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Actualités - OPINION

Impression Précautions

« Prenez vos précautions et vivez normalement. » Cette consigne ubuesque distribuée par les services de sécurité à la suite du tremblement de terre résume à elle seule notre mal-être. Comment vivre « normalement », c’est-à-dire sans penser constamment au pire, quand on sait que le pire peut se produire à tout moment ? Si l’idée de la mort est normale dans la conscience humaine, en revanche il n’est pas normal qu’elle prenne le pas sur la vie, ni qu’elle hante les gestes quotidiens ni qu’elle devienne une obsession collective. Or, l’histoire de ce pays a fait de nous des adeptes de la loi de Murphy : ce qui peut tourner mal tournera mal, forcément. Ce n’est pas la peur du lendemain qui nous tient, comme cela peut arriver à tout le monde, mais celle de la minute qui suit. Qu’une tempête s’annonce, et c’est tout un pays qui attend, immobile, de mourir de froid ou enseveli sous la neige. Que la terre frémisse, et tout un peuple tremble encore bien après les répliques. La plaie mal cicatrisée des conflits passés, une trentaine d’attentats à la voiture piégée en trois ans, les effets nauséeux d’une guerre aussi atroce qu’injuste menée en un mois comme une expédition punitive, les poussées de fièvre d’une jeunesse désœuvrée, attisée par les discours haineux de la classe politique, et que cela démange d’en découdre à la première occasion, quoi d’autre ? Des assassinats et des menaces, ciblés pour réveiller les pulsions meurtrières, touiller le chaudron de la haine, hausser le feu, tester les intentions. Pas un matin où l’on ne se demande dans quel état finira la journée. Pas une aube où l’on n’envoie ses enfants à l’école sans prier que la violence les épargne. C’est un fait, la vie que nous menons n’est pas « normale ». La pression qui nous est imposée est inhumaine. Nous avons déposé nos destins entre des mains impropres qui, d’un bord comme de l’autre, en ont abusé. Nous voilà sans recours fiable, sans même le secours d’un sage, livrés à nous-mêmes et invités à « prendre nos précautions ». Or, prendre ses précautions revient à agir dans la perspective du pire, se serrer la ceinture, replier ses ailes, freiner ses ambitions, étouffer ses rêves, se contenter de sauver sa tête et renoncer à exister. Est-ce d’attendre les accalmies en comptant sur la fatalité que sera fait le restant de nos jours ? N’avons-nous rien de mieux à donner ? Ce peuple fier, chaleureux, généreux, audacieux, inventif ne pourra-t-il jamais s’épanouir en son propre pays ? Lui faudra-t-il toujours mépriser cette terre qui le tourmente, au point de la transformer en souille, en arène pour les causes étrangères, en charnier à gerfauts où l’on n’éclot que pour mieux s’enfuir ? « D’un siècle sans espoir naît un siècle sans crainte », écrivait Musset. En sommes-nous là ? Sommes-nous broyés par le désespoir au point de lâcher prise, de laisser s’ouvrir les digues de la violence et d’inviter la mort à faire comme chez elle ? Sommes-nous résignés au point d’admettre comme une règle le flot d’insultes et de sinistres présages véhiculés par nos médias ? Notre silence ne doit pas être pris pour un consentement. Le pessimisme où l’on nous entretient est la plus létale des armes. Refusons d’en être les otages. Simple précaution. Fifi ABOU DIB
« Prenez vos précautions et vivez normalement. » Cette consigne ubuesque distribuée par les services de sécurité à la suite du tremblement de terre résume à elle seule notre mal-être. Comment vivre « normalement », c’est-à-dire sans penser constamment au pire, quand on sait que le pire peut se produire à tout moment ? Si l’idée de la mort est normale dans la...