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Actualités - CHRONOLOGIE

« Liban/Guerre », les abysses de Rania Stephan Par Pierre LEPETIT

«Le Liban n’est beau que la nuit, et de loin !... » lance, désabusé, un vieil oracle libanais sur le perron de sa maison de Batroun. Ce n’était là qu’une boutade en forme d’excuse un peu maladroite, sa façon à lui de souhaiter « bienvenue » à un étranger encore inconnu. Une légère pointe de cynisme, mais comment y échapper... C’est faux, bien évidemment. Le Liban est beau dans la lumière et parfois, pour ne pas dire souvent, dans celle, blafarde, de la souffrance et du désespoir de ses habitants. C’est cette souffrance, ce désespoir vécu de près que montre Rania Stephan dans Liban/Guerre avec tant d’intelligence et de rigueur pour décrire l’impressionnant cauchemar que fut, pour tous les Libanais, la guerre de l’été 2006. Liban/Guerre. Simplement. Le titre est bien choisi. Mais attention, il n’y a pas de sang ni de bombes ! Pas de racolage. La lucidité de l’auteur prime sur les facilités du grand spectacle. Le bruit et la fureur passagère que l’on oublie très vite pour reprendre le cours des mesquineries de la vie quotidienne. Le discours, sans ostentation, montre bien la souffrance à l’état pur. Une souffrance digne, sans cris, sans lamentations. Liban/Guerre aurait pu aussi s’intituler Les Abysses. Ces abysses au fond desquels vivent les personnes que Rania Stephan a rencontrées, comme ce jeune homme au visage fin du centre-ville où le silence est assourdissant. Pas un avion dans le ciel. C’est insupportable. L’homme, égaré, montre la photo de sa petite fille dans un portefeuille déchiré. La pauvreté ordinaire glissée dans son vêtement de travail. Il a le regard perdu. Sa silhouette va et vient dans l’écrasante lumière d’août, balaie la poussière, puis disparaît de la scène en marchant. C’est la photo d’adieu, dérisoire. Ce film, sur lequel il y aurait mille choses à dire et dont toutes les séquences mériteraient d’être évoquées, prend le temps de montrer, sans prétention, sans bavardage inutile, la violence et la souffrance que les actualités ignorent trop souvent. La terreur, sans feu ni fer. Des décombres, de la tristesse, une amère résignation et peu d’espoir. Les images tournées par Rania Stephan sont à l’usage des explorateurs de l’âme. Ceux qui cherchent, sans compassion, à comprendre la douleur des êtres brisés. Le bruit des bulldozers qui creusent pour voir le Coran sacré trouvé dans les gravats qui recouvrent les corps en lambeaux, la stupéfiante conversation des enfants qui imitent si bien le bruit des canons, leur beauté, leurs chamailleries. Que sont-ils devenus ces enfants ? Et que peuvent devenir tous les enfants de toutes les guerres du monde ?... Liban/Guerre est un long poème émouvant, bouleversant, écrit sur une route souvent solitaire, qu’il faut savoir lire entre les lignes.
«Le Liban n’est beau que la nuit, et de loin !... » lance, désabusé, un vieil oracle libanais sur le perron de sa maison de Batroun. Ce n’était là qu’une boutade en forme d’excuse un peu maladroite, sa façon à lui de souhaiter « bienvenue » à un étranger encore inconnu. Une légère pointe de cynisme, mais comment y échapper...
C’est faux, bien évidemment....