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Actualités - OPINION

De quelle reconnaissance parle-t-on ?

Par Daoud SAYEGH Les voix qui s’élèvent de temps à autre, demandant à la Syrie de reconnaître l’indépendance du Liban et de ne plus le considérer comme faisant partie de son entité, relèvent d’un manque de discernement sur les plans politique et historique. Elles ont créé une confusion inacceptable dans un dossier libano-syrien à plusieurs volets, où les problèmes se sont multipliés, particulièrement au cours des trois dernières décennies, et qui est devenu désormais clair et transparant au monde entier. Les difficultés qui ont accompagné la tenue du dernier sommet arabe à Damas ont clairement démontré le rôle obstructionniste joué par la Syrie dans l’instauration du vide constitutionnel libanais, et la non-élection d’un président de la République dans le délai constitutionnel. Les Arabes, avec les Européens – les Français en tête – et les Américains, sont maintenant pleinement conscients que la Syrie mène, à travers ses alliés au Liban, une politique qui est à l’origine de la déstabilisation du Liban, et qui vise plusieurs objectifs. Les Libanais, pour qui ces agissements étaient clairs dès le début, ne doivent pas faire d’amalgame entre les multiples griefs qui les opposent à leurs voisins syriens. De plus, il est, à notre avis, peu recommandable, lorsqu’il s’agit de prendre position à un moment aussi crucial, de demander à la Syrie de reconnaître l’indépendance de leur pays. Cette attitude nécessite, de notre point de vue, quelques éclaircissements. 1- Lorsque le régime syrien choisit une partie des Libanais comme alliés, contre tous les autres qui se voient qualifiés de «?produit israélien?» par Bachar el-Assad même, on ne peut pas demander aux hommes du régime de Damas de reconnaître la souveraineté d’un pays qu’ils ont réussi à prendre en otage. 2- Les trois années qui ont suivi l’assassinat du président Rafic Hariri et le retrait de l’armée syrienne, fin avril 2005, ont été les années des troubles les plus graves dans l’histoire du Liban moderne. La Syrie, acculée à un retrait humiliant, entend – à travers un changement dans l’équilibre des forces sur lequel elle a toujours misé – retrouver son influence au pays du Cèdre. But non camouflé puisque Damas est devenu l’un des centres principaux des pourparlers en vue de trouver un règlement à la crise libanaise, en dépit de la fameuse langue de bois officielle, propre au régime syrien, que le monde entier a fini par dénoncer, mesurant le degré de non-crédibilité de ce régime, que Nicolas Sarkozy, après Jacques Chirac, a découvert et reconnu. 3- Sur le plan du droit, le Liban n’a besoin d’être reconnu par personne. Il est membre fondateur des Nations unies et de la Ligue arabe. Sa formation historique et son indépendance ont été reconnues avant celles de la Syrie. Le monde entier l’a reconnu il y a plus de soixante ans. Et puisqu’il a fondé, avec la Syrie et cinq autres pays arabes, la Ligue arabe en 1944-1945, cela revient à dire que la reconnaissance de fait et de droit existe depuis longtemps. 4- Lorsque la Syrie a retiré son armée du Liban, en 2005, c’est bien au-delà des frontières internationales reconnues entre les deux pays que ce retrait a eu lieu. C’est donc enfoncer des portes ouvertes que de demander à la Syrie de reconnaître l’indépendance du Liban. Et bien que l’occasion ne l’autorise pas suffisamment, il est temps de clarifier définitivement cette mésentente relative à une soi-disant revendication historique. La Syrie actuelle, c’est-à-dire l’État avoisinant, n’a connu son entité actuelle qu’avec le mandat français, en 1924, à travers la création, par la France, de la Syrie, en faisant fusionner les États des Alaouites, des Druzes et d’Alep avec celui de la Syrie. Jusqu’en 1918, la Syrie a été soumise au régime ottoman des vilayet, contrairement au Liban qui a connu des régimes d’autonomie sous les Émirs et durant la moutassarifiya, avec une détermination claire des frontières reconnues par écrit et sur plan, en 1861, par les représentants des grandes puissances, dont l’Empire ottoman lui-même. De quelle Syrie parle-t-on alors lorsqu’il s’agit d’examiner ses relations avec le Liban?? Il faut se placer sur un plan différent des considérations historico-juridiques, celui relatif à la politique de Hafez el-Assad et des visées propres au régime qu’il a instauré à Damas en 1970, et le début de ses implications libanaises à partir de 1975-1976. Toute la question réside dans les trente années écoulées de l’âge de ce régime, qui n’a fait que s’occuper principalement de l’affaire libanaise, car ce régime n’a vécu que cinq années seulement, entre 1970 et 1975, sans s’occuper de la question libanaise comme «?cause panarabe?», ce qui s’est transformé avec le temps et les multiples changements régionaux et internationaux en pivot central de la politique de ce régime. Certains ne se rappellent peut-être plus les propos de Hafez el-Assad à la revue française Le Point, en janvier 1984, martelant, avec la confiance propre aux puissants, que le Liban et la Syrie sont un seul peuple dans deux États, et que les liens entre les deux pays sont plus forts que ceux qui existent entre deux États américains. Une pancarte hissée par la suite à l’entrée de Ramlet el-Baïda reproduisait cette phrase d’Assad?: «?Ce qu’il y a entre le Liban et la Syrie est le fait de Dieu.?» Ce contenu politico-idéologique du credo Assad allait crescendo, contre vents et marées, avec des ajustements et des accords à caractère de «?deal?» avec les puissances jusqu’à aboutir à une forme de gouvernement direct du Liban, à la veille des bouleversements tragiques de 2005. Ainsi, de 1976, date de la fameuse lettre adressée par Henry Kissinger à Hikmat Chéhabi, chef d’état-major de l’armée syrienne, l’encourageant à faire le nécessaire pour intervenir au Liban et y ramener le calme, jusqu’au début de 2005, le plan de Hafez el-Assad a failli réussir?! Le Liban indépendant était en train de mourir, et le réveil fut long et extrêmement douloureux. Nous vivons toujours cette période, trois ans après le retrait syrien. C’est de cette Syrie-là qu’il faut parler lorsqu’il s’agit d’envisager la normalisation des rapports avec elle. Quant aux soi-disant revendications historiques, elles ne figurent que dans l’imaginaire de ceux qui se sont contentés de certains raccourcis historiques faits sur mesure pour servir le projet baassiste qui s’est terminé en dramatique aventure.
Par Daoud SAYEGH

Les voix qui s’élèvent de temps à autre, demandant à la Syrie de reconnaître l’indépendance du Liban et de ne plus le considérer comme faisant partie de son entité, relèvent d’un manque de discernement sur les plans politique et historique. Elles ont créé une confusion inacceptable dans un dossier libano-syrien à plusieurs volets, où les...