Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Interview-fleuve avec l’ambassadeur de Chine : le fabuleux développement tous azimuts de l’ex-empire du Milieu, et ses vicissitudes Liu Zhiming : Le canard laqué peut coexister avec le McDo sans que l’un annule l’autre Ziyad MAKHOUL

Voilà sans doute l’un des pays, peut-être est-il même sans concurrence à ce niveau-là, qui fascine le plus. Et qui fait peur le plus. Tous azimuts. L’épithète auquel l’on pense en premier à propos de la Chine est : « gigantesque » – tout ce qui se rapporte à la Chine est effectivement colossal. Ce qui fascine et fait peur, envoûte et inquiète, séduit et alarme à la fois ? Bien sûr, il y a le poids démographique (plus d’un milliard trois cent treize millions de Chinois) ; le poids géographique (22 117 kilomètres de frontières, réparties avec l’Afghanistan, le Bhoutan, le Myanmar, l’Inde, le Kazakhstan, la Corée du Nord, le Kirghizstan, le Laos, la Mongolie, le Népal, le Pakistan, la Russie, le Tadjikistan, et le Vietnam) ; le poids historique (une des plus anciennes et des plus imposantes civilisation de la planète) ; le poids politique (la Chine est un des cinq grands au Conseil de sécurité de l’ONU et son influence politique, loin d’avoir encore atteint son climax, va crescendo…) ; le poids économique (de plus en plus énorme, contre vents et marées) ; le poids culturel (la langue, la gastronomie, la littérature, le cinéma, le tourisme…) ; le poids sportif, etc. Bien sûr. Mais au-delà de tout cela, ce qui fascine et fait peur, ce qui envoûte et inquiète, ce qui séduit et alarme, c’est cette volonté retentissante, gargantuesque et ultradéterminée de l’ex-empire du Milieu de… le redevenir. De faire du reste du monde une périphérie, dans l’orbite de laquelle, des États-Unis au Japon en passant par l’Europe, l’Afrique, l’Amérique latine et, surtout, la Russie, tous les pays, toutes les puissances, ne feraient que graviter. Par tous les moyens ? À n’importe quel prix ? Cela reste à voir. Dans une interview-fleuve, l’ambassadeur de Chine au Liban, Liu Zhiming, dissèque avec « L’Orient-Le Jour » les défis, les horizons, les ambiguïtés et le fabuleux développement de la Chine, sans oublier toutes les vicissitudes qu’entraîne naturellement cette (re)conquête de la planète, que ce soit en matière de violations des droits de l’homme ou par rapport à une hyperagressivité économico-politique. Avec certes cette appétence de gourmet pour cette langue de bois qu’affectionnent particulièrement tous les diplomates du monde, sans exception, mais aussi avec une intelligence aiguë de l’histoire immédiate et de l’ensemble de ses corollaires. « La Chine est véritablement en train de changer l’ordre du monde : si elle porte encore beaucoup de séquelles des phénomènes de sous-développement qu’elle a connus et de l’autarcie maoïste, l’essor de son capitalisme à direction communiste fait éclater le fameux modèle centre/périphérie. » Le constat de l’immense Yves Lacoste transcende la simple analyse géopolitique et tient, très vraisemblablement, de ce que l’on appelle être visionnaire. Dans une cinquantaine d’années, une très grande majorité de Terriens parleront le chinois… Ce que je sais, c’est que de plus en plus de personnes apprendront cette langue, ne serait-ce que parce que les échanges multipolaires vont crescendo… Oui, de très gros progrès ont été faits depuis la naissance de la République populaire de Chine il y a 59 ans, surtout dans les trois dernières décennies : notre pays est la troisième puissance commerciale mondiale, et quatrième PIB du monde. En 2007, notre taux de croissance était à deux chiffres, 11,4 %… Cela est le résultat de l’attaque frontale, au niveau économique, contre les États-Unis et l’Union européenne ? Non. Nous avons entamé l’ouverture et les réformes au bon moment, et nous avons accompagné la mondialisation par cette ouverture et ces réformes. La Chine reste socialiste, comme les artères économiques restent entre les mains de l’État. Le communisme ne s’est pas dissous dans le libéralisme ? Pas du tout. C’est l’expérience la plus originale : le mariage du système socialiste avec l’économie de marché. On dirait qu’il y a de plus en plus de mal, en Chine, avec le mot « communisme »… Non. Il n’y a aucune contradiction entre communisme et socialisme. Et je n’ai aucun complexe, aucun problème à le dire haut et fort : le communisme est le but final. Une utopie ? Non. Ce sera réalisé. Peut-être dans des milliers d’années. Lorsque la productivité sera suffisamment développée, les gens suffisamment éduqués… Il faut donc l’avènement de la bourgeoisie… Un peu antinomique avec le concept de communisme, non ? Il faut que tout le monde devienne riche pour que le communisme s’installe… Si vous le dites… Comment la Chine a-t-elle réussi, malgré tout ce qui reste à faire encore, à connaître la plus importante et la plus rapide réduction de la pauvreté de l’histoire ? Encore une fois : par l’ouverture et les réformes. Nous avons commencé par motiver les gens à travailler. Pourquoi ? Le Chinois, comme le Libanais, est paresseux ? Non. Mais avant la révolution de Mao, la Chine était très inégalitaire, très injuste. Après, l’on a fait l’inverse : la Chine est devenu parfois un peu trop… égalitaire. Les gens ont perdu l’enthousiasme de travailler. Alors, fin 1978, nous avons, entre autres mesures, redonné dans les campagnes, aux paysans, le droit d’usure des terres en supprimant la commune populaire. Les autorités chinoises ont beaucoup axé, au cours des 30 dernières années, sur les campagnes. Mais le changement qu’elles prônent est beaucoup plus tributaire de la bonne santé et de la force d’une société urbaine, non ? Bien sûr. Nous avons tout autant motivé les citadins en liant la rémunération au travail de chacun. Avant 78, un Chinois recevait le même salaire, qu’il travaille 35 ou 70 heures par semaine. Après, tout cela a changé. L’égalitarisme absolu bloquait tout le pays ; après, tout cela a changé. Le président Xiaoping a décidé qu’une partie des Chinois a le droit de s’enrichir en premier, ainsi, ils entraînent les autres. Et nous n’avons pas privilégié le milieu urbain au milieu rural : on s’est enrichi dans les campagnes, mais trois fois moins que dans les villes. On va corriger cette disparité. Résultat des courses : les États-Unis et l’UE vous accusent d’agressions économico-commerciales en tous genres, et commencent à tout faire pour se protéger du dumping chinois. Il n’y a pas d’agressions. Un boom économique dérange et fait peur ; mais les accusations sont fausses et la panique exagérée. La Chine est un pays colossal ; nous avons fait des progrès colossaux, mais nous devons faire face à des problèmes tout aussi… colossaux. Prenez le PIB, par exemple : dans l’absolu, il est très élevé, mais divisé par un milliard trois cent millions, cela fait à peine, comme en 2006, 2 000 $ par habitant. Mais cette faiblesse est une force… Absolument. Mais il ne faut pas oublier à quel point ces faiblesses sont importantes. Chaque année, il faut créer 24 millions d’emplois ! C’est énorme. Les USA et l’UE exagèrent : la Chine est un sous-traitant, plus de 50 % de nos produits exportés sont des produits transformés, et 83 % de nos excédents commerciaux sont réalisés par des entreprises étrangères, ou à capitaux mixtes… Sans oublier que 85 % des produits exportés sont de marques étrangères. États-Unis et pays d’Europe gagnent énormément d’argent tout en accusant la Chine d’être trop agressive. C’est injuste. Certes… Mais ce que l’on pourrait appeler le dynamisme chinois, et l’émulation avec les Américains et les Européens, ne se traduisent pas uniquement sur le plan économique. En politique aussi… La Chine drague tous azimuts sur l’ensemble de la planète ; la Chine et l’Afrique, par exemple, c’est Roméo et Juliette… C’est une vieille amitié, qui date depuis les années 50-60 et des mouvements d’indépendance dans beaucoup de pays africains. Lesquels nous ont d’ailleurs beaucoup aidé, aussi, par exemple pour entrer aux Nations unies. La Chine, malgré des difficultés économiques prégnantes, a beaucoup consenti et investi en Afrique. Sans contrepartie. C’était de l’amitié. L’amitié existe en politique ? La Chine ne prévoyait pas tous les dividendes dont elle bénéficierait grâce à cette « amitié » ? À l’époque, la Chine ne les prévoyait pas, non. Et l’amitié existe en politique ; elle va dans les deux sens. L’Afrique nous a beaucoup aidés sur le dossier taïwanais, par exemple, pour la sauvegarde de notre intégrité territoriale. Et au Darfour ? Ce n’est vraiment pas la Chine qui a créé le problème. Les conflits intertribaux existent depuis bien longtemps, et nous n’avons pas contribué à les augmenter, non. Nous sommes attaqués parce que nous sommes très présents au Soudan, mais nous avons vendu beaucoup moins d’armes que certains pays. La Chine est tout de même responsable, en partie, des tragédies du Darfour… Nous sommes moins responsables que certains autres. Nous avons beaucoup contribué à promouvoir un règlement de la crise à travers un processus politique onusien, et notre président est allé au Soudan pour essayer de convaincre les autorités soudanaises d’accepter ce processus. Nous sommes en outre le premier pays non africain à avoir envoyé des troupes de maintien de la paix, et sur le plan humanitaire, nous avons aidé à hauteur de 11 millions de dollars. Mais Pékin a fermé les yeux sur le génocide au Darfour… Cela est faux. Sauf que nous ne sommes pas le gendarme du monde. Ni responsables de ce qui s’y passe. Et au Maghreb ? Il y a une véritable course économico-politique contre les États-Unis et la France ; à qui aura la plus forte influence… Nous ne voulons chasser personne. Nous avons avec certains pays du Maghreb une coopération économique réciproquement avantageuse, et nous ne faisons cela contre personne. Que le plus fort gagne : chaque pays a ses intérêts à défendre et à préserver. Il faut que les USA et les pays européens soient justes avec la Chine. Il faut arrêter de dire que nous spolions les ressources naturelles du continent africain… L’histoire entre la Chine et le pétrole du continent noir, ce n’est tout de même pas un mythe, si ? Le pétrole ? En 2006, 36 % du pétrole africain a été vers l’UE, 33 % vers les USA et simplement 8,7 % vers la Chine. Encore une fois, ces accusations sont injustes. Ce chiffre, 8,7 %, explique l’offensive de charme de Pékin vers les pays du Golfe ? Non. Nous entretenons des liens depuis très longtemps, et cela marche bien. La Chine et les pays du Golfe ont mutuellement besoin les uns des autres. Comment expliquez-vous la mollesse de la Chine par rapport au dossier nucléaire iranien ? Je ne parlerai pas de mollesse. De modération, plutôt. La Chine est un pays non aligné, qui ne fait d’alliances avec ni contre personne. Mais il y a un systématisme : prendre constamment le contrepied des Occidentaux en général, des Américains en particulier… Non. Nous sommes parfois d’accord avec les USA, et sur l’Iran, il y a des points communs, dont la nécessité pour nos deux pays de maintenir la non-prolifération des armes nucléaires. Concernant le nucléaire iranien, nous préférons les négociations pour une solution diplomatique et pacifique. Il faut plus de patience. Il semble que ce nucléaire ne soit pas destiné à des fins militaires, selon les services de renseignements américains… Maghreb, Golfe, Amérique latine… Le rapprochement de la Chine avec le Venezuela s’est fait par hasard ? Nous entretenons des relations normales avec le Venezuela, la Colombie, le Brésil, etc. C’est vrai, nous commençons à regarder vers l’Amérique latine : la Chine va devenir une puissance mondiale ; tôt ou tard, nous allions aller dans cette partie du monde… Ce que nous faisons au Venezuela, nous le faisons ailleurs. Un mot sur le Parti, en Chine… La direction est de plus en plus réaliste. Les leaders du Parti connaissent le pays ; les méthodes qu’ils préconisent sont pragmatiques, bien indiquées pour régler les problèmes du pays. Au cours du XVIIe congrès, l’an dernier, il y avait deux mots d’ordre : le développement scientifique, c’est-à-dire la correction du mode de croissance et l’harmonie sociale. L’actuel président, Hu Jintao, est un homme très pragmatique, travailleur et proche des gens. Vous évoquiez la correction du mode de croissance. L’écologie joue un rôle primordial à ce niveau, et la Chine n’est pas connue pour accorder une grande importance à ce dossier… Encore une fois, la Chine est accusée à tort. Nous sommes très alarmés et notre pays adhère totalement au protocole de Tokyo. Nous entendons d’ailleurs réduire de 20 % la consommation d’énergie d’ici à 2010, de 10 % les émissions polluantes, et d’augmenter à 20 % le taux de couverture végétale. Mais le barrage des Trois Gorges, censé être pleinement opérationnel en septembre 2008, s’annonce comme une catastrophe écologique. Absolument pas. Chaque médaille a son revers, mais il est inadmissible d’exagérer à ce point. Ce projet est imaginé depuis 50 ans, et c’est l’initiative qui a été la plus débattue en Chine. L’événement planétaire de l’année 2008 sera sans aucun doute les JO 2008, prévus à Pékin. Mais la politique, comme souvent, s’est invitée avec bruits et fureurs au cœur de ces Jeux… Ces Jeux ont été politisés par les autres. La plupart des dirigeants voient clair ; le président Bush a lui-même dit qu’il ne fallait pas les politiser, et il y a déjà plus de soixante chefs d’État qui ont annoncé qu’ils allaient se rendre à Pékin pour nos JO. Lier ce qui se passe au Darfour avec ces JO est ridicule : ces deux sujets n’ont rien à voir ensemble.
Voilà sans doute l’un des pays, peut-être est-il même sans concurrence à ce niveau-là, qui fascine le plus. Et qui fait peur le plus. Tous azimuts. L’épithète auquel l’on pense en premier à propos de la Chine est : « gigantesque » – tout ce qui se rapporte à la Chine est effectivement colossal. Ce qui fascine et fait peur, envoûte et inquiète, séduit et alarme...