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Actualités - OPINION

Un homme s’est éteint Émilie SUEUR

Ses cheveux sont blancs. Ses yeux brillent. Son visage est barré d’un large sourire. La photo, prise à New York, date de quelques années seulement. Et puis il y a cette photo prise en avril 1975 à Phnom Penh, alors que les Khmers rouges s’apprêtaient à prendre le pouvoir. Ses cheveux sont noirs. Ses yeux à peine ouverts. Il tient ses mains derrière son dos. Il ne sourit pas. Entre les deux clichés, il est passé par « Killing fields », les champs de la mort. Dith Pran était cambodgien, il est mort dimanche. Dith Pran, c’est l’histoire d’un homme qui s’est battu contre l’enfer pour sauver sa propre humanité et la nôtre par la même occasion. En 1972, il commence à travailler comme interprète pour Sydney H. Schanberg, un journaliste du New York Times, à Phnom Penh. En 1975, alors que la descente du Cambodge vers les enfers des Khmers rouges se confirme, Schanberg est contraint de quitter Phnom Penh. Il ne peut emmener Dith Pran avec lui. Pendant quatre ans, Dith Pran est interné dans un des camps de travail, véritable antre de la mort, des Khmers rouges. Pour survivre, il prétend être chauffeur de taxi. Considérés comme une menace par les Khmers rouges, les Cambodgiens éduqués sont systématiquement éliminés. Pendant quatre ans, Dith Pran lutte pour sa survie. Ne disposant, comme les autres prisonniers, que d’une cuiller de riz par jour, Dith Pran mange des insectes et des rats, boit le sang des buffles. Attrapé par les gardes alors qu’il volait un peu de nourriture, Dith Pran est condamné à être exécuté. Il sera finalement épargné. Au bout de quatre ans, il parvient à fuir. Commence alors une longue marche vers la Thaïlande. Longue marche durant laquelle Dith Pran, extrêmement affaibli, perd deux amis, tués par l’explosion de mines. Marche durant laquelle il traverse des rivières charriant des milliers de cadavres. De la Thaïlande, où il retrouve Schanberg, un ami devenu frère, Dith Pran s’envole vers les États-Unis. Il y restera jusqu’à la fin de ses jours, travaillant comme photographe pour le New York Times de 1980 à 2007, date à laquelle il est hospitalisé pour un cancer. Cette vie a été mise en images par le réalisateur britannique Roland Joffé avec le film The Killing fields ( La déchirure, en français), en 1984. Le reste de cette vie sera dédié à témoigner. Jusqu’à sa mort, Dith Pran aura raconté l’horreur du génocide khmer rouge qui a emporté 50 membres de sa famille. Se sachant condamné, il avait encore trouvé la force, sur son lit d’hôpital, de livrer un ultime témoignage au New York Times, il y a quelques semaines seulement. « J’ai vu la crise, les champs de la mort, j’ai vu les Khmers rouges affamer, tuer et torturer des gens à mort, des millions de gens. Je me suis juré que si je survivais aux champs de la mort, je n’arrêterais pas de parler de cette crise. » Dith Pran rêvait du jour où il verrait les responsables khmers rouges jugés. En février dernier, les victimes de la dictature khmère ont affronté, pour la première fois, Nuon Chea, surnommé « Frère numéro 2 », l’ancien bras droit de Pol Pot, lors d’une audience du tribunal parrainé par l’ONU au Cambodge. « S’il vous plaît, il faut mettre fin à ces champs de la mort. On ne peut accepter que ceci existe encore. Une fois, c’est une fois de trop. Si on peut faire ça pour moi, mon esprit sera content. »Tel était le dernier message que Dith Pran adressait au monde. Aujourd’hui, Dith Pran n’est plus. Il est des informations qui touchent plus que d’autres.
Ses cheveux sont blancs. Ses yeux brillent. Son visage est barré d’un large sourire. La photo, prise à New York, date de quelques années seulement. Et puis il y a cette photo prise en avril 1975 à Phnom Penh, alors que les Khmers rouges s’apprêtaient à prendre le pouvoir. Ses cheveux sont noirs. Ses yeux à peine ouverts. Il tient ses mains derrière son dos. Il ne sourit...