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Mes mots contre ton sourire Karen AYAT

Un jour ou l’autre, nous sommes tous contraints à effectuer un choix, le plus dur peut-être, celui de la carrière. Bien que le travail ne soit pas un but en soi, il faut tout de même avouer que, de nos jours, il est bien difficile de pouvoir le qualifier d’autrement. Le travail permet, tout simplement, de vivre. Perfectionnistes, ambitieux, instruits et travailleurs, nous voulons voir notre travail rémunéré ; ce qui est tout à fait légitime. La contrepartie du travail est essentiellement pécuniaire ; bien entendu. Toutefois, les chanceux parmi nous connaissent une contrepartie de différente nature, une contrepartie morale, noble, sacrée. Non, ils ne sont point dotés de l’intention libérale. Ils n’effectuent pas non plus un service d’ami. Je parle des chanteurs, interprètes, romanciers, écrivains, journalistes qui travaillent pour le plaisir de la création. Je parle de ceux qui savent se détacher de l’ordinaire, prendre comme point de départ la senteur d’un parfum, choisir comme analogon la splendeur d’un spectacle pour nous emporter dans un monde différent, le leur, un monde vrai et inventé à la fois, un monde si vivant qu’on jurerait pouvoir le toucher, mais un monde inaccessible quand même. Je parle pour ceux qui savent chanter la vie, écrire l’amour, relater une vérité, propager la beauté. Créer est un acte de générosité. L’œuvre artistique est une réflexion de son créateur, un objet unique, une vision personnelle, un message. Je parle pour ceux qui supportent toute mauvaise expérience pour l’état de transe qui lui succède. Réalité et imagination se mélangent, prennent pour point de départ la vie pour offrir aux autres les secrets d’un instant insolent de vérité. La valeur du produit littéraire réside dans le temps qui lui a été consacré, dans l’idée unique qui a été à son origine, dans le talent de l’artiste, dans son unicité, dans le plaisir qu’il procure à son destinataire, dans les sensations qu’il fait naître. Un artiste, un vrai, n’est pas à la recherche du profit. Il trouve satisfaction dans un sourire qu’il provoque, dans une indignation, dans un bonheur qu’il fait naître, dans des larmes qui coulent. Un artiste, un vrai, sait choquer sans le vouloir, remarquer les détails de la vie, ceux qui la rendent belle, atteindre le cœur des destinataires et faire naître entre eux un sentiment de solidarité, de confiance, comme un chuchotement, comme un murmure, une phrase gentille qui dit : « J’ai vécu la même chose que toi. Comme toi, je suis passée par là. » Par sa voix, ses notes, ses mots, il transmet ce que les autres ressentent. Tous les artistes sont sur un pied d’égalité. L’art, subjectif et personnalisé, ne peut être objectivement évalué. Je parlerai de l’écrivain, celui que je connais le mieux. Un écrivain écrit de, avec et pour sa passion. Elle le guide, l’envahit, l’inspire et le transporte. Elle fait couler les mots, elle les fait vivre et leur permet d’exister. La passion réveille les sens, elle nous rend maladroits dans la vie, mais éloquents dans la parole. Un écrivain raconte sa vie par des phrases et des vers. Mais il raconte aussi les passions des autres. Toutes les vies se ressemblent. Un écrivain vole la vie de tous pour réussir la sienne. Il observe chaque mouvement, écoute chaque mot et remarque tout mouvement. Sensible, il cherche dans le monde qui l’entoure sa prochaine histoire. Et, dans le silence de la nuit, il dévoile des secrets qui ne sont pas toujours les siens à raconter. Dans le noir et le calme, il raconte le monde à sa façon, réinvente la vie, réinvente l’amour, libre de créer, détruire et transformer. Un écrivain trouve ses mots dans un sourire, il les puise d’un simple regard et les lit dans une caresse. Les gens vivent, il écrit. Mais il ne faut pas croire qu’il est passif. Il est le plus actif de tous. Il est aussi acteur que les autres. Écrire, c’est sa façon de vivre, sa façon d’exister. Mais il fait vivre les autres aussi. Il raconte leurs histoires. Ils partiront. Mais les histoires resteront. Non pas comme un souvenir, mais comme une preuve que la vie ne suffit pas. L’œuvre créée appartient à son créateur. Son droit est exclusif, opposable aux tiers. Il comporte deux volets, l’un moral et l’autre commercial. En effet, il a le droit d’exploiter son œuvre et d’interdire à toute tierce personne d’en tirer profit. Toutefois, la propriété intellectuelle et artistique n’est pas une propriété ordinaire, les biens concernés étant publics. Et contre ce droit à valeur croissante du fait de la valorisation de la propriété immatérielle, certains invoquent le principe de la libre circulation de l’information et le droit à tous d’être informés. Aussi, les avancées technologiques, notamment l’Internet, rendent facile cet accès et du coup la violation de ce droit supposé être sacré et digne de protection. Les lois existent pour protéger celui qui a consacré son cœur, son temps, son expérience et son âme à sa création. Elles ont été votées pour faire face au piratage, au vol, à la contrefaçon. Une législation permet en effet de permettre à l’artiste l’utilisation libre et exclusive de son œuvre. Car l’artiste a le droit de voir son œuvre lui être attribuée. Une protection existe donc. Mais son efficacité est contestée : l’accès est facile, les moyens sont nombreux et l’infraction presque… encouragée. Toutefois, une solution ici s’impose. Elle apparaît impossible, certes, mais elle reste nécessaire. Car à défaut de remède, les artistes seraient découragés. Pourquoi se donneraient-ils à l’art quand ils ne peuvent le protéger ? Nous assistons une fois de plus à un décalage alarmant entre le droit et le fait, la théorie et la pratique. Et la solution me semble unique et solitaire. Ma solution est utopique et bien trop idéale. Elle est naïve et optimiste. Elle est jolie quant à la forme, simple quant au fond. Elle nécessite un environnement approprié, une société qui valorise l’effort, le travail, la création, la propriété. Je propose la solution qui suit : le respect. Face à un désordre technologique et en attendant un moyen efficace de lutter contre ce fléau destructeur, l’écrivain ne peut compter que sur la société pour le secourir ou sinon arrêter d’écrire. Et moi je t’offre mes mots… contre ton sourire. Karen AYAT Faculté de droit – USJ Article paru le mardi 26 février 2008
Un jour ou l’autre, nous sommes tous contraints à effectuer un choix, le plus dur peut-être, celui de la carrière. Bien que le travail ne soit pas un but en soi, il faut tout de même avouer que, de nos jours, il est bien difficile de pouvoir le qualifier d’autrement. Le travail permet, tout simplement, de vivre. Perfectionnistes, ambitieux, instruits et travailleurs, nous...