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Actualités - CHRONOLOGIE

« Après Taëf, aucun chef d’État ne saurait s’imposer sans l’appui d’un bloc parlementaire », souligne le juriste Hady Rached Que reste-t-il des prérogatives du président à l’ombre des tiraillements politiques ? Jeanine JALKH

Depuis que le Liban est en quête de son président de la République, les controverses politiques et constitutionnelles n’ont pas tari, remettant parfois en cause de manière fondamentale le texte et l’esprit de Taëf. Outre la valse des interprétations suscitées autour de la question du quorum nécessaire pour l’élection du chef de l’État, exégèses qui ont conduit à des hérésies en la matière, les débats se sont de nouveau envenimés au lendemain de l’initiative arabe prévoyant l’élection du chef de l’État simultanément à une entente préalable sur les quotas au sein du gouvernement à venir. Une formule qui risque d’ôter au futur chef de l’État l’une des prérogatives majeures qui lui restent après Taëf, à savoir la latitude de choisir les ministres en concertation avec le chef du gouvernement qu’il aura lui-même désigné à l’issue de consultations parlementaires obligatoires au sein du Parlement. Autant de déviations que les tiraillements politiques et les craintes communautaires peuvent certes expliquer, sans pour autant justifier les multiples atteintes à l’esprit même de la Loi fondamentale, désormais balayée par des calculs politiciens. Foulée au pied, malmené depuis près de deux ans, la Constitution est dorénavant soumise à la loi des acteurs politiques et des équilibres en présence, qui l’ajustent à tour de rôle selon leurs propres mesures. Les récentes émeutes meurtrières de Mar Mikhaël, dont les conséquences ont éclaté à la figure du commandant en chef de l’armée, en même temps candidat à la présidence, ont prouvé plus que jamais l’importance du fameux article 49 qui interdit aux magistrats et fonctionnaires de première catégorie d’être élus durant l’exercice de leurs fonctions ou durant les deux années qui suivent leur démission. Ces atteintes au jeu constitutionnel se sont notamment accentuées avec la paralysie totale des institutions de contrôle – un Parlement paralysé, un Conseil constitutionnel inexistant, un gouvernement qu’une partie des Libanais considère illégitime –, un vide qui laisse ainsi le champ libre à la loi du plus fort, laquelle n’a pas réussi, à ce jour du moins, à trancher entre vainqueur et vaincu. Que reste-t-il donc des prérogatives du chef de l’État à la lumière des marchandages qui se concoctent tantôt dans les coulisses des ambassades, tantôt au sein de la Ligue arabe et qui, à chaque fois, sont sabotés à tour de rôle par les deux dinosaures locaux ? Le futur chef de l’État peut-il et doit-il accepter d’être parachuté sur un fauteuil aseptisé, alors que la prérogative fondamentale qu’il détient – la promulgation, en accord avec le Premier ministre, du décret de désignation des ministres – lui aurait été subtilisée par les deux camps adverses si l’initiative arabe venait à aboutir ? Tout en reconnaissant la difficulté du contexte politique et les multiples complications en présence, les juristes et experts constitutionnels expriment leur irritation face aux outrages commis depuis quelque temps. Pour le député Mikhaël Daher, la deuxième clause de la proposition arabe a été mal formulée dès le départ. Rappelons que celle-ci prévoie une « entente préalable pour la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale sur base de concertations entre les parties et conformément à la Constitution, de manière à ce que la composition de ce gouvernement ne permette à aucun des deux camps en présence d’avoir le pouvoir de le faire chuter, sachant que c’est au président de la République que revient le pouvoir de trancher », précise le texte. Pour M. Daher, cette proposition ne peut être interprétée que d’une seule façon, à savoir selon la formule des trois tiers, 10 + 10 + 10. Car, rappelle le juriste, la Constitution prévoit que la démission de plus d’un tiers des ministres peut provoquer la chute du gouvernement, ce qui devient pratiquement impossible si l’on est en présence des trois tiers. Cela, si l’on considère bien entendu que chacun des bloc des trois tiers est « hermétiquement soudé » au camp dont il provient et qu’il n’y aura pas de défection politique de la part de certains ministres qui se solidariseraient éventuellement avec l’un des deux autres camps, comme cela s’est produit sous le mandat du président Lahoud. Hady Rached, membre de la commission parlementaire de Modernisation des lois et enseignant de droit à l’USJ, va plus loin, affirmant que le texte de l’initiative arabe n’a aucun sens dans la mesure où le Premier ministre, choisi parmi la majorité parlementaire, « peut à lui seul provoquer la démission du gouvernement quand il le décide, une prérogative que lui accorde la Constitution ». Toute répartition des quotas ne servirait plus à rien pour garantir la stabilité du gouvernement, comme on en avait témoigné du temps du mandat de Omar Karamé lorsque ce dernier avait annoncé publiquement, en 2005, la démission de son gouvernement. Ainsi, ajoute le juriste, et quand bien même la majorité aurait concédé à l’opposition 20 ministres et non seulement 7 ou 10, le chef du gouvernement, qui en est issu, peut toujours et à n’importe quel moment déclarer la chute de son gouvernement sans même avoir à motiver sa décision. Selon lui, les auteurs de la proposition arabe ont en outre oublié un point majeur, à savoir que la conséquence de leur formule – interprétée selon l’équation 13 + 7 + 10 – ne s’applique que pour les décisions « ordinaires » en Conseil des ministres, les 14 autres décisions considérées comme « fondamentales » par l’article 65 de la Constitution nécessitant les deux tiers des voix pour passer, soit 20 voix sur 30. Une équation à laquelle la majorité peut parvenir en cas d’alliance avec le chef de l’État, mais non l’opposition, cela si l’on estime bien entendu que l’ensemble des ministres comptés dans le camp du président voteraient dans le même sens que la majorité, ce qui n’est pas nécessairement garanti, en tous les cas, théoriquement. En outre, ajoute à son tour M. Daher, qui revient à la question de la prérogative fondamentale du chef de l’État, il n’est pas dit que l’initiative arabe est l’idéale en terme de renflouement du prestige de la première magistrature. En suggérant d’accorder 7 ou même 10 ministres au président de la République, la Ligue arabe lui a ôté partiellement la capacité d’avoir son mot à dire dans la désignation de l’ensemble du gouvernement, soit des 30 ministres, selon la formule du « qui peut le plus peut le moins ». « Certes, dit-il, le chef de l’État promulgue en accord avec le président du Conseil des ministres le décret de formation du gouvernement. Cependant le premier, qui est “élu”, ne craint pas d’exercer son influence sur un Premier ministre “désigné” et, qui de surcroît, n’a pas envie de se voir remplacer par un autre en cas de mésentente avec le président sur la composition du gouvernement. Il est ainsi acculé à satisfaire le chef de l’État dont l’influence en matière de composition du gouvernement est primordiale. » Mais encore, et loin des équations chiffrées galvaudées par les protagonistes, Hady Rached tient à rappeler « les piliers fondamentaux » qui soutiennent et consolident la première magistrature, à savoir le soutien parlementaire dont devrait bénéficier le chef de l’État, quel qu’il soit, pour jouir d’une influence et d’un prestige certains, et devenir ainsi un partenaire influent au niveau de la prise de décision. Or, poursuit le juriste, ne jouissant pas du soutien d’un bloc parlementaire important au sein de l’Assemblée, une fois élu, le général Michel Sleimane – pressenti en principe par l’ensemble des protagonistes présents – serait théoriquement « à la merci » du bloc parlementaire le plus influent, c’est-à-dire celui de la majorité. Un cas de figure qui avait été d’ailleurs clairement exprimé par feu Rafic Hariri, qui, un jour, avait affirmé à l’un des parlementaires qui se trouvaient à Taëf que pour « pouvoir gouverner, le chef de l’État devra désormais s’appuyer sur un bloc parlementaire qui lui voue allégeance, tout comme le Premier ministre ». Une équation que l’ancien chef de gouvernement avait saisie dès le départ en tablant, au cours de ses multiples mandats, sur des majorités parlementaires confortables, comme le rappelle un vieux routier de la politique libanaise. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le président Émile Lahoud, qui ne bénéficiait pas d’un bloc parlementaire, s’est affaibli au cours de la dernière phase de son mandat, ne pouvant plus compter sur le soutien inconditionnel de Damas qui lui administrait une respiration artificielle pour survivre, si l’on peut dire. Bref, autant de considérations politico-constitutionnelles dont les ministres arabes pouvaient ou ne pouvaient pas être au courant et qui neutralisent les effets des calculs chiffrés, quels qu’ils soient. Sans un appui parlementaire, sans un consensus local et – exceptionnellement au cours de cette période – international, mais surtout, sans un appui populaire et une unanimité des parties antagonistes sur la personnalité du futur chef de l’État, aucune formule ou équation ne saurait renflouer sa position et lui permettre de jouer véritablement son rôle d’arbitre et de « chef de l’État symbole de l’unité de la nation ». Des qualités et des exigences difficilement conciliables à l’ombre des affrontements politiques qui opposent radicalement les deux camps en présence.
Depuis que le Liban est en quête de son président de la République, les controverses politiques et constitutionnelles n’ont pas tari, remettant parfois en cause de manière fondamentale le texte et l’esprit de Taëf. Outre la valse des interprétations suscitées autour de la question du quorum nécessaire pour l’élection du chef de l’État, exégèses qui ont conduit à...