du temps, je viens de comprendre. Mais, pour le moment, il va falloir patienter : le fort du moment va montrer encore ses biceps pour quelque temps avant de les dégonfler et de se réconcilier avec ses ennemis d’aujourd’hui. L’aéroport rouvrira et, peu importe son nom, je le franchirai. Joumana DEBS-NAHAS Avocat au barreau de Beyrouth Article paru le vendredi 16 mai 2008
Ah ! Si seulement je faisais partie de la délégation arabe venue sauver le Liban de toutes ses misères ! J’aurais eu l’occasion d’arriver à Beyrouth par la grande porte, avec les honneurs des nouveaux maîtres des lieux, les partisans de Dieu en personne qui, pour la circonstance, ont même caché leurs narguilés quelques instants… Le moment est intense, grandiose. Les...