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Actualités - REPORTAGE

Société - Le mouvement international préconise le retour aux produits du terroir «Slow Food Beirut», un cadre pour consommer «bon, propre et juste»

À une époque où la vitesse demeure le maître mot, la lenteur peut être une vertu. Du moins pour les adeptes du «?Slow Food?», ce mouvement international d’origine italienne qui préconise le retour à la nature, en cette période où l’on savait prendre son temps, savourer les produits du terroir et apprécier ces moments passés autour d’une table. Rassemblant plus de 80?000 membres de par le monde, Slow Food compte au moins 850 conviviums, dont un au Liban. Baptisé «?Slow Food Beirut?», celui-ci a vu le jour récemment grâce au soutien d’Ucodep, une ONG italienne qui œuvre au Liban depuis octobre 2006. Il s’inscrit dans le cadre du programme ROSS, lancé par le bureau de la Coopération italienne au Liban au lendemain de la guerre de juillet 2006. À l’instar de tous les conviviums dans le monde, Slow Food Beirut fait partie du réseau des associations de Slow Food International et partage de ce fait même la philosophie et la mission du mouvement. Les membres de l’ONG s’engagent ainsi à défendre la biodiversité et à consommer «?bon, propre et juste?». Les produits doivent donc avoir «?bon goût, ce qui est important sur le plan gastronomique?», explique Rami Zurayk, directeur du programme des sciences de l’environnement à l’Université américaine de Beyrouth. «?C’est un moyen de permettre aux petits producteurs de concurrencer les grands producteurs, poursuit-il, puisqu’ils offrent des produits au goût différent, au moment où les produits offerts par les gros producteurs ont un goût standardisé.?» Les produits Slow Food doivent également être propres, «?c’est-à-dire générés de manière à préserver l’environnement, les espèces animales et la santé?». «?L’agriculture est l’un des plus grands pollueurs mondiaux, souligne Rami Zurayk. Selon la philosophie de Slow Food, les agriculteurs doivent donc, à titre d’exemple, appliquer la gestion intégrée des produits nuisibles, recourir à des méthodes de labour qui conservent le sol, etc. Il faudrait aussi que le produit lui-même soit propre, c’est-à-dire qu’il ne contienne pas de pesticides ou qu’il ne soit pas contaminé.?» Célébrer le «?juste?», enfin, «?c’est veiller à ce que les producteurs alimentaires reçoivent une compensation juste pour leur travail?». «?Les producteurs locaux pourront pourvoir à leurs besoins, les campagnes et les zones rurales pourront aussi revivre?», insiste Rami Zurayk. Le consommateur Slow Food devient ainsi un partenaire actif du processus de production. Promouvoir le patrimoine alimentaire libanais Un groupe de Libanais partageant ces mêmes valeurs ont décidé de donner suite à leur action en faisant partie de ce mouvement mondial. Slow Food Beirut a ainsi vu le jour. Ses membres fondateurs sont Walid Ataya, restaurateur et président de l’ONG, Rami Zurayk, professeur universitaire spécialisé dans la biodiversité, Nelly Chémali, architecte d’intérieur et productrice bio, Johnny Farah, restaurateur et cultivateur organique, Youmna Zeidane, productrice bio, et Barbara Massaad, journaliste-photographe ayant des relations avec Slow Food International. Slow Food Beirut s’engage à reconnaître sur le «?plan culturel?» les producteurs locaux (agriculteurs, bergers, artisans, pêcheurs), à sauvegarder «?les espèces et les plantes locales, ainsi que les méthodes traditionnelles de production?», comme à créer des marchés pour les productions locales dans les différentes régions libanaises, dans le but de promouvoir les «?courtes chaînes de production?» et de devenir membres d’un réseau international. Slow Food Beirut entend également mettre en application des stratégies au Liban visant à sauvegarder l’identité culturelle locale, soutenir la production agricole locale, sensibiliser la population à notre héritage alimentaire et culturel, et encourager les consommateurs à acheter les produits locaux. L’ONG accueille toute personne qui partage ces mêmes valeurs, et qui est prête à les promouvoir et à œuvrer en ce sens. Pour y adhérer, il suffit de visiter le site Web de l’association à l’adresse www.slowfoodbeirut.org Pays basé sur l’inégalité Qu’apporte cette ONG de plus sur le plan national?? «?Le Liban est en chute libre sur le plan alimentaire, répond Rami Zurayk. La qualité des aliments est très médiocre parce qu’il n’y a ni certificat ni contrôle sur les produits consommés. L’agriculture libanaise est elle aussi en chute libre et ne fait que se rétrécir. Avec le coût des importations des denrées alimentaires qui s’est accru au cours des derniers mois, il faut vraiment mettre au point une politique qui puisse générer une activité du côté des producteurs locaux pour relancer ce secteur qui a été complètement détruit.?» Et Rami Zurayk d’insister?: «?Le Liban est un pays basé sur l’inégalité, qui est constatée au niveau social, financier, comme au niveau de l’accès à la terre et aux ressources. C’est l’un des pays les plus inégaux du monde et malheureusement, les personnes aisées ne le savent pas. Elles vivent en dehors de cette réalité et évitent d’y penser. Or, l’agriculture est l’un des moyens qui permettent de combattre la pauvreté. C’est ce qu’a souligné d’ailleurs la Banque mondiale dans son dernier rapport. “Bon, propre et juste” ne peut être donc que bénéfique pour le Liban d’un point de vue social, alimentaire et environnemental. J’ai été désigné à plusieurs reprises conseiller du ministre de l’Agriculture et je sais que le Liban n’a aucune politique agricole pour plusieurs raisons, la principale étant le clientélisme politique et le confessionnalisme qui prévalent dans ce pays. Il faudrait donc agir et essayer d’adopter à travers la société civile des politiques en ce sens. Il s’agit, par la suite, de faire du lobbying auprès des responsables et leur montrer que les alternatives existent et que celles-ci sont susceptibles de protéger l’environnement et la culture alimentaire du pays, qui fait partie de notre patrimoine, au même titre que la culture littéraire, etc.?» Manger local Faisant partie de Slow Food International, le convivium libanais aura le même logo (un escargot) et la même mission, «?celle de préserver la nourriture de qualité, sans qu’elle ne soit pour autant biologique?», explique Andrea Tamburini, coordinateur des projets à Ucodep. «?Le convivium doit de même préserver la biodiversité locale et privilégier la consommation des produits sains locaux, ajoute-t-il, en ce sens que l’aliment ne doit pas faire des milliers de kilomètres pour qu’il soit mis à la table libanaise. Pourquoi consommer des bananes somaliennes, à titre d’exemple, au moment où le Liban compte plusieurs variétés de bananes???» Ucodep, qui soutient Slow Food Beirut depuis sa création, aide l’ONG à ouvrir des marchés pour les producteurs locaux et qui font partie d’un réseau international. Baptisés Souk el-ard, ces marchés existent actuellement à Tripoli el-Mina (dirigé par Souk el-Tayeb) et à Khan el-Franj à Saïda (dirigé par Ucodep et la Fondation Hariri). Un troisième marché sera inauguré à la fin du mois courant à Beyrouth. Ucodep assiste l’ONG également à créer des «?sentinelles?». Il s’agit de petits projets visant à aider des groupes de producteurs artisanaux, ce qui favorise la présence sur le marché de différents produits traditionnels. Deux sentinelles ont déjà été créées au Liban, le fromage «?darfiyé?» et «?kechek el-khamir?». Une troisième sentinelle sera mise en place dans le cadre du programme ROSS II. «?Nous avons également organisé des cours à l’intention des agriculteurs pour les initier aux méthodes de transformation des aliments?», souligne Andrea Tamburini, qui précise que les activités qui seront organisées dans le cadre de ROSS II visent également à «?structurer les marchés locaux et l’ONG, comme à améliorer la qualité des produits, d’autant que “baladi” ne rime pas nécessairement avec bon et propre?». «?Pour les prochaines années, notre but n’est pas l’exportation, mais d’œuvrer à offrir au marché local un produit bon?», insiste-t-il. «?Kechek el-khamir?», un fromage sans lait L’une des missions de Slow Food International et la Fondation Slow Food pour la biodiversité consiste à soutenir les produits artisanaux de qualité menacés de disparition, dans le cadre du projet des «?présidiums?» ou sentinelles. À ce jour, plus de 270 produits dans 36 pays ont été repérés, parmi lesquels le fromage «?darfiyé?» de Becharré, fabriqué à base d’un mélange de lait de chèvre et de «?kariché?» (genre de ricotta) et fermenté dans une outre en peau de chèvre, et le «?kechek el-khamir?» ou «?kechek el-foukara?» de Majdel-Zoun, un petit village situé à quelques kilomètres de la frontière libano-israélienne. Mona, ou Oum Ali, est pratiquement la seule Libanaise qui continue à produire ce fromage fabriqué à base de bourghol, de sel et d’eau. «?Je le laisse fermenter et je lui ajoute des condiments aux saveurs différentes, comme le cumin, le piment, les grains de sésame, etc.?» Dans le cadre de la «?sentinelle?», Mona doit enseigner à d’autres personnes à fabriquer ce fromage «?pour en garantir la perpétuité?». C’est ce qu’elle compte faire d’ailleurs avec Nelly Chémaly, à laquelle elle est associée dans le cadre de Earth & Co. Depuis octobre 2006, Oum Ali dirige ses activités à partir d’une ancienne demeure de Zouk Mikaël qu’Earth & Co. avait louée. Mais le fromage de bourghol n’est pas l’unique centre d’intérêt de cette femme, qui déteste «?rester à ne rien faire?». Ainsi, tout au long de la semaine, elle prépare du fromage, de la labné, du thym, etc., avec, pour matières premières, des produits «?propres?» en provenance de son village au Liban-Sud. Et le clou de ses activités hebdomadaires demeure la journée du jeudi. Ce jour-là, Oum Ali se lève avant l’aube et se met derrière son «?tannour?» où elle cuit le pain traditionnel libanais. Les amis la rejoignent, le temps d’un petit déjeuner, et veillent à prendre la provision de la semaine. Les quelque 500 pains qu’elle cuit ce jour-là sont revendus les samedis à Souk el-Tayeb, où l’on a également le plaisir de goûter à ses «?manakiche?». «?Souk el-ard?», pour écouler la marchandise des producteurs locaux Dans le cadre enchanteur de Khan el-Franj, à Saïda, «?Souk el-ard?», deuxième marché local de Slow Food Beirut après celui de Tripoli el-Mina, a été inauguré dimanche dernier. Quelque 21 producteurs du Liban-Sud offrent aux visiteurs des produits du terroir?: jus de fruits frais, légumes cultivés d’une manière biologique, produits de mouné, savon artisanal à l’huile d’olive de toutes les formes et couleurs, biscuits aux fruits secs «?cuisinés sans sucre, à base de levure naturelle et graines complètes?», petits gâteaux «?sans colorants ou additifs artificiels?», beurre de noisette et d’amande, pain traditionnel fabriqué à la manière antique, spécifique de la région de Mésopotamie et d’Égypte, etc. Les producteurs espèrent à travers ce marché «?sensibiliser le consommateur libanais local aux vertus des produits naturels?», mais surtout trouver un moyen pour écouler leurs marchandises. Rendez-vous, tous les dimanches, de 9h à 14h. Le marché de Tripoli accueille le public tous les jeudis de 9h à 14h. Nada MERHI
À une époque où la vitesse demeure le maître mot, la lenteur peut être une vertu. Du moins pour les
adeptes du «?Slow Food?», ce mouvement international
d’origine italienne qui préconise le retour à la nature, en cette période où l’on savait prendre son temps, savourer les produits du terroir et apprécier ces
moments passés autour d’une table. Rassemblant plus...