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L’exil forcé puis « le galet blanc posé sur la plage »

Karl Darwiche, juif libanais, est un père de famille résidant à l’étranger. Dans un entretien avec L’Orient-Le Jour, il raconte que son père et son grand-père sont venus de Bagdad en 1941, « suite au rapprochement entre les autorités irakiennes et le régime nazi d’Allemagne ». « La famille de mon père a fait escale à Beyrouth, avec pour objectif de se rendre aux États-Unis. Mais le climat du Liban et la merveilleuse tolérance du pays à l’égard des juifs a convaincu mon grand-père de s’y installer. De même, ma mère a fui Damas après la guerre de 1948, enroulée dans un tapis. Son père élit domicile au Liban. Ma sœur et moi sommes donc nés au Liban », dit-il. Karl Darwiche passe plus de la moitié de sa vie à Beyrouth. « Je suis libanais, à tous les niveaux, sauf en ce qui concerne la politique, car la gestion de la chose publique au Liban est une honte et un scandale. D’autant que le gouvernement du pays m’a refusé la nationalité libanaise, vu que je suis issu d’une famille de réfugiés. Il n’empêche que je me sens concerné par la souffrance des Libanais, je m’inquiète de leur avenir et de leur situation actuelle qui n’est guère reluisante. Tout cela n’est-il pas suffisant pour que l’on me considère comme libanais ? » lance-t-il. Karl quitte le Liban en 1985. « J’avais 18 ans et ma sœur qui en avait 14 a failli être fauchée par l’attentat qui a visé le supermarché Melki et qui avait coûté la vie à 59 personnes. Craignant pour notre sécurité, nos parents ont décidé de se rendre en Italie, d’autant que ma sœur avait peu de chance de rencontrer un jeune homme juif au Liban. Depuis, nous ne sommes jamais revenus. Pourtant, non seulement nous n’avons jamais souffert de discrimination ou de racisme à Beyrouth, mais de nombreux Libanais appartenant à différentes communautés nous sont venus en aide à de très nombreuses occasions, simplement parce que nous sommes juifs », indique-t-il. Répondant à une question portant sur ses liens affectifs avec l’État hébreu, Karl affirme sans ambages qu’« Israël n’est pas son pays d’origine ». « Les Israéliens ont des mœurs, des habitudes et une manière de vivre différentes des nôtres. Une personne qui a vécu au Liban ne peut pas s’adapter là-bas. Mais franchement, si les Arabes veulent obliger les juifs de leurs pays à être soit leurs alliés soit leurs ennemis, je choisis d’être les deux à la fois », martèle-t-il, passant soudain à l’arabe dans la rédaction de l’e-mail de réponse à nos questions. Karl rêve sans cesse de revenir au Liban avec ses enfants et sa femme, « laquelle est convaincue que nous serons enlevés dès que nos pieds fouleront le tarmac de l’aéroport ». « Il y a tant de régions libanaises que je n’ai pas visitées du fait de la guerre, comme Baalbeck, Jeïta, etc. J’aimerais tant découvrir ces endroits un jour », note-t-il avec nostalgie. « À l’exception de l’intolérance qui a marqué le pays dernièrement, j’ai intégralement conservé ma culture libanaise : la cuisine, le langage, le comportement et tout le reste, ajoute Karl. Par exemple, je mélange pêle-mêle, dans une même phrase, des mots arabes, français et des expressions dans la langue de n’importe quel pays où je me retrouve résident. Mes amis non libanais en deviennent dingues ! » « Nous autres juifs libanais sommes désignés à l’étranger par le sobriquet “Labné”. Dans n’importe quels pays où nous avons posé nos malles, nous finissons par nous rassembler et prions dans des synagogues portant un nom libanais. Nous sommes également en contact avec de nombreux Libanais d’autres communautés. Nous nous marions entre juifs libanais (ma femme est également libanaise) et tournons dans tous les marchés pour acheter des produits libanais. À leur grand désespoir, nos enfants sont astreints à écouter toujours les mêmes histoires à propos des merveilleux villages de Aley, Bhamdoun et Sofar, de Wadi Abou Jmil que nous appelons rue de France et puis des gâteaux délicieux d’Arlequin et de Ahwat el-Shamat », raconte-t-il. Tout comme Karl, des dizaines de juifs libanais continuent de célébrer leur pays d’origine par tous les moyens et surtout via Internet. Par exemple, sur Facebook, on recense au moins deux groupes créés par des jeunes juifs libanais. Bien que nés à l’étranger – au Canada, en France, aux États-Unis, en Argentine, etc. – et n’ayant jamais connu le Liban, nombreux sont ceux qui continuent de communiquer en arabe, de poster des messages entièrement écrits en arabe avec des lettres latines, de tourner en tendre dérision les expressions et les manières libanaises de leurs familles et à se plaindre collectivement d’avoir à écouter en boucle les histoires de leurs parents sur un Liban qui leur est interdit. Ces jeunes célèbrent notamment l’art culinaire libanais, et parlent avec délectation de la kebbé, du taboulé et d’autres plats typiquement libanais que leurs familles continuent de cuisiner au quotidien. De plus, de nombreux autres sites Internet se sont donnés pour vocation d’archiver les souvenirs des juifs libanais. Le plus célèbre étant le b400.com, créé à l’initiative d’Eliott Stambouli et contenant des archives substantielles sur les juifs du Liban. Malheureusement, le site n’est pas accessible au grand public. Il a néanmoins fourni une base d’information à La petite histoire des juifs libanais, un documentaire réalisé par Yves Turquieh, qui a parcouru « 50 000 kilomètres » et consommé « 50 manakich, 248 kebbé, 632 hommos et 152 verres d’arak » pour rencontrer quelque 300 expatriés de sa communauté dont certains se plaignent d’avoir subi des actes racistes, alors que d’autres rendent hommage à la tolérance de leurs concitoyens libanais. Mais tous répètent en chœur, tantôt en français ou en anglais et tantôt en arabe, devant la caméra, les souvenirs de Wadi Abou Jmil, de la guerre, du Maghen Abraham, de l’école de l’Alliance, des marchands ambulants. « Nous sommes les derniers porteurs de cette histoire, les derniers des mohicans, conclut Turquieh à la fin de son documentaire. À moins d’un retour aujourd’hui improbable, nous sommes les derniers juifs à avoir vécu dans ce pays. Nos enfants ne connaissent pas cette histoire, Mais les histoires qui restent sont celles qu’on raconte. J’ai fait ce film pour eux, comme un galet blanc que l’on pose sur la plage. »
Karl Darwiche, juif libanais, est un père de famille résidant à l’étranger. Dans un entretien avec L’Orient-Le Jour, il raconte que son père et son grand-père sont venus de Bagdad en 1941, « suite au rapprochement entre les autorités irakiennes et le régime nazi d’Allemagne ». « La famille de mon père a fait escale à Beyrouth, avec pour objectif de se rendre aux...